Pourquoi le Maroc mise sur l’Afrique, avec une politique du « spectre complet »

Politique, commercial, culturel et spirituel, l’ancrage du Maroc en Afrique revêt aujourd’hui un aspect économique, social et humain de plus en plus prééminent. C'est là le résultat d'une stratégie globale à l'adresse du continent, engagée depuis une décennie, et qui renoue les fils d'un rayonnement multiséculaire. Par Abdelmalek Alaoui, PDG de Guepard Group (Rabat), Expert en géoéconomie.
Abdelmalek Alaoui, PDG de Guepard Group (Rabat), Expert en géoéconomie.

L'enracinement du tissu entrepreneurial marocain en terre africaine est aujourd'hui substantiel et continue de monter en puissance : 42 % des flux d'investissements directs étrangers (IDE) marocains sont destinés à l'Afrique ; les opérateurs marocains dans les secteurs de la banque et de l'assurance sont présents dans 25 pays du continent ; et l'investissement des entreprises marocaines en terre africaine est plurisectoriel.

Ce dernier, bien que majoritairement tourné vers les services, concerne autant les secteurs de la finance et de l'industrie que les domaines structurants pour le développement des territoires africains que sont l'énergie, l'eau, le transport, le logement social, la santé et l'éducation.

Or, au cours des dix dernières années, beaucoup de choses ont été dites sur la progression spectaculaire de la politique économique marocaine en Afrique.

Le royaume a ainsi été qualifié tour à tour de « champion des services financiers » grâce à l'implantation et la progression de ses institutions bancaires, de « garant de la sécurité alimentaire » à travers les partenariats continentaux de l'Office chérifien des phosphates (OCP), de « bâtisseur en chef » grâce à ses grands groupes immobiliers, ou encore de « pionnier » des télécoms, avec l'aventure africaine de Maroc Telecom. Beaucoup de choses ont également été dites sur la stratégie poursuivie par Mohammed VI, qui serait un mélange de partenariat Sud-Sud et de pragmatisme économique.

Les médias ont ainsi régulièrement qualifié cette stratégie de « soft power », de « projection de puissance », ou encore de « diplomatie économique ». Enfin, certains ont voulu voir dans cette offensive marocaine sur le continent la continuation d'une politique d'influence visant à isoler les adversaires politiques du Maroc sur le dossier du Sahara en préemptant l'économie, domaine plus pérenne que les alliances circonstancielles.

Un acte conceptualisé et projeté sur le long terme

Derrière les mots et les raccourcis, l'ensemble de ces éléments participe probablement à dessiner la politique africaine contemporaine du Maroc, mais il ne renseigne cependant pas sur le dessein africain du royaume et ses motivations profondes. Avant d'autres pays, le Maroc a discerné une opportunité en Afrique, là où la plupart ne voyaient qu'un risque.

En effet, dans un monde global mais inégal, où le court-termisme s'est érigé en règle, investir en Afrique et s'investir pour le développement du continent est d'abord un acte de leadership sur les temps longs.  C'est un acte conceptualisé, dessiné, voulu et exécuté par le chef de l'État, qui a été au cours des années récentes à la fois l'ouvreur de piste et le porte-étendard de cette politique qui consiste à redonner de « l'avenir au présent ».

L'un des actes fondateurs de ce retour du Maroc sur la scène continentale est un méga-investissement national, consenti par le pays au début des années 2000 : le port géant de Tanger-Méditerranée. De nombreux experts avaient alors tenté de décourager le pays de se lancer dans une telle aventure, mettant en avant le coût, doutant de l'opportunité et de la pertinence.

La Tribune Afrique

Cet article est issu du nouveau supplément de La Tribune Hebdo (n° 142 du 18 septembre 2015), LA TRIBUNE AFRIQUE.

Dix ans plus tard, le pari est gagné, avec l'arrivée d'acteurs majeurs tel que Renault Nissan, qui a implanté dans la zone un site industriel d'envergure, faisant de Tanger Med le premier port africain à vocation globale. À la fois ouverture vers la Méditerranée et point d'entrée vers l'Afrique, le site est devenu incontournable sur le plan géoéconomique, encourageant un second constructeur automobile, Peugeot, à installer sa future usine non loin de là, à Kénitra.

La vision du Maroc en Afrique se nourrit également d'une frustration, celle que le découpage de la région en zone Mena et Afrique subsaharienne - décidé hâtivement par quelques diplomates américains au début des années 2000 - constitue une absurdité pour tous ceux qui connaissent les liens historiques, économiques, commerciaux, culturels et cultuels qui lient le Maroc au reste du continent.

Parler affaires, mais aussi au cœur et à l'âme

Dans ce cadre, les images d'Épinal largement ressassées des caravanes marocaines qui reliaient Dakar, Tombouctou, et d'autres cités africaines à la pointe nord-ouest du continent, ne sont donc pas de simples postures ou des rappels d'une histoire entremêlée. Elles constituent l'alpha et l'oméga de la stratégie poursuivie par le Maroc en Afrique, qui est elle-même intimement liée à la structure du pouvoir dans le royaume. Car, pour miser sur l'Afrique, surtout en des temps où l'on assiste à la résurgence de conflits et de menaces sur la paix et la stabilité, le Maroc ne pouvait se permettre de compter uniquement sur ses entreprises.

Quoique nécessaire, leur action était forcément limitée. Il fallait donc investir d'autres domaines, qui ne parlent pas uniquement au portefeuille, mais également au cœur et à l'âme. C'est là l'essence même de l'action substantielle en faveur de la formation à grande échelle des imams. Rabat accueille ainsi depuis peu le premier centre de formation d'Afrique, qui a nécessité un investissement de plusieurs dizaines de millions d'euros. Ce dernier vise à promouvoir l'« Islam du milieu » auprès des imams du monde entier - dont 500 Maliens - afin de participer activement à la lutte contre toutes les formes d'obscurantisme, terreau des extrémismes et du terrorisme islamiste. En agissant aux racines du mal, Rabat souhaite ainsi se positionner en amont de la production de pensée et participer à l'éradication de l'obscurantisme.

Pays pourtant dépourvu d'hydrocarbures, le Maroc n'hésite pas à solliciter ses moyens financiers limités lorsqu'il s'agit d'exprimer une nécessaire solidarité continentale en déployant par exemple des hôpitaux de campagne dans les zones de conflit, ou en adressant des avions chargés de denrées alimentaires à la suite d'une catastrophe naturelle ou humanitaire.

Là aussi, d'aucuns pourraient voir dans ce déploiement un « investissement » qui servirait d'autres intérêts, notamment économiques et commerciaux. En réalité, cela participe à la définition d'une politique étrangère africaine qui ambitionne de couvrir un « spectre complet » : sociétal, politique, économique, spirituel, diplomatique et culturel.

Un acteur modérateur et de convergence globale

Pour le Maroc, il s'agit vraisemblablement d'une rupture par rapport à la stratégie mise en place depuis l'indépendance et jusqu'à la fin des années 1990, qui se construisait d'abord sur un « bilatéralisme actif », et n'appréhendait que sommairement la dimension globale de l'investissement sur le continent. Dans le prolongement de cette politique, le Maroc souhaite également jouer un rôle d'agent de convergence à travers sa place financière panafricaine, Casablanca Finance City, et sa compagnie aérienne, Royal Air Maroc, qui ambitionne de faire de la capitale économique un véritable carrefour continental.

Les enjeux de l'intégration sont en effet énormes car l'Afrique de l'Ouest souffre encore de fragmentation chronique. En créant des institutions qui permettent de toucher l'ensemble de l'Afrique à partir de Casablanca, Rabat parie sur le fait que les multinationales seront plus enclines à installer la base de leurs opérations à partir d'un pays qui jouit de la sécurité de ses institutions, de la stabilité et d'un taux de croissance attractif. Jusque-là, tout indique que ce positionnement est porteur d'avenir, même si une intensification des investissements doit être mise en place afin d'atteindre la taille critique. Le prochain chantier pour le Maroc sera donc celui de la massification et de la systématisation du réflexe Afrique.

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> Retour au sommaire du dossier « Le Maroc, porte d'entrée royale en Afrique »,

de notre supplément LA TRIBUNE AFRIQUE de LA TRIBUNE Hebdo n°142 du 18-24 septembre 2015.

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Commentaire 1
à écrit le 07/12/2022 à 18:08
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Vous parlez du Maroc comme un pays extérieur du « contient africain » et ne faisant pas parties des « terres africaines ». Désolé de vous l’apprendre, le Maroc est un pays d’Afrique 😭

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