"La France peut espérer une prime politique en Libye"

Quelles peuvent être les bénéfices économiques de l'action de la France en Libye ? Le point de vue de Francis Perrin, directeur de la revue "Pétrole et gaz arabes".
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Même s'ils ont démenti avoir discuté de contrats, la visite de Nicolas Sarkozy et du Premier ministre anglais David Cameron avait-elle des arrières-pensées économiques ?
Il est évident que la France cherche à mieux placer ses entreprises en Libye et que les contrats liés à la reconstruction du pays sont dans la tête de tout le monde. On imagine mal que ces questions n'aient pas été évoquées. Néanmoins, on ne peut pas dire que l?intervention du gouvernement français en Libye ait eu pour objectif principal de renforcer la présence économique de la France dans ce pays. Je crois qu?il s?agissait avant tout d?une question politique et que la démarche de défendre des valeurs a joué un rôle prépondérant dans l?action de la France. Par contre, cela n?empêche pas de penser aux enjeux économiques. La France espère évidemment tirer parti de son engagement militaire en faveur des rebelles libyens pour obtenir de nouveaux contrats, notamment dans le secteur du pétrole, dont le potentiel n?a pas été complètement exploité sous Kadhafi, mais aussi pour les infrastructures qu?il faudra reconstruire. Mais la France aurait tort de considérer que son aide décisive à la libération libyenne va se traduire par une avalanche de contrats fabuleux sur les entreprises françaises.

Pourquoi ?
Le CNT lui-même a annoncé que les alliés de la Libye seraient "privilégiés" pour les futurs contrats? Ce n?est pas aussi simple. C?est comme le fameux document signé par les rebelles libyens qui prévoyait que 35% de l?exploitation du pétrole serait réservée aux entreprises françaises. Ce document, qui a été probablement gribouillé sur un coin de table, est d?une absurdité totale, d?autant plus que c?est irréalisable. Aucun gouvernement libyen ne sera sentira lié par un tel engagement, vous pouvez en être sûr. Il faut aussi garder en tête les intérêts libyens. Tout d?abord, il faut sécuriser le pays et remettre le plus vite possible les infrastructures et les installations pétrolières en état de marche pour faire redémarrer l?économie. C?est la première phase. Elle prendra du temps et n?implique pas de nouveaux contrats pour les entreprises étrangères, car le futur gouvernement va se tourner, en toute logique, vers les entreprises déjà implantées en Libye avant le conflit et ainsi honorer les contrats déjà signés, que ce soit avec les entreprises françaises comme Total ou les sociétés italiennes, espagnoles, britanniques, américaines, canadiennes, turques ou émiraties, qui sont très bien implantées dans le pays. Ce ne sera que dans un second temps qu?une nouvelle politique se mettra en place en ce qui concerne les investissements, la reconstruction et l?exploitation des matières premières, notamment pétrolières et gazières. Mais cette politique, différente de celle qui prévalait sous Kadhafi, ne favorisera pas forcément la France ou le Royaume-Uni au détriment de la Chine ou de la Turquie. Les affaires sont les affaires, et l?intérêt de la Libye est d?avoir les meilleurs contrats possibles. Les Libyens sont d?ailleurs réputés pour imposer des conditions difficiles aux entreprises étrangères, et il n?y a pas de raison que cela change. La Libye est un pays riche qui n?a pas besoin de faire des cadeaux pour attirer les entreprises étrangères. La concurrence sera toujours aussi rude.

Dans ces conditions, que peut espérer la France en "récompense" de son investissement pour libérer la Libye de Kadhafi ?
Les contrats ne vont pas pleuvoir sur la France, mais cela ne veut pas dire que les entreprises françaises ne vont pas être favorisées dans certains cas. A mon avis, si deux offres à peu près équivalentes sont sur la table et que l?une vient d?une société française, il est très possible que l?offre française bénéficie d?une "prime politique", c?est-à-dire que les Libyens pourraient choisir l?entreprise française en guise de remerciement pour tout ce que la France a fait pendant la guerre. C?est à mon avis le seul bénéfice que la France peut tirer grâce à la bonne image dont elle jouit. Il faut garder en tête que le futur gouvernement libyen doit prendre en compte ses propres intérêts et ceux de sa population. S?il assouplissait ses conditions pour favoriser telle ou telle entreprise étrangère, la population ne le comprendrait pas.

Le pouvoir français a à c?ur de faire oublier les liens avec Kadhafi ou la visite en grande pompe du colonel à Paris en 2007. La Libye, elle, a-t-elle oublié l?ancienne politique de la France ? Cela pourrait-il lui porter préjudice à l?avenir ?
La priorité pour l?opposition était de se débarrasser du régime de Kadhafi, et la France a aidé à le faire. Les Libyens ont de la mémoire, mais je crois que les actions de la France depuis le début de la crise libyenne ont effacé la politique précédente vis-à-vis de Kadhafi. Que la France ait été proche de Kadhafi dans des conditions discutables fait partie du passé, et la Libye nouvelle n?a aucun intérêt à ne pas passer l?éponge. L?importance pour les Libyens, c?est le présent et l?avenir. Le nouveau pouvoir va être confronté à des impatiences politiques, économiques, sociales de sa population. Il devra retrouver le plus vite possible des infrastructures en bon état de marche, une production de pétrole au moins équivalente au 1,6 million de barils par jour qui étaient produits avant la crise.

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Commentaire 1
à écrit le 16/09/2011 à 14:01
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et si ma tante en avait.... on peut toujiours tirer des plans sur la comète, mais rien n'est moins sûr. Rappelons que la France a financé la guerre d'indépendance desd États-Unis contre l'Angleterre et que peu de temps après leur indépendance les Amé...

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