L'héritage perdu de Mario Monti

De prime abord, il y a des ressemblances. Un commissaire européen qui s'attaque à un géant des nouvelles technologies en le soupçonnant d'abus de position dominante.
Mario Monti, Commissaire européen à la Concurrence de 1999 à 2004

Le gendarme de la concurrence contre l'Hegemon américain. La première scène s'est jouée en 2001. Mario Monti, après des années de travail acharné à la direction générale de la concurrence, inflige à Microsoft une amende de 899 millions d'euros (record qui ne sera battu qu'en 2009 par l'amende contre Intel de plus de 1 milliard).

Au même moment, il prononce outre-Atlantique un discours remarqué devant l'American Bar Association, où il esquisse une doctrine européenne de la concurrence dans ce que l'on commence à appeler la « nouvelle économie ». Le professeur Monti explique pourquoi son modèle économique particulier exige une action vigoureuse.

Les rendements ont tendance à y être croissants, contrairement à ce qui fut le cas dans la « vieille économie », autrement dit l'industrie. Et ils génèrent ce faisant des rentes (comme ce fut le cas pour le système d'exploitation, les suites logicielles et le navigateur de Microsoft) qui facilitent le transfert d'une position dominante dans un marché sur un autre.

Le Vieux Continent prétendait occuper une place intellectuelle prépondérante dans cette terra incognita grâce à l'arme du droit de la concurrence conçu au XIXe siècle et que lui ont légué les États-Unis dans les années 1950.

Avril 2014. Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence, rejoue la scène.

De Bruxelles, elle communique ses griefs à l'encontre de Google, nouvelle puissance hégémonique du monde numérique.

Puis la voilà à Washington et New York. Mais cette fois-ci, la commissaire à la concurrence n'entreprend pas de refondation idéologique.

Que reproche la Danoise au géant de Mountain View ?

D'abuser de sa position dominante en matière de recherche sur Internet pour favoriser ses propres services de vente en ligne... que très peu d'internautes utilisent, comme le lui rappelle sans tarder Edward Black, le patron du puissant groupe de pression des entreprises technologiques américaines. Selon la Commission, la part de marché de Google comme moteur de recherche dépasse les 90 % dans certains pays européens.

Et le fonctionnement de son fameux algorithme favorise son service de commerce en ligne Google Shopping au détriment des autres, notamment de la société Foundem, qui a été l'un des 19 plaignants les plus actifs depuis 2010.

Les avocats du géant américain ont dix semaines pour répondre à la communication de griefs. D'une façon assez classique, ils vont s'en prendre à la définition du marché de la recherche sur Internet.

Mais surtout, ils vont contester que cette domination, qui n'est pas un mal en soi comme l'a admis la commissaire danoise, nuise au consommateur et pas seulement aux concurrents de Google. Cependant, les enquêteurs européens n'ont pas encore réussi à déboucher sur deux autres plaintes, pourtant plus importantes au regard du modèle économique de Google.

Le « scraping », autrement dit la copie de contenus venant d'autres sites, tout en bouleversant l'économie de la presse, résiste à leurs analyses.

En Allemagne, la tentative, portée par Axel Springer, le propriétaire, notamment, du géant Bild, de stopper la mise à disposition gratuite de ses articles, a fait chou blanc.

Aujourd'hui Google est le principal sponsor du nouveau média créé à Bruxelles par Politico et le groupe allemand... La hache de guerre est bel et bien enterrée. De même, les investigations n'ont encore rien donné s'agissant du monnayage des formidables flux de données par Google pour attirer les annonceurs en ligne. Plutôt qu'une redite du cas Microsoft, celui de Google pourrait bien être le signe que les autorités de la concurrence n'ont simplement plus le temps de forger les outils théoriques pour s'attaquer aux modèles de la nouvelle économie.

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Commentaire 1
à écrit le 30/04/2015 à 18:30
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La "refondation idéologique" de la politique de concurrence est utile et nécessaire. Toutefois, elle ne pèsera pas d'un grand poids devant la Cour de Justice européenne. Le dossier Google doit s'en tenir aux aspects juridiques tels qu'ils ressort...

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