Pas de gaz russe ou de Trump dans les municipales

ANALYSE. En décembre prochain, juste avant les municipales, le contrat de transit du gaz russe à travers l'Ukraine vers l'Europe prendra fin. Dans quelle condition ce contrat sera-t-il reconduit ? Par Didier Julienne, spécialiste des marchés des matières premières (*).
Didier Julienne
Pour éliminer les risques de perturbations et prouver plus que par le passé la fiabilité de ses livraisons, Moscou dispose de réservoirs déjà pleins de gaz dans l'est de l'Europe.
Pour éliminer les risques de perturbations et prouver plus que par le passé la fiabilité de ses livraisons, Moscou dispose de réservoirs déjà pleins de gaz dans l'est de l'Europe. (Crédits : © Gleb Garanich / Reuters)

Trois mois avant les municipales françaises, en décembre 2019, dans 70 jours, le contrat de transit du gaz russe à travers l'Ukraine prendra fin. Sans préjugé de la forme de sa reconduction, à la même époque le nouveau gazoduc Nord Stream 2 reliant directement la Russie à l'Allemagne sera opérationnel.

En prévision de ce relais, pour éliminer les risques de perturbations et prouver plus que par le passé la fiabilité de ses livraisons, Moscou dispose de réservoirs déjà pleins de gaz dans l'est de l'Europe. L'enjeu est bien que la Russie participe sans accroc à l'éclairage, la cuisine et au chauffage de notre continent l'hiver prochain. Par la suite, le gaz européen abordera plusieurs croisements historiques.

Concurrence entre gaz russe et gaz de schiste étatsunien

Le premier de ces carrefours est favorable à la consommation de gaz en général. C'est en Allemagne la poursuite de la décrue du nucléaire et le début de l'arrêt programmé en 2038 du charbon/lignite. Le gaz de Moscou arrive donc juste à temps via Nord Stream 2.

Le deuxième croisement est défavorable au gaz russe au fur et à mesure qu'il sera concurrencé par la progression des livraisons de gaz de schiste étatsuniens en Pologne et en Ukraine notamment. Cette concurrence gazière, s'exprimera par une compétition sur les prix, sauf s'il a connivence, et rouvrira au milieu de notre continent une guerre froide entre Washington et Moscou. Certains combattants, en faveur de l'un ou de l'autre, seront les différentes politiques et autres populismes énergétiques européens. Les manœuvres de l'OTAN seront probablement un baromètre de ces tensions.

La question de la neutralité climatique en Allemagne

Le troisième carrefour est très défavorable au gaz en général. Le premier consommateur de gaz européen, l'Allemagne, présentant fin septembre 2019 son nouveau plan énergétique précisait que ce dernier orientait le pays vers zéro émission de carbone en 2050. En fin de sa première étape en 2030, il indique que les capacités d'électricité renouvelable seront passées de 50 % à 75 % des capacités totales et 65 % de l'électricité produite en Allemagne sera verte, contre 40 % aujourd'hui. Puis la seconde étape s'achèvera en 2050 par la neutralité climatique.

Ici, il ne faut pas confondre les discours et la réforme ; il est fort possible qu'en 2050 un affrontement entre les gaz russe et américain soit toujours au centre des municipalités allemandes, car comment faire plus d'ENR en Allemagne en 2050 ?

Déjà 30.000 éoliennes en Allemagne... mais il en faudrait 46.000 de plus

Sur les 209 GW de capacités électriques allemandes disponibles en 2019, d'ici quelques années la disparition du nucléaire et du charbon/lignite enlèveront 53 GW. Simultanément, 80 GW de capacités solaire et éolien seront ajoutés d'ici à 2030. C'est-à-dire que dans les 10 prochaines années Berlin doit planter l'équivalent 13.000 éoliennes géantes de 6 MW ou 6.500 supergéantes de 12 MW. Puis, la seconde phase 2030-2050 verra les capacités berlinoises doubler vers les 400 GW, c'est-à-dire l'équivalent de 33.000 nouvelles éoliennes de 6 MW ou bien 16.500 de 12 MW.

En 2019, il y a déjà près de 30 000 éoliennes déjà installées en Allemagne, je refuse d'imaginer où et comment seraient installées ces 23.000 ou 46.000 supplémentaires dès lors qu'elles sont de plus en plus refusées par les populations rurales en Allemagne, tout comme en France, au Royaume-Uni, en Norvège...

Vers l'installation massive d'électricité renouvelable urbaine ?

Toutefois, tout ne sera pas éolien puisque le plan de Berlin prévoit également du solaire. Mais le problème restera le même quant à l'implantation rurale. L'éolien maritime ayant également des limites techniques et environnementales, il reste comme solution l'installation massive d'électricité renouvelable urbaine.

C'est ici que nous arrivons vers les municipales françaises. Fort heureusement notre pays continuera de produire de l'électricité nucléaire car, ce qui fait l'intérêt d'une énergie, c'est son stockage. L'uranium ou les hydrocarbures stockent l'énergie dans la matière elle-même. Elle est consommable à la demande. Le soleil brûle constamment et le vent est inépuisable, mais ni l'un ni l'autre n'apportent de solution miracle, car ils ne stockent pas une énergie utilisable en juste à temps. C'est au consommateur de s'adapter par un stockage de seconde main sous la forme de batterie métallique, hydrogène, barrage hydraulique, etc.

Chacun sait qu'il nous sera impossible de produire en France 50% de notre électricité renouvelable avec les mêmes recettes qu'outre-Rhin. Notre ruralité est différente et nos fonds marins également. Pour ces raisons, pour éviter l'affrontement gazier européen, plus qu'en Allemagne, nos grandes villes régionales et Paris devront secourir la ruralité blessée par des balafres d'éoliennes malheureuses en s'engageant dans la production massive d'électrique urbaine.

 Bientôt, le temps des maires mathématiciens et ingénieurs?

J'ignore si la bonne hypothèse d'ENR citadines doit voir sa production électrique locale être localement distribuée, achetée, vendue, stockée, économisée ou bien consommée par une simple application téléphonique. Mais il me semble que cette question et d'autres sont celles qui se présentent aux maires des grandes villes. Ici, il ne faudra pas se tromper dans les choix de production d'électricité citadine (solaire, éolienne, géothermie, déchets...), de stockage urbain (batteries, hydrogène...) et d'économies d'énergie. À l'image des présidents chinois tous ingénieurs, il me semble que des édiles aux formations scientifiques solides présenteraient l'intérêt de bien comprendre les solutions. Puis de faire les bons choix pour paramétrer dans l'intérieur de la cité une telle transition électrique économique, bon marché, supportable et soutenable.

Dans les métropoles françaises, le temps des maires mathématiciens et ingénieurs est donc probablement venu. Si vous êtes l'un d'entre eux et prochainement élu aux municipales de mars prochain, l'avenir dira si, d'une part la ruralité vous remerciera d'atténuer son fardeau par la production et le stockage d'électricité urbaine, et, d'autre part, si vos initiatives seront suffisantes pour tenir vos villes à l'écart d'un futur affrontement gazier en Europe.

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(*) Le blog de Didier Julienne

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Commentaires 2
à écrit le 25/10/2019 à 19:58
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Pour réduire notre consommation d'électricité, il faut d'abord isoler les constructions dites "passoires thermiques". Ensuite, favoriser l'autoconsommation (installation2Kw environ par appartement/maison) SANS stockage avec une réinjection gratuite s...

à écrit le 25/10/2019 à 19:19
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Concurence du gaz US !Gaz de schiste (et ses couts ) ,transit vers les ports d'expedition ,liquefaction pour le transport maritime et 6000 km en bateau et tout cela en cout $ alors que le gaz russe est trés loin d'avoir tout ses couts et est surtout ...

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