Taxe professionnelle : les ratés de la réforme

La suppression de "l'impôt imbécile" devait donner plus de compétitivité à l'industrie. Les résultats apparaissent aujourd'hui incertains, tandis que la fiscalité locale a fait l'objet d'un tel jeu de bonneteau que plus personne ne s'y retrouve...
Copyright Reuters

Cela relève presque de la farce. Le mois dernier, deux éminents parlementaires de la majorité ont fait de bien curieuses confidences à quelques journalistes spécialistes de questions budgétaires. Alors que l'un et l'autre ont voté la réforme de la taxe professionnelle (TP) l'an dernier, tous deux ont émis de sérieux doutes sur sa pertinence et ses modalités. Le premier s'est interrogé à voix haute sur les conséquences de la suppression de la TP en matière de compétitivité industrielle, se demandant si les politiques n'avaient pas été le jouet d'organisations patronales, qu'il soupçonne à présent d'avoir exagéré les méfaits de la TP pour obtenir sa suppression. Et d'expliquer qu'il aurait sans doute mieux valu instaurer des dégrèvements supplémentaires pour l'industrie, estimant que - de toute façon - la question de la compétitivité des entreprises françaises passe avant tout par celle du financement des régimes sociaux. Le second parlementaire a lui aussi posé la question des effets de la suppression de la TP, citant l'exemple... de sa femme pharmacienne dont la cotisation a été cette année quasiment divisée par sept, et estimant « que la réforme aurait pu donner davantage à l'industrie »...

Ces anecdotes le montrent : la question du bien-fondé de la réforme de la taxe professionnelle est aujourd'hui sur la table. Certes, il faut se garder de toute conclusion définitive en attendant les données 2010 qui, seules, permettront une analyse exhaustive. Mais il n'empêche : le doute commence à s'installer sur l'impact exact de la réforme. Profite-t-elle bien à l'industrie ? Il semble qu'il y ait à la fois des gagnants (les gros investisseurs) et des perdants (les industries de main-d'oeuvre) dans ce secteur. Selon un spécialiste, « Bercy se montre volontairement discret car le ministère voit bien que la réforme ne profite pas à ceux à qui elle était destinée ». Manquerait-elle son objectif ? En privé, un proche du dossier au ministère de l'Économie ne récuse pas cette hypothèse...

En attendant, tous les mécontents de la nouvelle contribution économique territoriale (CET) commencent à se manifester. Les agences d'intérim et certains commerçants dénoncent une hausse de leur cotisation, les professions libérales, qui bénéficient cette année d'un régime transitoire très favorable, redoutent d'être plus durement traitées en 2011. Enfin, les auto-entrepreneurs ont obtenu in extremis d'être dispensés de la CET si leur chiffre d'affaires est nul.

Or, pour arriver à ce résultat, a été mis en place un nouveau système de fiscalité locale que moins de dix personnes maîtrisent réellement en France, plaisantent les experts. Les maires des 36.000 communes françaises, en tout cas, se sont perdus depuis longtemps dans les tours et détours de ce nouveau labyrinthe... Selon un sondage CSA réalisé pour l'Association des maires de France et la Banque Populaire-Caisse d'Épargne, et publié le 23 novembre dernier, plus d'un tiers des maires et président d'intercommunalités ne savent pas dire si la réforme de la TP entraînera sur leur territoire une perte ou un gain de pouvoir fiscal.

Du fait du jeu de bonneteau fiscal réalisé entre régions, départements et communes, les premières, qui ont pourtant de grandes compétences économiques, ont perdu quasiment tout pouvoir fiscal, tandis que le « bloc communal » a - lui - renforcé le sien, grâce à un lobbying efficace. Résultat : les régions se trouvent à ce point démunies qu'élus locaux et parlementaires discutent à présent de leur réaffecter certaines taxes ou impôts, considérant qu'elles n'ont plus assez d'outils en main ! La CET avantage par ailleurs mécaniquement les collectivités les plus riches, avec un effet boule de neige au fil des ans. Pour éviter de creuser plus encore les écarts de richesse entre territoires, le gouvernement se retrouve donc contraint de mettre en place une « péréquation » entre collectivités. Une nouvelle partie de plaisir en perspective, pour définir qui sera contributeur ou bénéficiaire de la péréquation...

Enfin, l'État lui-même se retrouve perdant dans l'affaire. La réforme devrait coûter finalement près de 7 milliards d'euros, le double de ce qui était prévu, selon Gilles Carrez, rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale. À tel point que le 18 novembre, dans un entretien à La Tribune, le président de la commission des finances du Sénat, Philippe Marini, qualifiait la suppression de la TP de « réforme de pays riche ».

Bref, la question semble incontournable : fallait-il s'engager dans une réforme coûteuse, aux retombées incertaines, qui plonge le monde local - pourvoyeur des trois quarts des investissements publics - dans une telle opacité ?

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.