L'Europe peut trouver une nouvelle croissance si elle contrôle mieux la finance

Il est possible de retrouver des taux de croissance importants, estime le Cercle des économistes, qui publie un nouveau Cahier sur ce thème. Mais l'Europe doit être en mesure de remettre la finance à sa place, au service de la croissance.
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Oui, l'Europe et la France ne sont pas condamnées à la croissance molle. Il est possible de retrouver des rythmes d'expansion soutenus. Intitulé "A la recherche d'une nouvelle croissance", le nouveau "Cahier" que publie le Cercle des économistes prend le parti de cette vision plutôt optimiste de notre avenir. Jean-Hervé Lorenzi, qui préside le Cercle, souligne l'opportunité que représentera, au cours des vingt prochaines années, l'enrichissement de millions d'habitants dans les pays émergents, ainsi que la transition démographique : le vieillissement peut être vu, aussi, positivement, en considérant l'ensemble des besoins nouveaux qu'il génère.

Un thème traverse, toutefois, les réflexions des économistes : celui du poids pris par la finance et les risques que cette prédominance fait prendre à la croissance. Agnès Bénassy-Quéré et Laurence Boone s'interrogent ainsi sur l'impact du secteur bancaire dans la crise des finances publiques en Europe, qui a affecté notamment l'Irlande : ne faudrait-il pas suppléer à l'absence de pouvoir d'investigation européen sur les comptes bancaires ? Créer une "véritable autorité européenne de supervision financière ?". Jean-Michel Charpin s'inquiète de la "position de force" des gestionnaires de fonds, susceptibles d'arbitrer entre les différents "appels massifs" des débiteurs. Pour Jean-Hervé Lorenzi, "l'Europe doit retrouver ses fondamentaux de production de biens et services en redonnant à la finance le rôle qui est le sien : l'aide à la croissance"

Ivan Best, éditorialiste à La Tribune

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Gouvernance économique de la zone euro : quand les détails peuvent tuer

Le secteur bancaire peut mettre en péril les finances publiques d'un pays, comme on l'a vu en Irlande. Aussi faudrait-il mieux le réguler, en créant une autorité européenne de supervision financière.

Lors de la conception de l'euro, les partenaires européens ont pensé que le Pacte de stabilité et de croissance, qui encadre les politiques budgétaires, écarterait définitivement le risque d'un défaut souverain. Tel n'a pas été le cas, pour trois raisons. D'abord, certains pays n'ont pas toujours respecté le Pacte ; ensuite, d'autres pays n'ont pas présenté des comptes sincères à leurs partenaires ; d'autres pays, enfin, ont respecté le Pacte mais laissé se développer des déséquilibres massifs dans le secteur privé.

Entre éclatement et intégration renforcée, l'Europe a choisi la seconde voie. Il faut souligner que ce nouveau dispositif européen comporte à la clé un certain abandon de souveraineté puisque les politiques économiques seront coordonnées au niveau communautaire en amont de leur vote au niveau national. On peut, bien sûr, regretter le caractère punitif plus qu'incitatif des nouvelles dispositions. On peut aussi s'inquiéter de la multiplication des règles qui risque de déposséder les Etats membres de leurs politiques économiques, renforçant par là le sentiment antieuropéen. Cependant, le problème principal à court terme est ailleurs : malgré ces avancées spectaculaires, la zone euro est aujourd'hui tout autant en péril que durant cette fameuse semaine de mai 2009 où l'aventure de l'euro a bien failli se terminer. Et elle ne sera pas au bout de ses peines puisque les ajustements de l'ampleur de ceux à effectuer sans restructuration sont des exercices périlleux, car ils pèsent sur la croissance. C'est pourquoi aujourd'hui l'équation de la solvabilité n'est toujours pas résolue, ce qui explique, aussi, la fébrilité des marchés.

Trois formes d'actions sont envisageables pour un Etat souverain de la zone euro : demander aux institutions financières de conserver les dettes des pays en difficulté jusqu'à maturité, introduire des "clauses d'actions collectives" (CAC) dans les contrats de dette prévoyant par exemple des décotes en cas de défaut, ou proposer une restructuration plus classique. A l'occasion de la réunion du G20 de Séoul en novembre 2010, les chefs d'Etat européens ont tenté de calmer les marchés en assurant que ces différentes options ne s'appliqueraient en tout état de cause qu'aux dettes émises après 2013, date d'expiration du Fonds de stabilisation.

Cependant, ce délai repousse d'autant la remise à flot des finances publiques dans les pays en difficulté. En effet, une restructuration vise à étaler les remboursements dans le temps et à les rendre moins importants au regard des capacités de croissance d'un pays. Les prêteurs y perdent dans la mesure où ils ne recouvreront pas l'entièreté de ce qu'ils ont prêté, mais y gagnent en sécurité d'être remboursés au moins pour la partie qui a été négociée. Pour le pays débiteur, cet assainissement par restructuration permet de retrouver des capacités d'emprunter raisonnables. Une restructuration classique présente les avantages et les inconvénients du traitement de choc : la dette publique est immédiatement replacée sur un sentier "soutenable", au prix d'une perte immédiate pour les créanciers. Il faut alors un délai pour que l'Etat restructuré puisse se présenter à nouveau pour lever des fonds sur les marchés. Durant cette période, les financements du FMI ou, dans le cas européen, du successeur du Fonds de stabilisation, sont indispensables. Cette période à l'abri du marché doit alors être mise à profit pour redresser les comptes publics afin de redonner confiance aux marchés.

Les pays de la zone euro n'ont, pour le moment, pas donné de détails sur la façon dont ils envisageaient de gérer une éventuelle restructuration, ni à qui s'appliqueraient d'éventuelles CAC (clauses d'actions collectives). Cependant, un accord a été trouvé sur le fait qu'une forme de solidarité budgétaire permanente ne peut prendre forme que combinée à un mécanisme qui associerait le secteur privé aux coûts de cette solidarité. Cela est logique dès lors que le secteur bancaire met en péril les finances publiques d'un pays et la stabilité financière de la zone. Mais cela montre également une autre limite de la construction de la zone euro : l'absence de pouvoir d'investigation au niveau européen sur les comptes bancaires, la transparence des comptes s'arrêtant aux superviseurs nationaux.

La pérennité de la zone euro ne nécessite-t-elle pas encore plus d'intégration : une intégration budgétaire avancée d'une part et, d'autre part, une véritable autorité européenne de supervision financière ?

Par Agnès Bénassy-Quéré et Laurence Boone, membres du Cercle des économistes

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"La France a des compétences à développer"

D'où pourra venir la "nouvelle croissance" que vous appelez de vos voeux ?

La croissance de ces vingt prochaines années reposera sur trois phénomènes nouveaux : la transition démographique, l'accès à un revenu plus élevé pour des centaines de millions d'habitants des pays émergents et, enfin, la gestion des ressources rares. Tout cela créera de nouveaux biens et services. L'Europe et la France ont sur tous ces points beaucoup de compétences à développer.

Vous soulignez l'existence de menaces sur la croissance européenne, telles que le risque d'un monde financiarisé, d'une rigueur mal pensée, de la dislocation des modèles sociaux existants... Ces menaces ne sont-elles pas en passe de se concrétiser ?

L'Europe doit retrouver ses fondamentaux de production de biens et de services en redonnant à la finance le rôle qui est le sien : l'aide à la croissance.

Comment y faire face ?

En réorganisant l'Europe, en renforçant une gouvernance économique européenne plus efficace tournée à la fois vers le contrôle des équilibres financiers et macroéconomiques mais également vers l'aide à la croissance.

Quels seront les prochains axes de réflexion du Cercle des économistes ?

Le Cercle des économistes a choisi pour thème de réflexion des Rencontres 2011 "Le monde dans tous ses États". En effet, la crise a remis en cause la répartition des rôles entre États et marchés, de nouvelles questions se posent donc : les mouvements de frontières sont-ils transitoires ou pérennes ? Comment rendre l'État plus efficace ? Comment répartit-on les rôles entre État et marchés ? Le retour de l'État ne va-t-il pas être source de conflits plus sérieux encore ?

Propos recueillis par Ivan Best

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Les classes moyennes, victimes de la nouvelle croissance ?

La place de la classe moyenne, qui se sent souvent dévalorisée dans le monde développé, est au coeur des enjeux. Dans les pays émergents, développer cette catégorie serait une source de croissance.

La recherche de la nouvelle croissance suppose l'examen des motivations individuelles et collectives qui vont alimenter et justifier la mobilisation des intelligences et des énergies. La période qui a précédé la crise financière a vu se développer de fortes tensions sur le partage des revenus. Dans un contexte de délitement des régulations mises en place dans l'immédiat après-guerre, l'escalade des hautes rémunérations et des marges du secteur financier s'est accompagnée d'une stagnation des revenus de la classe moyenne, par ailleurs ponctionnés dans certains pays pour améliorer le sort des catégories défavorisées. Il en a résulté une montée de l'endettement des ménages, rendue nécessaire par la contradiction entre des dépenses croissantes de consommation et d'investissement en logements et des revenus stagnants. Plus profondément, la classe moyenne, ulcérée par les informations sur les revenus extravagants des élites dirigeantes ou financières, déçue par son incapacité à améliorer son sort par le travail et l'épargne, accablée par la croissance des prélèvements obligatoires, s'est sentie dévalorisée.

Dans un scénario de retour aux tendances antérieures, les tensions sur le partage des revenus ne seraient pas seulement maintenues, mais en fait aggravées par de puissants facteurs. D'abord, il faut prendre en compte les dettes héritées de la crise. Dès maintenant, ces dettes conduisent à des appels massifs et permanents aux gestionnaires de fonds, qui les mettent en position de force. Ensuite, le coût du vieillissement est loin d'être entièrement provisionné. Il va donc peser sur le partage des revenus pendant au moins vingt-cinq ans encore. Enfin, la prise de conscience du risque climatique peut aussi être la source de tensions supplémentaires. Les travaux d'histoire économique conduisent à une conclusion simple : le succès économique dépend fondamentalement de la possibilité offerte à chaque personne d'améliorer son sort et celui de sa famille honnêtement, par son travail et ses initiatives. Dans le monde développé, c'est la place de la classe moyenne qui se trouve au coeur des enjeux. Dans les pays émergents et pauvres, il reste des catégories entières dont les capacités ne sont mobilisées ni dans leur intérêt ni dans celui de la collectivité. Comme au cours de la période récente, il y a là un gisement potentiellement disponible pour alimenter la nouvelle croissance. Dans l'objectif de promouvoir cette nouvelle croissance, les régulations publiques auront, tant au niveau international que national, une responsabilité majeure. Trois domaines sont décisifs.

D'abord, la gestion du risque climatique. Il s'agit d'organiser l'expertise au niveau mondial de façon à apprécier le plus exactement possible l'ampleur de ce risque et de mettre en place les instruments permettant d'obtenir des résultats au moindre coût collectif. Ensuite, la capacité à maintenir le dynamisme des pays émergents en l'élargissant à de nouveaux pays et de nouvelles catégories. En permettant à de nouvelles populations de bénéficier de plus de liberté d'initiative, d'un accès à la formation et au crédit, et de conditions équitables de concurrence, on libère de formidables sources potentielles de développement. Enfin, lutte contre les rentes, en adoptant les régulations et règles de gouvernance appropriées. Il faudra éviter les ponctions fortes sur le revenu mondial que peuvent exercer certaines activités, comme la finance ou la production de matières premières et de façon plus générale veiller à favoriser une allocation efficace des ressources. Fondamentalement, c'est en redonnant du sens au progrès qu'on arrivera à mobiliser les acteurs en faveur de la nouvelle croissance.

Par Jean-Michel Charpin, membre du Cercle des économistes

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L'Occident dans la compétition multipolaire, ou la nécessité d' "écologiser"

L'Europe doit retrouver une entente franco-allemande, pour dépasser la politique d'austérité voulue outre-Rhin. Au-delà, la nouvelle croissance passe par l'« écologisation » de tous les sujets.

Depuis le début du basculement géopolitique, le début de la vraie émergence de la Chine fondée sur le contrôle politique et la libération des énergies, nous, Occidentaux, avons passé beaucoup de temps à rêvasser à une communauté internationale, à l'économie globale de marché, à la fin de l'histoire, à toutes sortes de songes sympathiques mais peu opérants. Nous avons mis un certain temps à mesurer que le monde multipolaire est une compétition multipolaire qui peut tourner à la bagarre multipolaire pour des raisons de pénurie, qui peut aussi tourner à la coopération.

Pour moi, le fait majeur est que les Occidentaux ont perdu le monopole qu'ils ont exercé dans l'histoire du monde durant quatre ou cinq siècles si l'on additionne l'histoire des Européens et des Américains. C'est sans précédent ! Nous ne sommes qu'au début du commencement des conséquences économiques, stratégiques, philosophiques, conceptuelles, des conséquences sur les normes, sur les priorités, sur les valeurs, sur la capacité à fixer l'agenda.

En ce qui concerne l'Europe, je pense que la priorité serait l'instauration d'un vrai débat franco-allemand. Il est évident que nous devons reconstituer une entente suffisante pour arbitrer entre la politique d'austérité stricte conçue par l'Allemagne, qui donne l'impression que la zone euro n'est qu'une zone purement disciplinaire, sans vision d'avenir. Il faut absolument arbitrer entre cette position et les arguments relayés par Barack Obama avant le G20, arguments repris d'ailleurs par beaucoup d'économistes, y compris en Allemagne. Quelle serait la combinaison qui montrerait que l'Europe doit effectivement passer par une phase d'austérité avant de retrouver une croissance saine ? Et comment la trouver sans la volonté politique d'y parvenir ? Elle est actuellement insuffisante, le cadre n'est pas assez dessiné puisqu'il y a en plus un désaccord France-Allemagne sur ce que peut être la gouvernance économique de la zone euro, élément qui serait fondamental pour reconstituer un effet de levier.

Pour moi, il y a une seule réponse possible à toutes les questions posées sur la nouvelle croissance, elle est très simple. C'est l'écologisation de tout. À cause de la crise, on a régressé de plusieurs crans et on repense la situation en termes de contraintes. A mon avis, le moteur de la croissance en Europe pour les vingt prochaines années réside dans cette écologisation. Et tout ce qui se dit sur les politiques industrielles, le volontarisme, l'innovation, la formation... n'est raccordé qu'à ce principe. On ne va jamais, en Europe, inventer une croissance du même ordre que celle des pays émergents qui concerne des pays démunis de tout et dont les taux de croissance sont de l'ordre, 8, 10, 12%. L'Europe n'atteindra plus jamais ce type de taux. La seule croissance durable consisterait à regrouper tous les éléments concernant ce que l'on appelle l'écologisation, à enlever dans les textes ce qui donne l'impression que c'est une contrainte, ou une gêne, et à bien montrer que c'est le moteur, l'investissement. C'est dans ce domaine qu'il faut faire un bond en matière d'innovation. Si nous ne le faisons pas, ce sont les pays émergents qui s'en chargeront. Des pays comme la Chine vont nous stupéfier en matière d'écologie parce qu'ils vont enjamber deux ou trois générations d'un système industriel périmé. Cette écologisation doit rester absolument notre priorité. C'est à travers elle, y compris d'ailleurs par le biais du grand emprunt, que l'Europe peut se reprojeter comme un continent de demain et d'après-demain, qui ne retrouvera jamais sa situation dominatrice et colonisatrice, mais qui sera au moins un pôle du monde multipolaire et pas simplement un protectorat sino-américain.

Par Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères du gouvernement Jospin, 1997-2002

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