Le Grand Jeu des métaux : l'infox et la Chine, un coupable idéal

SÉRIE D'ÉTÉ (5/7). Depuis l'Antiquité, les pays ou les cités ont développé des stratégies de puissance et d'influence en matière de possession de matières premières. C'est la condition d'une économie et d'un pouvoir forts dans la compétition internationale. Aujourd'hui : pourquoi la Chine focalise toutes les critiques. Par Didier Julienne, spécialiste des marchés des matières premières (*).
Didier Julienne
L'infox reproche cette stratégie de verticalisation à la Chine. Elle n'est pourtant pas nouvelle ! Arcelor-Mittal (en photo, le laminoir de l'usine de Gand, en Belgique) opère ainsi, de mines de fer ou de charbon jusqu'au marketing de l'acier ; le coréen Posco également en fidélisant le minerai de nickel de Nouvelle-Calédonie ; le finlandais Outokumpu en exploitant ses propres mines de chrome pour ses aciers ; le norvégien Norsk-Hydro opère de même avec sa bauxite pour son aluminium ...
L'infox reproche cette stratégie de verticalisation à la Chine. Elle n'est pourtant pas nouvelle ! Arcelor-Mittal (en photo, le laminoir de l'usine de Gand, en Belgique) opère ainsi, de mines de fer ou de charbon jusqu'au marketing de l'acier ; le coréen Posco également en fidélisant le minerai de nickel de Nouvelle-Calédonie ; le finlandais Outokumpu en exploitant ses propres mines de chrome pour ses aciers ; le norvégien Norsk-Hydro opère de même avec sa bauxite pour son aluminium ... (Crédits : YVES HERMAN)

Les infox volent en escadrilles: après l'emprise de l'infox de « l'inobténium » sur la politique  dans l'épisode 4, une deuxième infox fut celles des avancées minières chinoises belliqueuses. Comment la Chine est-elle devenue le coupable idéal ?

Premier exemple, avec le cobalt de la République démocratique du Congo (RDC). La Chine importe une grande partie de la production de cobalt de ce pays, premier producteur mondial. Mais de quelle façon l'entreprise chinoise China Molybdenum est-elle devenue propriétaire de la plus grande mine de cobalt de RDC ?

Un simple vente pacifique entre deux sociétés

A-t-elle fait la guerre, a-t-elle demandé à son armée d'intervenir ? A-t-elle colonisé ou envahi ce territoire ? A-t-elle utilisé des réseaux souterrains pour noyauter toute la chaîne de décisions ? Rien de tout cela. China Molybdenum a tout simplement acheté en 2016 cette mine géante à une société minière... américaine basée à Phœnix en Arizona. Une vente pacifique a eu lieu entre deux sociétés qui avaient deux visions stratégiques de développement différente.

Mais, là encore, nul ne dit que cette information factuelle contredit l'infox d'une guerre du cobalt chinois : s'il y avait réellement une guerre du cobalt, pourquoi les États-Unis auraient-ils laissé partir le leader mondial dans des mains chinoises  au lieu de mains amies ? Il fallait donc attendre une initiative privée en 2020 pour démontrer l'infox : parallèlement à l'ouverture d'usine en Chine, Tesla contractait auprès de Glencore, le premier producteur occidental en RDC, suffisamment de cobalt pour sa production de voiture électrique.

La situation était identique alors que, en pleine guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis fin 2018, le premier producteur mondial de lithium, le chilien SQM, voyait 24% de ses actions détenues par le canadien Potash Corp être rachetés par le chinois Tianqi pour plus de 4 milliards de dollars. Tianqi devenait ainsi premier producteur mondial grâce à des investissements dans d'autres producteurs en Chine et en Australie.

Puisqu'il est reconnu que la stratégie minière canadienne est en déréliction depuis la disparition d'Inco, Falconbridge et Noranda, nous pourrions nous interroger pourquoi, s'il y avait eu une guerre du lithium, n'aurions-nous pas assisté à un combat entre une société occidentale et Tianqi pour SQM ? Pourquoi Washington ou l'Europe ne sont-ils pas intervenus ?

La "guerre des lanthanides", une autre fausse vérité

De nouveau, les faits nous indiquent non pas une guerre du lithium, mais une vente pacifique de gré à gré entre deux sociétés, l'inverse est de discourir sur un canular tant qu'aucun État n'aura contré les avancées chinoises.

Autre fausse vérité: la guerre des lanthanides. La Chine produit environ 70% du minerai mondial, ce chiffre est en baisse, et elle les raffine dans ses usines d'affinage. Sur les 30% restant, seuls environ 5% sont raffinés en dehors de la Chine, le reste est exporté vers Pékin et traité dans des usines chinoises.

S'il y avait une guerre des terres rares, quel est ce modèle d'affrontement qui laisserait à l'un des belligérants 95% des matières mondiales ? En outre, que l'un des actionnaires minoritaires de la mine californienne de Mountain Pass soit de nationalité chinoise ne justifie pas que cette mine exporte sa production vers la Chine avec des droits de douane qui étaient portés à 25% au cours la guerre commerciale initiée par Washington.

À la suite de l'épisode Molycorp de 2011-2015, s'il y avait eu un tel conflit des lanthanides, les États-Unis étaient-ils incapables de financer un « effort de guerre » de moins d'un demi-milliard de dollars et 300 emplois, pour produire sur leur sol des aimants permanents à partir du minerai californien ou de celui des gisements situés au Texas, au Colorado, au Wyoming et en Alaska ?

Ce n'est que fin mai 2019 qu'une déclaration du ministère de la Défense étatsunien envisageait de libérer des fonds pour réduire une dépendance aux lanthanides d'origine chinoise, notamment pour les applications militaires, puis que le président Trump émette l'idée farfelue d'acheter le Groenland.

Quant à l'avenir européen, si cette guerre des lanthanides existait, comment la même société chinoise qui a investi dans Mountain Pass aurait-elle réussi, sans opposition européenne, à contracter le minerai d'une future mine du Groenland alors que l'usine française de La Rochelle, plus proche, pourrait le traiter ?

S'il y a eu une bataille dans ce domaine, elle a été pour le moins fugace. Il faut remonter à 2009 pour constater que l'Australie a protégé sa mine de Lynas contre une tentative de rachat par une société chinoise, mais à l'inverse, dans le même pays, le projet minier australien de Yangibana contractait le traitement de sa future production auprès de sociétés chinoises. Une fois encore, la Chine exerce ses stratégies d'influence pour s'approvisionner en lanthanides, tandis qu'aucun pays n'exerce de doctrine minière pour contrer ses accès aux mines ni ses avancées techniques dans le traitement du minerai.

Quand l'infox est démentie par la réalité industrielle

À la suite d'une domination dans certains métaux, l'infox subséquente est la verticalisation chinoise et son hégémonie sur un secteur d'activité. Elle est pourtant fondée sur la réalité industrielle pratiquée par tous, la filière. S'il s'en donne les moyens, celui qui maîtrise l'accès à la production du métal domine la filière industrielle en aval. Depuis trente ans, l'immense bond en avant chinois a nécessité d'importantes quantités de métaux, et la Chine, comme le firent d'autres puissances avant elle et depuis des siècles, a exploité son territoire. Puis elle a importé en prenant des positions industrielles et commerciales dans la métallurgie et les mines de pays étrangers, en prenant le risque de se heurter aux politiques économiques locales. Cette verticalisation, loin de se heurter aux nationalismes des ressources des pays producteurs, a exercé une influence sur leurs stratégies de puissance pour aboutir à des compromis.

C'est ainsi que l'Indonésie a voté en 2009 une loi interdisant à partir de 2014 l'exportation de ses ressources minières sans transformation, notamment vers la Chine. Cette dernière n'est pas entrée en guerre contre Djakarta.

Au contraire, elle a transformé la crise en une opportunité : six années plus tard, en 2020, se sont implantés en aval des mines indonésiennes des entreprises métallurgiques chinoises compétitives. Franchissant les frontières, les industriels chinois ont verticalisé outre-mer de l'extraction de minerais jusqu'à la commercialisation de produit manufacturé au sein d'un même groupe, voire à l'intérieur d'une chaîne d'approvisionnement internationale comme dans le cas de CATL, LG et Tesla en Indonésie. Grâce à l'alliance entre les doctrines minières indonésienne et chinoise, l'Indonésie est et sera désormais un grand acteur mondial du nickel pour l'acier inoxydable et les batteries.

La justesse de la stratégie de verticalisation

L'infox reproche cette stratégie de verticalisation à la Chine. Elle n'est pourtant pas nouvelle ! Arcelor-Mittal opère ainsi, de mines de fer ou de charbon jusqu'au marketing de l'acier ; le coréen Posco également en fidélisant le minerai de nickel de Nouvelle-Calédonie ; le finlandais Outokumpu en exploitant ses propres mines de chrome pour ses aciers ; le norvégien Norsk-Hydro opère de même avec sa bauxite pour son aluminium ; Michelin cultive ses plantations d'hévéas pour ses pneus ; Bonduelle achète des terres agricoles pour ses légumes ; le russe Rostec regroupe la métallurgie de l'armement et exploite ses propres mines de cuivre, d'or, de niobium et de lanthanides ; Nestlé fidélise des producteurs de café pour ses capsules ; l'électricien RWE consomme sa production de lignite dans ses centrales électriques, Engie fait de même avec son gaz naturel. De leur côté, des constructeurs automobiles chinois ou japonais ne font pas autre chose en contrôlant la filière, de la société minière exploratrice de lithium ou de cobalt jusqu'à la commercialisation de voitures électriques.

Maîtriser l'amont pour mieux jouer un rôle en aval, la réalité de la verticalisation contredit l'infox d'une hégémonie innovante de Pékin, notamment dans le véhicule électrique. Là encore, la Chine comble le vide laissé par l'absence de nos doctrines minières et peut abaisser le coût de production global du pays. D'ailleurs, les professionnels des métaux critiques et stratégiques observent depuis déjà longtemps que les initiatives chinoises dans ce domaine provoquent des « concurrences capitalistes » entre entreprises privées chinoises elles-mêmes, renvoyant la conspiration d'une stratégie chinoise misanthropique vers son origine, le canular.

Par la suite se succèdent diverses infox, telle celle opposée à l'économie circulaire qui cherche à nuire à la voiture électrique en affirmant que les « batteries rouges chinoises des voitures vertes électriques » ne sont pas recyclables. Au contraire, en Europe les circuits de collecte de ces batteries d'origine asiatique et équipant des véhicules européens sont quasiment tous au point, l'incitation est normative plutôt qu'économique ; le démembrement des modules est consommateur de main-d'œuvre et réclame un minimum d'automatisation ; ensuite, le raffinage des métaux étant largement connu, la filière gagnera en rentabilité au fur et à mesure que les volumes à recycler seront disponibles.

Arrêtons là ces interrogations d'infox. Bien que curieusement toutes désignent un seul coupable, la Chine, elles démontrent qu'elle n'a pas initié de guerre métallique, qu'elle a au contraire pacifiquement et commercialement gagné des accès à des mines à cause de la vacuité de nos propres doctrines minières ; mais la question qui s'impose est celle-ci : pourquoi ces infox, qui ont joué sur l'ignorance, l'émotion, et sont célébrées chez des néophytes désireux de recevoir une information ne confortant que leurs croyances établies, pourquoi se sont-elles regroupées en un mythe de « guerre des métaux » ? Quelles qu'en soient les causes, cette légende confortant la croyance d'un conflit s'est installée dans les cerveaux comme dans des nids d'oiseaux absents.

Retrouvez, chaque mercredi, un épisode de notre série d'été : "Le Grand Jeu des métaux" avec notre expert Didier Julienne.

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(*) Didier Julienne anime un blog sur les problématiques industrielles et géopolitiques liées aux marchés des métaux. Il est aussi auteur sur LaTribune.fr.

Didier Julienne

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Commentaires 6
à écrit le 29/07/2020 à 22:05
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Les chinois ont un savoir commercial que nous n'avons pas, je vois à l'île de la Réunion ou presque tout le commerce est Chinois il est facile d'acheter un très beau pickup chinois avec plein de chromes introuvable en France pour un prix très raisonn...

à écrit le 29/07/2020 à 18:09
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poser la question inverse est plus logique pour quelle raison les dirigeants de la france ont failli a garder des entreprises stratégique pas pour l'économie et moins encore pour les couts de production mais pour celle de se remplir les poch...

à écrit le 29/07/2020 à 15:34
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La principale différence entre les compagnies minières occidentales et chinoises se situe au niveau financier : les entreprises anglo saxonnes sont focalisées (obnubilées ?) par le retour pour l'actionnaire et la valeur en bourse, alors que les compa...

à écrit le 29/07/2020 à 15:01
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Le titre est tendancieux : La Chine = COUPABLE TOUT COURT !

à écrit le 29/07/2020 à 14:58
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La main basse sur le Tibet et le déplacement de 80% de sa population grâce au train construit à une vitesse "d'enfer", permet à la Chine de s’enorgueillir indûment de ses richesses minières. Cet Anscluß ne lui portera pas chance.

à écrit le 29/07/2020 à 12:31
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Vous oubliez de mentionner le dumping dans votre démonstration.

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