Intelligence économique : surmonter retard et handicaps

Par Claude Revel, conseil en relations internationales, professeur à Skema Business School.
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Les mésaventures récentes de Renault et les cyberattaques sur Bercy n'ont a priori aucun lien entre elles, sauf qu'elles ont souligné la difficulté française à gérer stratégiquement l'information : l'information que l'on possède, qui doit être protégée quand elle est sensible, et celle que l'on diffuse, qui doit être pensée et travaillée selon un but préalablement défini. Cette carence n'est pas nouvelle. Dans la même lignée, on trouve (liste non exhaustive) : les échecs successifs de nos candidatures aux Jeux olympiques ; les normes diverses non anticipées ; les classements défavorables de notre pays ("Doing Business" de la Banque mondiale) ; notre image mise à mal à la moindre de nos difficultés par des partenaires que nous agaçons et, en sens inverse, nos préjugés, comme aujourd'hui la désastreuse mode des accusations anti-chinoises systématiques ; ou encore ce patriotisme économique clamé mais, hélas, si mal défendu, alors qu'il faudrait agir avec efficacité, professionnalisme et discrétion.

Tout cela nous dessert internationalement à un point que n'imaginent pas nos décideurs. Car beaucoup s'en moquent un peu. Ce qui se passe en France est bien plus important pour eux. Depuis toujours nécessaires à la vie, l'information, et son produit fini, la connaissance sont aujourd'hui devenues un facteur de production de valeur et de richesse à part entière. Sa maîtrise doit en être d'autant plus professionnelle, ce qui ne devrait pas empêcher d'en fournir des rudiments d'utilisation à tous les jeunes dès l'école.

En France, ces problématiques sont présentées comme nouvelles, alors que d'autres pays les ont anticipées depuis des dizaines d'années. Ils en ont conçu des "produits" culturels et juridiques, des modes de management d'entreprise, d'éducation supérieure, des normes, des modèles économiques et de gouvernance... Ces influences venues pour la plupart d'outre-Atlantique ont d'éminentes qualités, mais elles ne sont challengées par personne. Donc se stérilisent. Les modèles libéraux qui nous ont enrichis nous appauvrissent quand ils deviennent tout-puissants et ne servent plus que des intérêts particuliers. Face à ces réalités internationales, les élites françaises se révèlent sérieusement démunies, voire décalées. La compétition internationale n'est plus seulement matérielle, technologique, commerciale et financière, elle porte aujourd'hui sur des paramètres immatériels comme l'image, les systèmes de pensée, la capacité à faire naître l'innovation, à créer des règles éthiques (et pour certains à les détourner sous les grands principes affichés). Nos grandes écoles d'ingénieurs et commerciales n'enseignent rien ou presque de tout cela. Et ce, alors même que la maîtrise du "soft" est la clé de la puissance américaine, qui va être imitée par la Chine et a commencé à l'être par d'autres (Etats du Golfe, Brésil de manière ciblée...).

La responsabilité des entreprises est également en cause. Le rôle capital - production de pensée, influence internationale - joué par les "think tanks" américains n'a été possible que grâce à leur financement privé. Or, produire de la pensée opérationnelle et payer pour cela sont deux attitudes peu fréquentes en France. Le lien pensée-action, base de la compétitivité durable, y est méconnu. L'ignorance des évolutions extérieures se double aujourd'hui d'une fascination pour une pseudo-modernité. Dans l'Etat, la fameuse RGPP est un des modèles du genre, outils et "process" vendus (cher) comme le dernier cri du management, la réduction budgétaire étant présentée comme une stratégie, en masquant en fait un véritable affaiblissement de l'Etat.

On trouve la même obsession financière dans les entreprises, chez qui elle n'est légitime que tant qu'elle ne porte pas atteinte, paradoxalement, à l'outil de production et, dans une conception humaniste, aux hommes. Mais toute cette pseudo-modernité managériale de court terme est en réalité déjà dépassée car un mouvement s'est amorcé chez des penseurs étrangers, y compris anglo-saxons, pour retrouver le "public good" et le "social good", notions bien de chez nous, et qui nous reviendront à n'en pas douter sous d'autres formats ! Pourquoi ne pas - pour une fois - prendre l'initiative, apprendre à produire nous-mêmes de la pensée opérationnelle nouvelle, par exemple en matière de gouvernance privée et publique, de résolution des conflits... et à la promouvoir avec modestie et professionnalisme auprès de nos voisins et alliés européens, et pourquoi pas internationaux, dans des alliances à la fois économiques et diplomatiques ? Pour cela, comme l'ont fait tous les pays et les entreprises qui progressent internationalement, il faut au plus haut niveau se doter de cellules spécialisées d'ingénierie de l'information, qu'on appelle parfois intelligence économique, mais attention, le diable est dans les détails, il faut être professionnel ou ne rien faire, les contresens sont autant à craindre que l'absence d'application.

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