Quelle intelligence au service de l'économie ?

Face à l'instabilité et à la complexité du monde de l'entreprise, les compétences en termes d'intelligence humaine et émotionnelle deviennent de plus en plus précieuses. Une sorte d'hybridation des savoirs doit désormais irriguer l'entrepreneuriat moderne et les organisations. A condition de se débarrasser de préjugés encore tenaces.
Copyright Reuters

Lorsque les scientifiques décrivent aujourd'hui les intelligences, et spécifiquement celles qui sont nécessaires à la bonne marche des organisations, ils montrent que le modèle de l'intelligence dite logico-mathématique n'est pas le seul à être utile aux entreprises.

Pour R. J. Sternberg par exemple, l'intelligence de synthèse, ou la capacité structurale à saisir les choses plus globalement à laquelle forment certains diplômes littéraires, a la particularité de permettre, au-delà de l'analyse des idées existantes, la production d'idées nouvelles. Elle est proche de ce que d'autres auteurs appellent la pensée systémique, indissociable de la stratégie.

Pour H. Garner, les intelligences dites inter et intrapersonnelles (du politique, du psychanalyste...) servent en particulier à l'adaptation à la vie dans les organisations et les groupes humains. D. Goleman observe, lui, l'importance pour le management d'aptitudes comme le sens de la médiation, la capacité à cristalliser les changements... jusqu'à ce qu'il nomme le "leadership de résonance"...

Parallèlement à ces apports, l'auditeur en organisations et le manager doivent aujourd'hui intégrer dans leurs pratiques au moins quatre grands éléments de méthode qui ne sollicitent pas seulement des capacités de raisonnement linéaires et logico-mathématiques.

On peut les énoncer comme suit. Les entreprises sont des ensembles économiques, mais aussi des constructions sociales, psychologiques, culturelles voire politiques fondées sur certains types de rapports sociaux entre personnes, entre groupes qui se matérialisent dans des formes de gouvernance, des procédures routinières, des rites...

Il s'agit de structures complexes, en mouvement permanent, qui sont mues par des forces de marché et des facteurs institutionnels multiples dont elles reflètent perpétuellement l'interaction. Au-delà de leur apparente rationalité, les décisions des entreprises évoluent et s'adaptent par à-coups, à travers aussi les discontinuités du hasard, et d'autant de phénomènes incertains qui dépendent notamment de l'évolution et de l'adaptation des autres organisations.

Les stratégies d'acteurs, les coopérations, les dissensions entre individus qui les constituent, les conflits, sont au coeur de l'évolution des systèmes décisionnels et des entreprises... Autrement dit, dans l'entreprise moderne, et dans la compétition mondiale qui s'organise autour des prix, mais également autour de la qualité en tant qu'élément majeur permettant d'obtenir des avantages concurrentiels, les compétences d'un psychologue dégageant les motivations probables d'un groupe au travail sont capitales.

La manière avec laquelle un historien perçoit les continuités et les ruptures dans l'évolution d'une entreprise, et donc les facteurs politiques, économiques et socioculturels qui l'entraînent à s'adapter différemment à son milieu en modifiant ses stratégies de croissance et de développement intéresse l'élaboration de ses plans stratégiques. La représentation que se fait un politologue ou un sociologue des stratégies d'acteurs qui sont observables dans la firme, des tensions et conflits qui affecteront probablement son devenir, est nécessaire à sa gestion équilibrée, négociée, et à sa capacité à générer durablement des résultats...

L'utilité pour l'entreprise de ce que contiennent les bagages intellectuels du politologue, de l'historien, du psychologue, du sociologue... devient alors évidente. Dans chacun de ces profils, et plus encore dans leur complémentarité, il y a les ingrédients de ce que l'on peut nommer, comme y incite E. Morin, la pensée globale et stratégique : "(...) le défi de la complexité exige la communication entre les connaissances séparées ; il exige en même temps des principes d'organisation de la connaissance qui permettent de relier les savoirs de façon pertinente... ".

Les écoles supérieures de commerce sont bien placées pour comprendre en ce sens l'intérêt, pour l'économie du XXIe siècle, d'une sorte d'hybridation des savoirs irriguant l'entrepreneuriat moderne.

Notre expérience nous démontre que les aptitudes à la pensée globale et stratégique de cet étudiant, titulaire d'un master 2 de philosophie, entré dans le MBA d'audit et management des ressources humaines de l'ISC-Paris sur la base d'un mémoire intitulé "Platon entrepreneur", et qui se trouve être aujourd'hui en CDI dans un cabinet-conseil reconnu, ont bel et bien débouché sur des préconisations porteuses de plus-value et de développement pour les entreprises concernées. Le manager du XXIème siècle, qui évoluera plus encore dans ce que Henri Mintzberg nomme la complexité et la contingence, aura dans cet esprit d'autant plus besoin de ces intelligences diversifiées, elles-mêmes porteuses d'intelligences collectives.

Par ailleurs, lorsque l'on observe qu'il n'y a plus aujourd'hui en France que 18% de bacs littéraires correspondant à la série L, contre environ 50% dans les années 1960, il semble urgent que le système de formation français se débarrasse de quelques préjugés institutionnels devenus particulièrement pesants. A travers la propension des littéraires à se heurter à la porte close des entreprises, et pour partie des écoles supérieures de commerce, c'est bien de chômage, de sous-emploi et de gaspillage de ressources humaines dont il est question.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.