Le Web de demain

Le Web vient de souffler ses 30 bougies. Après l’euphorie des premières années, l’image du Web s’est nettement ternie. Le temps d’un « nouveau Web » est-il advenu ? Par Philippe Boyer, directeur de l’innovation à Covivio.
Philippe Boyer
Philippe Boyer.
Philippe Boyer. (Crédits : DR)

La célébration du trentième anniversaire de la naissance du World Wide Web aura au moins permis que l'on se remémore les grandes étapes de cette technologie qui fait désormais totalement partie de notre quotidien. En ce mois de mars 1989, rien n'était gagné pour Tim Berners-Lee, physicien britannique employé au CERN (Conseil européen pour la recherche nucléaire), lorsqu'il eut l'idée de relier des informations grâce à des liens renvoyant les uns vers les autres. Son supérieur hiérarchique annota son projet d'un prémonitoire «vague, mais excitant».

Une année plus tard, la première page Web était créée. On connait la suite : des pages qui incorporent des images fixes (1992) puis des images animées (1993, année de la webcam qui diffuse 3 images par minute!). Douze années plus tard, YouTube prendra son envol. Entretemps, les naissances se succèdent et le Web conquiert la planète : création de Yahoo ! et du futur géant du commerce en ligne Amazon (1994), apparition du navigateur Internet Explorer et lancement du site d'enchères en ligne Ebay (1995), création de Google dans un garage californien par deux étudiants de Stanford (1998), lancement de l'encyclopédie collaborative Wikipedia (2001), création de Facebook par un certain Mark Zuckerberg qui eut l'idée de créer un trombinoscope en ligne (2004), premier tweet de Jack Dorsey, alias @jack, cofondateur de Twitter (2006)... la liste est longue de toutes les autres initiatives, commerciales ou non, qui ont permis à la Toile mondiale, qui connecte à présent la moitié de l'humanité, de fêter son trentième anniversaire. Pourtant, le « papa » de l'internet n'est pas d'humeur à célébrercet évènement.

Créature devenue incontrôlable

Tel Frankenstein, ce mythe moderne qui relate l'histoire d'un monstre créé par un savant fou à partir de l'électricité, le Web serait-il devenu une créature incontrôlable ? C'est ce que pense Tim Berners-Lee, fondateur de la World Wide Web Foundation. Parti en croisade pour dénoncer les dérives du Web, celui-ci confia être« dévasté » par les traits actuel de son invention : « Le Web est devenu un espace public, une bibliothèque, le bureau d'un médecin, un magasin, une école, un studio de design, un cinéma, une banque, et bien plus encore. Avec chacune de ces nouvelles fonctionnalités, avec chacun de ces nouveaux sites, une fracture s'opère entre ceux qui sont en ligne et ceux qui ne le sont pas. Il est impératif de rendre le Web accessible à tout le monde. »

Ce n'est pas la première fois que Tim Berners-Lee expose ses doutes. Ses prises de parole ayant presque toutes portées sur la mise en lumière des trois périls qui, à ses yeux, sapent la confiance numérique dans le réseau. D'abord, le fait qu'il soit si facile de propager des infox sur le réseau et d'illustrer cela: « En exploitant cette science des données et des armées de robots, des personnes mal intentionnées peuvent truquer ce système pour répandre la désinformation à des fins de profits financiers ou politiques ». Ensuite, l'emprise d'une poignée de plateformes qui drainent des flux considérables d'informations en provenance des internautes. Ces plateformes (Amazon, Google, Facebook....) influencent près de 70 % du trafic en ligne. Et enfin, troisième « péril » et non des moindres, la réduction des libertés des internautes via les menaces qui pèsent sur le sacro-saint principe de neutralité du Net. En clair, s'assurer que l'ensemble des contenus ne soient pas segmentés par les opérateurs au risque de se retrouver avec un internet « saucissonné » entre des internautes ayant accès à tout et d'autres, qui auraient une information parcellaire.

Restaurer la confiance

Au fond, ce que Tim Berners-Lee déplore n'est rien d'autre qu'une perte de confiance généralisée dans le WebLes récentes fuites massives de données ne militent évidemment pas en faveur d'une confiance aveugle aveugle dans le réseau et encore moins quand il s'agit des GAFA. Or la confiance est devenue un enjeu majeur de nos sociétés dopées au numérique et à la communication en ligne. Il faut avoir confiance pour voter en ligne ou donner son numéro de carte bancaire. Force est de constater qu'au-delà des scandales sur la captation de données individuelles, le Web n'inspire plus confiance. Qu'il s'agisse de l'omniprésence des algorithmes qui nous enferment dans des choix non toujours voulus ou encore des problèmes de sécurisation des grandes plateformes, la confiance se transforme en défiance même si, étonnant paradoxe, cette nouvelle perception des risques ne freine pas pour autant l'usage.

Que faire ?

Politiques, scientifiques, citoyens... se sont presque tous essayés à répondre à cette question de la confiance à l'ère numérique. Si pour certains il est urgent de « civiliser internet » voire, de « le réguler », d'autres font entendre leurs voix en envisageant de « rebooter » le réseau une bonne fois pour toutes afin qu'au titre des 30 prochaines années, nous ayons enfin le Web dont nous rêvons. Tim Berners-Lee avance quant à lui plusieurs propositions. Si certaines nécessitent de changer les lois, d'autres reposent sur le fait de revoir la manière dont nous codons ou nous imaginons des services en ligne.

Trente années jour pour jour après la création de «son» Web, Tim Berners-Lee reprenait la parole en appelant de ses vœux l'avènement d'un «nouveau contrat pour le Web», celui-ci devant permettre aux gouvernements, aux entreprises et aux citoyens d'avoir (enfin) voix au chapitre et de décider des principes fondateurs du Web, en consacrant par exemple un droit fondamental au respect de la vie privée. En somme, un bien beau message d'espoir qui pourrait dignement figurer sur l'une ou l'autre carte : celle pour célébrer un anniversaire ou une autre pour souhaiter un prompt rétablissement.

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Philippe Boyer

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Commentaires 2
à écrit le 02/04/2019 à 17:48
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La prise de conscience ( réveil) est de se dire : «  où je veux placer «  internet dans ma vie humaine « ? Sans se perdre , sans se laisser envahir, déborder, surveiller, harceler ? Le choix simple : un «  outil formidable «  à utiliser avec modérat...

à écrit le 02/04/2019 à 9:01
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"Après l’euphorie des premières années, l’image du Web s’est nettement ternie" Non, après la curiosité et l'engouement généralisés qu'à suscité internet, les médias de masse, directement menacés, leur audience s'effritant régulièrement au profit ...

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