2011 ou la mondialisation mille ans plus tard

Par Jacques Barraux, journaliste.
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L'Histoire ne se répète pas mais elle semble obéir à des cycles. A certains moments, à la manière des alignements de planètes, on voit se mettre en ordre les forces et les circonstances qui vont dominer le mouvement du monde pendant plusieurs générations, voire pendant plusieurs siècles. Puis tout se défait et arrive le moment d'un nouvel agencement des choses. Après les hésitations du début du XXIe siècle, la décennie 2011-2020 nous entraîne ainsi dans une ronde planétaire qui réveille le souvenir de logiques oubliées.

L'un des jeunes et cosmopolites commentateurs de la génération Internet, Parag Khanna, membre de la New America Foundation, en fait le sujet d'un livre discuté dans les forums avant même d'être publié (*). Son idée ? Nous revivons un moment crucial du Moyen Âge, celui où, il y a mille ans, démarrait une révolution technique et économique à l'échelle du monde.

État des lieux. Entre le XIe et le XIIe siècle, l'Orient et l'Occident interconnectent leurs routes commerciales. La Chine des Song est le moteur de la croissance mondiale. L'empire hindou des Cola étend sa puissance jusqu'en Indonésie. De Bagdad, les Abbassides contrôlent un monde musulman qui va de l'Afrique à l'Iran. L'Empire byzantin est à l'image des États-Unis d'aujourd'hui : il regarde à la fois vers l'Europe qui se réveille et vers l'Asie qui irrigue le monde de ses marchandises et de ses techniques.

Le monde d'alors est multipolaire à la manière de ce qui se dessine aujourd'hui avec le partage de la puissance entre les Etats-Unis, la Chine, l'Europe et les Bric. Mais il fonctionne d'une manière radicalement différente de celle des Etats-nations des XIXème et XXème siècles. La frontière du public et du privé est perméable. Des villes, des compagnies de marchands, des ordres religieux, des diasporas sont en concurrence avec des États qui ne cherchent pas - ou ne parviennent pas - à les domestiquer.

Le monde de 2011 est dans une configuration comparable. Une réalité totalement contraire aux aspirations d'une opinion publique occidentale tentée par le nationalisme au moment précis où l'État- nation se voit contraint d'accepter le fractionnement de son pouvoir.

Le face-à-face des Etats-Unis et de la Chine, les instances du G8 et du G20 sont quelques-unes des pièces d'un puzzle à l'image de la carte de la puissance effective au Moyen-Age. Mais la carte du monde en 2011 est aussi un hybride d'entités publiques et privées. Des villes-mondes deviennent des lieux de pouvoir à l'instar de Venise ou des hanses de l'Europe du Nord. Des entreprises multinationales prennent le relais des compagnies ou des marchands de la route de la Soie.

Des organisations non gouvernementales, des réseaux sociaux et des organisations philanthropiques occupent un espace supranational autrefois dévolu aux ordres religieux. Des pôles scientifiques reliés par l'Internet réinventent les réseaux universitaires indépendants des pouvoirs politiques de l'Europe naissante.

La crise financière de 2007-2010 aura été le révélateur d'un basculement du monde. Au départ, un problème de risque mal géré dans l'immobilier américain. A l'arrivée, une conflagration sur le marché des dettes souveraines. Avec, pour conséquence, l'abaissement du pilier de l'ordre mondial des années 1950-2000 : l'État "welfare" occidental. Des imprudents ont vu un "retour de l'Etat" dans les injections d'argent public pour sauver les banques de la faillite et relancer la croissance. Naïve erreur d'optique. Le monde d'aujourd'hui est plus proche de celui de Marco Polo que de celui de John Maynard Keynes...

 

(*) "How to Run the World : Charting a Course to the Next Renaissance" (à paraître chez Random House)

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