Le coup de force de l'Allemagne

Par Marc Fiorentino, d'Allofinance.
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Attention révolution de palais... Je ne connais pas la fleur symbole de l'Allemagne mais il est clair que nos voisins d'outre-Rhin nous préparent une petite révolution des oeillets ou du jasmin. Tout s'est passé très vite cette semaine. Cela a commencé par des fuites organisées sur les sites Web de journaux allemands et des déclarations de ministres grecs. Selon ces rumeurs, l'Allemagne et la Grèce plancheraient sur un schéma de restructuration de la dette un peu particulier. L'Allemagne, à travers l'Union européenne quand même, prêterait de l'argent à la Grèce qui rachèterait sur le marché sa propre dette avec une décote. En clair, la Grèce rachète par exemple à 60 sa dette d'une valeur nominale de 100. Bénéfice de l'opération : la Grèce réduit immédiatement une partie de son endettement de 40%. Et les créanciers privés ou autres prêteurs qui vendent à 60% prennent certes une perte immédiate mais se garantissent au moins de récupérer une partie de leur argent. Jusque-là rien à dire. C'est une bonne idée. Même si on peut être surpris que tout cela se négocie de fait directement entre l'Allemagne et la Grèce et que l'Union européenne joue les figurants.

Mais c'est là que cela devient intéressant... L'Allemagne est bien décidée à prêter de l'argent pour cette opération à une condition. Non. Pas la condition habituelle. Ce n'est pas l'échange classique "argent contre austérité". Celui-là, on le connaît. C'est d'ailleurs celui qui va faire tomber le gouvernement irlandais lors des prochaines élections anticipées en mars. L'Allemagne fait un coup de force. C'est un deal "argent contre adoption du modèle allemand". Pour rester politiquement correct, l'Allemagne demande d'adopter un programme visant à "améliorer la compétitivité économique". Et pour "améliorer la compétitivité économique", il n'y a qu'un modèle : le modèle allemand. Les exigences de l'Allemagne sont tout simplement étonnantes.

Selon le "Wall Street Journal", l'Allemagne réclame : une augmentation de l'âge de la retraite, la suppression de la corrélation entre les salaires et les retraites avec l'inflation, l'adoption d'une loi ou l'inscription dans la Constitution de l'équilibre budgétaire et enfin l'alignement de la fiscalité sur la fiscalité allemande. On savait que l'Allemagne prenait en main la gouvernance économique de l'Europe avec en plus la prise de pouvoir prochaine à la tête de la Banque centrale européenne, mais là on reste scotchés. Ce n'est plus un deal, c'est une demande de capitulation. Il ne reste plus qu'à imposer l'allemand comme langue européenne et on aura fait le tour de la question.

L'Allemagne gagne. C'est indéniable. 3,6 % de croissance en 2010, une croissance révisée à la hausse, et ce n'est pas terminé, à 2,3%, un chômage en chute, des exportations au coude à coude avec la Chine. Mais comme l'a montré le rapport sur le fossé de compétitivité entre la France et l'Allemagne, deux des atouts du pays sont sa culture (du travail et de l'intérêt national) et son consensus social. Rien de tout cela n'existe en Grèce, au Portugal, en Espagne, en Italie ou en France.

La croisade de l'Allemagne me rappelle celle des Etats-Unis de George Bush. On ne peut pas imposer la démocratie à des pays qui ne la veulent pas. On ne peut pas imposer austérité et consensus social à des pays dont ce n'est pas la culture. L'Allemagne ne doit pas se laisser griser par ses succès. C'est un modèle de réussite, un vrai. Mais en cherchant à imposer un "German Way" l'Allemagne ne parviendra qu'à faire tomber les gouvernements des pays périphériques les uns après les autres et à provoquer une montée des nationalismes et des populismes anti-Europe.

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Commentaires 2
à écrit le 09/02/2011 à 16:49
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J'ai appelé cela la loi du IV ème Reich. Mais pour des raisons de politiquement correct évidentes, LA Tribune a refusé de laisser passer cette expression dans un précédent commentaire. Pourtant, en d'autres termes, vous ne dites pas autre chose. Et l...

à écrit le 25/01/2011 à 23:37
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La troisième "qualité" des allemands est leur incroyable confiance en eux mêmes assez proche d'ailleurs de celle des américains. Cet élément n'existe pas non plus chez les latins qui pratiquent plutôt l?auto dérision. La Grèce qui n'est tombée dans ...

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