La prospérité du «non»

«Qu'un choc sérieux se produise dans n'importe quelle partie de la zone euro, et alors des questions surgiront sur la pérennité de l'union.» L'avertissement vient du président de la Banque centrale européenne. La cause est entendue.
Florence Autret

Depuis le début de la crise de l'euro, tout le monde sait à peu près ce qui manque à l'union monétaire pour s'affermir : un pouvoir politique jouissant d'une légitimité pan-européenne (au lieu de l'espèce de boîte noire qu'est aujourd'hui le conseil des ministres des Finances de la zone euro)... et un budget doté de ressources propres. Mario Draghi martèle que le passage d'une union fondée sur des règles à un système fondé sur des institutions communes ne relève pas d'un choix politique, c'est une question de survie. Parce qu'ils sont censés l'assurer, trois fois déjà depuis le début de l'année, les dirigeants européens ont envoyé leurs sherpas à Bruxelles.

Anonymes hommes en noir, Philippe Leglise-Costa, Nikolaus Meyer-Landrut (nommé depuis ambassadeur à Paris) et les autres sont venus dîner autour de l'éminence grise de la Commission, Martin Selmayr. Le chef d'orchestre de cette rencontre au sommet n'est autre que son président. Jean-Claude Juncker a en effet promis de mettre sur la table en juin une nouvelle version du « Rapport des cinq présidents» (Commission, Conseil, BCE, Eurogroupe et, désormais, Parlement). Le premier, en forme de feuille de route, remonte à la fin 2012. Mario Draghi et Juncker, alors président de l'Eurogroupe, en étaient déjà signataires. Elle s'intitulait «Vers une véritable union économique et monétaire» et esquissait, prudemment, les grandes étapes de ce « saut quantique» que Draghi appelle de ses voeux.

Seulement voilà, à lire la courte note officieuse intitulée «Contribution franco-allemande à l'union économique et monétaire», censée l'alimenter, il semble que la machine à penser l'achèvement de l'union monétaire se soit enrayée. Rien d'autre dans ces trois pages écrites au conditionnel que le déroulé prudent... de la politique de Jean-Claude Juncker. C'est un peu comme si François Mitterrand s'était fait réélire en 1988 en annonçant qu'il « faudrait abolir la peine de mort» ou qu'il « devrait être question de renoncer au socialisme dans un seul pays».

Il n'en fallait pas plus pour réveiller la colère de l'eurodéputé Sylvie Goulard. « Le déni et la paresse», répond-elle quand on lui demande ce que lui inspire le document.

« Il y a un vrai accord pour ne rien faire», dit-elle. Les causes de cette prudence franco-allemande ne sont que trop évidentes. Les sherpas français et allemands avouent leur péché en repoussant toute réforme des traités « après fin 2016». Tout est dit. Les élections françaises et allemandes de 2017 sont comme un plafond de verre sur lequel bute dès aujourd'hui tout projet de réforme ambitieux. À la Commission, on préfère voir les choses autrement. La note est « ambitieuse sur le court terme», assure un haut fonctionnaire. Et de souligner la constellation délicate créée par les élections grecques, puis britanniques. Deux étoiles noires se sont mises à briller au firmament de l'Union, nommées Grexit et Brexit. Ouvrir le sujet d'une réforme du traité sur l'euro, c'est donner des raisons à David Cameron d'espérer plus que quelques aménagements, un traité... pour le Royaume-Uni.

Pour les observateurs extérieurs, l'idée de ce double mouvement, qui scellerait le passage à une Europe à deux vitesses n'est pas une si mauvaise idée. Mais pour Paris, c'est un repoussoir absolu. Le «non» de 2005 au traité constitutionnel a laissé des traces. Au fond, le vrai obstacle au saut quantique appelé de leurs voeux par les «européistes» n'est peut-être ni à Athènes, ni à Londres... mais à Paris. La postérité du «non» est décidément lourde à porter. Angela Merkel l'a bien compris qui, en laissant la porte ouverte à un aménagement du traité à la suite des élections britanniques, met la pression à son ami Hollande.

Florence Autret

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