L'inéluctable financiarisation du marché des matières premières

Avec la crise, il est de bon ton de désigner la spéculation et les marchés comme responsables de tous les maux. Pourtant, la hausse des prix des matières premières et la financiarisation de ce marché sont d'abord le résultat d'une tension entre l'offre et la demande qui s'est envolée sous la pression des émergents.

Dans les prochaines années, les historiens de l'économie éclaireront le rôle joué par la hausse rapide des prix des matières premières dans la crise financière qui a éclaté avec la chute de Lehman Brothers. Ce thème préoccupe Nicolas Sarkozy. En juillet 2009, il s'inquiétait déjà de la volatilité des prix du pétrole, appelant avec Gordon Brown le G20 à se saisir du sujet. En prenant la présidence du groupe en novembre, la France va en faire un des dossiers de son agenda. Fin août, le président français a qualifié "la volatilité des matières premières" de "catastrophe", considérant que "nous n'avons pas à financer la spéculation". Citant l'évolution d'un prix du blé déprimé au printemps et qui s'est mis à flamber après la mauvaise récolte russe, l'un des principaux pays exportateurs, il s'interroge  : "Qui peut penser qu'un système pareil peut fonctionner ?"

Mais ne confond-on pas le message et le messager. Le mot "spéculation", répété comme un mantra, relève plus de la rhétorique que de l'explication. En effet, la volatilité est l'essence même des marchés, non pas parce qu'il y a manipulation des cours - cela peut arriver, en particulier quand il y a peu d'acteurs sur un marché - mais parce que nous vivons dans un monde incertain, où surgissent des événements imprévisibles.

Cette variation des prix traduit initialement des mouvements réels. Qu'un des principaux exportateurs de blé se retire du marché international, qu'il prenne la décision d'interdire les exportations de stocks du pays, que les principaux importateurs, l'Égypte et les pays du Maghreb se ruent sur le marché au comptant pour acheter le physique disponible (plutôt que d'assurer leur approvisionnement à des prix fixés par avance via les marchés à terme) et que, pour finir, les détenteurs de stocks privés de blé temporisent pour réaliser leur bénéfice de l'année, il serait plutôt étrange que le prix ne s'envole pas. Très logiquement, lorsque certains stocks viendront sur le marché - la terre est mal faite, les récoltes ne se font pas au même moment partout - les prix baisseront et ceux qui faisaient de la rétention vendront rapidement pour profiter des prix. Tout au plus peut-on considérer qu'à l'heure d'Internet et de la circulation quasi instantanée de l'information, le marché par essence moutonnier surréagit. Mais s'il se trompe, les investisseurs rectifieront rapidement leurs choix.

Car fondamentalement, c'est un problème physique qui oriente les prix, les financiers ne faisant que tirer parti de cette situation. En effet, les cours des matières premières ont été pendant des années structurellement bas, décourageant tout investissement, car trop risqué et rapportant trop peu. La libéralisation des échanges, couplée à la révolution industrielle et urbaine de certains pays continents (Chine, Inde et Brésil), a entraîné une demande inédite de minerai de fer, de pétrole, de cuivre, de nickel, de soja... La demande a crû plus rapidement que l'offre, le temps de l'extraction, de la récolte et de la transformation des produits étant plus long que le temps boursier d'autant que ces activités en raison des coûts de production qui se sont envolés ont rendu plus délicat le rééquilibrage. Ce phénomène est amplifié par la poussée démographique et l'essor d'une nouvelle classe moyenne adoptant des standards de consommation à l'occidentale.

Dans ces conditions, malgré les soubresauts qui peuvent perturber la production de matières premières - aléas climatiques, conflits ou considérations politiques - la tension entre l'offre et la demande dans une économie globalisée reste vive. C'est ce phénomène persistant - on va vivre dans un monde de la rareté - qui a conduit à une financiarisation des marchés des matières premières. Ainsi, les « commodities », devenant un actif prometteur, elles ont été incorporées dans la gestion des portefeuilles, détenir des matières premières permettant de se protéger d es variations du dollar par exemple, ou plus emblématique, elles ont donné lieu à la multiplication de produits financiers comme les ETF qui offrent aux particuliers la possibilité d'investir sur ce segment.

On peut le regretter, mais l'interdire pourrait avoir des conséquences inattendues. Il serait davantage judicieux d'en prendre acte en adaptant les mécanismes des marchés à cette nouvelle donne. Mercredi, le commissaire européen Michel Barnier, qui inscrit sa démarche dans le G20, a avancé des propositions pour les marchés dérivés en faveur d'une plus grande transparence sur les marchés de gré à gré, en les rapprochant du système des marchés organisés. C'est déjà ce que compte faire l'autorité américaine, la CFTC. Cela pourrait se révéler plus efficace que de stigmatiser la "spéculation", l'essence même des marchés. 

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