Voter une seconde fois pour une communication transgressive  ?

OPINION. La communication politique du président Emmanuel Macron dans sont exercice du pouvoir a connu de nombreuses vicissitudes. Elle se caractérise surtout par un écart entre la parole et les actes réformistes. En la matière, notamment dans la Ve République, l'attitude du Général de Gaulle reste une référence. Par Didier Julienne, Président de Commodities & Resources » (*).
Emmanuel Macron à Saint-Cirq-Lapopie.
Emmanuel Macron à Saint-Cirq-Lapopie. (Crédits : Reuters)

La démocratie, c'est accepter de perdre des élections  ; la politique avec le pouvoir, c'est l'action et la réforme ; la politique seule, c'est communiquer.

Parfois, la réforme ne fonctionne pas, comme on l'a vu avec Emmanuel Macron : départ du Chef d'État-Major des armées, taxe sur les carburants et gilets jaunes, réforme des retraites et âge pivot, affaire d'un garde du corps, atermoiements sur les masques-dépistages-autotests-confinements-vaccins et la crise du Covid-19, écrasement des corps intermédiaires, startup nation et la Seine-Saint Denis « californienne », ministres en foule sur les listes des régionales, diktat écologique des éoliennes, etc.

Michel Audiard président ?

Dans l'opposition, la politique sans le pouvoir, c'est la communication avec ses codes ; avec le pouvoir de gouverner, la politique c'est l'action et la réforme. Mais si cette action s'embourbe et la réforme s'enlise, la politique est esseulée, et parfois, en voulant fracturer la serrure de la réforme, elle devient communication transgressive : « je suis votre chef », « les gaulois réfractaires », « s'ils veulent un responsable il est devant vous, qu'il vienne le chercher », « les gens qui ne sont rien », « la France irréformable », « je traverse la rue et je vous en trouve », les formules d'Emmanuel Macron n'ont pas manqué.

Je ne crois pas que Michel Audiard eut été un excellent président, car la communication transgressive est rarement performative. Les mots d'un maire sont performatifs lorsqu'ils changent instantanément deux célibataires en un couple, parce que l'édile en a l'autorité et les deux mariés souhaitent à cette transformation.

« La réforme, oui, la chienlit, non »

Mais si la communication stigmatise l'autre, si elle a perdu patience, elle devient creuse, désorganisée ou se transforme en une légende d'images. Incomprise, provocante, repoussée, combattue parce qu'elle ne fédère pas, ne réconcilie pas, ne rassemble pas, cette communication oppose les Français entre eux, les divise. Dans une crispation généralisée, la sensibilité du pays est heurtée et provoque la désillusion. Parfois, la communication déboussole comme une mise en scène à la mode YouTube où, peu à peu, ses mots perdent toute puissance et consistance. Atteignant ce stade, ils ont la forme du paraître, d'un jeu ou d'un spectacle et semblent prononcés sous la forme de l'indifférence. Le décalage est tel avec les actions qui s'ensuivent, que celles-ci apparaissent petites, jamais à la hauteur des enjeux ni à la mesure de la transgression d'origine. La suppression de l'ENA, le démantèlement des grands corps d'État et des corporatismes sont sans doute des actions nécessaires, mais comparées aux crises, ces réformes apparaissent décalées, anachroniques, prétentieuses, arrogantes ou relevant de l'amateurisme. En un mot, sans grandeur, l'efficacité de ces actions sera immanquablement questionnée.

La communication transgressive est rarement performative et, finalement, c'est l'autorité qui est perdue. C'est ici que pouvoir et violence se confrontent aux limites naturelles de la légitimité, aboutissant parfois à l'illégalité, c'est-à-dire dans le nulle part démocratique.

« La vie est un combat »

À cette étape du combat, la démocratie sombre dans la neurasthénie, la fille naturelle d'une légitimité transgressée. Dans la Ve République, cette dépression à son moment Godwin psychoanaleptique : convoquer le Général de Gaulle.

Il transgressa en grand, mais dans l'action. Sauver le pays en s'exilant, en contestant son gouvernement n'était pas rien, mais sa supériorité propre effaça toute suspicion. Le courage, la vision et le résultat de sa transgression devinrent sa légitimité parce qu'il ne s'opposa ni au pays ni à ses habitants, mais à sa tête qui avait capitulé face à l'ennemi.

Réformer nécessite-t-il d'avoir une légitimité électorale fortifiée d'une légitimité supérieure provenant de l'âge, de l'expérience, de la connaissance, de la sagesse, de l'histoire, ou de tout cela à la fois ? À distance dans le temps, la légitimité gaullienne du suffrage universel apparaît plus faible que celle obtenue par l'histoire. La seconde, grande, puissante et historique abritait la première et lui conférait l'autorité indiscutable du chef, celle qui s'exerçait sur les fonctions régaliennes sans avoir à le dire ni le réclamer, puisqu'elle était réelle. Cette symbiose entre les deux légitimités ouvrit naturellement la porte à de solides réformes et, par conséquent, sa communication fut factuelle, mais rarement transgressive.

Même si le temps passe, les bonnes recettes sont éternelles. « Pourquoi voulez-vous qu'a 67 ans, je commence une carrière de dictateur», disait le Général. Comme en 1958, aurions-nous  besoin d'un « vieux schnock » dont les rares transgressions publiques savaient amuser, rassurer et préparer la réforme, parce qu'elles étaient tangibles ou bien tournées contre lui-même et non pas contre les Français ?

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(*) Didier Julienne anime un blog sur les problématiques industrielles et géopolitiques liées aux marchés des métaux. Il est aussi auteur sur LaTribune.fr.

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Commentaires 3
à écrit le 07/06/2021 à 11:12
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C'est vrai qu'on aura bien rigolé avec la comm de notre Juju. Vous vous souvenez au début, son hélitreuillage, son discours déguisé en hot shot, ses séances de signature où il singeait trump, le coup où ils avaient coupé les pieds de la chaise à griv...

à écrit le 07/06/2021 à 11:00
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Tout est dit dans la première phrase. Tout au plus pourrait on ajouter que le mal se trouve niché dans les éléments de langage, qui ne sont ni plus ni moins que de la manipulation, ce qui de fait transforme la politique en une vaste escroquerie.

à écrit le 07/06/2021 à 10:10
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Les États Unis ont exécuté TINA en place publique voyant bien que c'était la sécurité de leur pays qui en était directement menacée mais l'UE, toujours avec ses dix ans de retard, lui est toujours entièrement soumise.Dans ces conditions là il est pré...

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