L'industrie prise au piège de ses dogmes

Juste-à-temps, standardisation et mondialisation sont devenus, au fil des ans, les trois piliers de la compétitivité industrielle. La catastrophe japonaise souligne leurs limites. Mais pas au point de les remettre totalement en question.
Copyright Reuters

Depuis une trentaine d'années, l'industrie n'a cessé de faire évoluer ses méthodes de production. Contrainte de réduire ses coûts pour résister à une concurrence de plus en plus vive, elle a peu à peu généralisé trois grands principes, pour la plupart initiés dans le secteur automobile : le juste-à-temps, la mondialisation des fournitures et la standardisation des composants. En produisant en fonction de la demande, les industriels réduisent le coût de leurs stocks. En achetant au moindre coût n'importe où sur la planète, ils baissent leurs prix de revient. En utilisant un même composant sur des millions de produits, ils bénéficient de substantielles économies d'échelle. Imparable.

Ces derniers temps, toutefois, ces trois dogmes de l'industrie moderne ont montré leurs limites. Le premier coup de canif a été donné à la fin 2009, lorsque le constructeur automobile japonais Toyota, modèle s'il en est en matière de performance industrielle, a été contraint de rappeler des millions de véhicules dans le monde pour un problème de pédale d'accélération potentiellement défectueuse. En cause, un composant fourni par un sous-traitant américain peu connu, CTS, mais monté sur de très nombreux modèles de la marque japonaise et donc, au final, sur des millions de voitures. La standardisation n'est pas sans risques.

La seconde alerte date du printemps 2010. Un volcan islandais au nom difficile à retenir se met à cracher d'épaisses fumées, paralysant durant quelques jours tout le trafic aérien européen. A cette occasion, on se rend compte que nombre de composants voyagent par les airs, d'un continent à l'autre. Le constructeur haut de gamme BMW est ainsi contraint d'arrêter temporairement son usine américaine de Spartanburg, un tiers des pièces utilisées par ce site étant habituellement acheminé d'Allemagne par avion. La mondialisation comporte donc des faiblesses.

Ces deux épisodes ne sont rien toutefois à côté de la désorganisation consécutive au séisme et au tsunami japonais du 11 mars dernier. Usines endommagées ou détruites, coupures de courant prolongées : dans l'automobile, nombre de constructeurs et d'équipementiers ont dû arrêter leurs chaînes de fabrication. Deutsche Securities chiffrait la semaine dernière à 400.000 véhicules la perte de production entraînée au Japon par cette catastrophe.

Mais l'onde de choc s'est très vite propagée bien au-delà de l'archipel nippon. Partout, les entreprises ont stoppé des usines, faute de composants. PSA, par exemple, qui se fait livrer par avion des débitmètres d'air fabriqués par Hitachi, a été contraint de ralentir le rythme de plusieurs de ses sites d'assemblage. Pour nombre de constructeurs automobiles, mais aussi d'industriels de l'aéronautique, de l'électronique ou de la défense, les perturbations risquent de s'intensifier dans les prochaines semaines, une fois épuisés les stocks actuellement acheminés par bateaux.

À l'occasion de cette catastrophe, les industriels affectés ont mis en place des cellules de crise pour réétudier dans le détail leur chaîne d'approvisionnement. Quel composant est utilisé où ? Et qui le fournit ? Un exercice salutaire, qu'ils n'avaient pas l'habitude de faire aussi complètement, tant la production dans nombre de secteurs fait aujourd'hui appel à une cascade de fournisseurs dépendant les uns des autres mais gardant chacun une part d'autonomie.

Le drame japonais peut-il remettre en cause ces fameux dogmes qui ont tant fait gagner l'industrie en compétitivité ces dernières années ? Le juste-à-temps, inventé justement par les Japonais, est-il menacé ? Ses bénéfices sont trop grands et les perturbations actuelles sont sérieuses mais temporaires, répondent en choeur les experts en production industrielle. La standardisation devrait elle aussi subsister, voire se renforcer, mais les entreprises prendront soin sans doute de ne plus se lier à un fournisseur unique pour une pièce stratégique.

Quant à la mondialisation, elle garde fort probablement un bel avenir. En France, la Semaine de l'industrie, qui s'ouvre ce lundi, devrait suggérer quelques pistes pour freiner le mouvement et redonner un peu de vigueur à la production hexagonale. De la classique baisse des charges, prônée par la Fondation Concorde, à l'étiquetage des produits "made in France", inscrit dans une proposition déposée à l'Assemblée nationale et au Sénat par Yves Jego et Catherine Dumas. Mais à voir l'interdépendance tissée depuis des années par les entreprises du monde entier, et soulignée par le drame japonais, on ne peut que rester sceptique sur la capacité de l'industrie à faire machine arrière.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.