Epargne : la vertu rétroactive des Cigales, la foi naïve des Fourmis

Par Philippe Mabille  |   |  1117  mots
Le vote de la taxation rétroactive à 15,5% des revenus et plus-values des produits de capitalisation (PEA, PEL, Assurance-Vie) est-elle une rupture manifeste du contrat de confiance avec les épargnants ? Après les "Pigeons", les "Fourmis" se révoltent.

Les députés socialistes ont adopté mercredi soir dans un Parlement à moitié vide la hausse rétroactive des prélèvements sociaux applicables aux revenus capitalisés de tous les produits d'épargne à long terme : assurance-vie, plan d'épargne en actions (PEA), plans d'épargne logement (PEL) et autres plans d'épargne entreprise (PEE). L'effet de cette mesure cachée au détour de la loi de financement de la sécurité sociale est dénoncée par toutes les associations d'épargnants comme un scandale fiscal et une rupture du contrat de confiance entre l'Etat et les contribuables, chez qui règne le ras-le-bol fiscal.

Depuis le 26 septembre 2013, tous ceux qui n'ont pas eu la présence d'esprit d'anticiper ce mauvais coup verront les revenus de leurs placements taxés à 15,5% quelle que soit la date à laquelle ils ont commencé leur effort d'épargne. Auparavant, les contributions sociales étaient applicables au taux de chaque année de leur placement, ce qui permettait de lisser de façon graduelle la hausse continue de ces prélèvements depuis la création de la CSG en 1991 par Michel Rocard. C'est évidemment une prime pour tous ceux qui ont retiré leur épargne avant ce 26 septembre 2013 fatidique.

 La constitutionnalité de cette rupture manifeste d'égalité entre les contribuables sera d'ailleurs contestée… et sans doute validée, comme cela a déjà été constaté dans le passé. Cette mesure a beau trahir la parole donnée par l'Etat, elle n'en est pas moins tout à fait légale dans notre ordre juridique. Tous les gouvernements de droite comme de gauche ne se sont d'ailleurs pas privé depuis quinze ans de bafouer allègrement le principe de non-rétroactivité que dénonce aujourd'hui de façon risible l'opposition UMP. Qui se souvient qu'en 2001, l'ancien député Nicolas Sarkozy avait tenté de faire voter une loi interdisant la rétroactivité de la loi fiscale, loi que non seulement il ne fera pas voter une fois devenu président de la République, mais qu'il a lui-même appliqué avec autant de dextérité que la gauche aujourd'hui.

La Fontaine doit bien rire : c'est l'application, à l'envers, de la célèbre fable de la cigale et de la fourmi.

 A une époque où on incite les Français à investir leur épargne dans le long terme, dans le financement de l'économie productive et donc dans le capital des entreprises privées, où François Hollande accorde un bonus au plafond du PEA qui passera de 132.000 à 150.000 euros, et crée même une nouvelle niche fiscale avec un PEA ciblé sur les PME exonéré d'impôt, mais pas de cotisations sociales, comment ne pas noter la contradiction. Même chose pour l'assurance-vie ou l'épargne d'entreprise, qui n'ont jamais été aussi maltraitées qu'aujourd'hui alors que d'un autre côté on incite les Français à préparer leur retraite et les entreprises à mieux partager leurs profits avec leurs employés, en compensation de la modération salariale.

 Ce qui est choquant dans cette mesure, au-delà de la rétroactivité, c'est son caractère insidieux. La foi naïve des fourmis épargnantes est piétinée. On incite les gens à capitaliser leurs revenus au nom du financement des entreprises et en cas de succès, l'Etat met la main au portefeuille, sans crier garde. Pour qui croit encore à la vertu du contrat, fut-il passé avec un Etat dispendieux et incapable de maîtriser les dépenses publiques, c'est un sacré pied de nez. Car s'il faut contester qu'il s'agisse à proprement parler d'une nouvelle hausse d'impôt (le passage de 10 à 15,5% des prélèvements sociaux sur l'épargne date des années Sarkozy ; Hollande de son côté s'est « contenté » d'en rajouter une couche en alignant la fiscalité des revenus de l'épargne sur celle du travail), il s'agit bien en réalité, pour ceux qui décideraient de réaliser désormais une partie de leurs plus-values, de payer plus de prélèvements qu'avant. Et même beaucoup plus puisque les prélèvements sociaux ont été multipliés par cinq depuis quinze ans... On joue donc sur les mots et sur la « pause » fiscale, qui, on l'a bien compris, n'est qu'une fable à destination des crédules.

 Bien sûr, les produits en question, PEA, PEL, Assurance-Vie, resteront toujours attractifs. Et, d'un point de vue économique, il n'est pas forcément anormal en période de crise, de taxer l'épargne déjà constituée. Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, n'a-t-elle pas plaidé récemment pour une taxation de 10% sur le capital pour rembourser les dettes ? Mais il est plus contestable de le faire ainsi, en catimini, alors que d'autres pistes bien plus vertueuses et en tout cas moins hypocrites étaient envisageables pour financer nos déficits sociaux. D'ailleurs, pour la petite histoire, Marisol Touraine, la ministre des affaires sociales, n'avait absolument pas prévu au départ de proposer cette taxation rétroactive de l'épargne, mais plutôt une hausse d'un demi-point de la CSG et de la CDRS, qui aurait suffit pour remettre à l'équilibre la Sécurité sociale et mettre ainsi fin au trou chronique bien connu.

Cela aurait au moins eu le mérite d'être plus franc et plus juste, puisque tous les Français et tous les revenus auraient contribué. Mais cet arbitrage lui ayant été refusé à la fin août par François Hollande au nom de ce nouveau « ni-ni » qu'est la « pause fiscale », il a bien fallu trouver une autre recette de poche. La taxation rétroactive de l'épargne qui trainait depuis quelques années sur le dessus de la pile des mesures de financement (même la droite avait failli le faire il y a deux ans), a alors été substituée à la CSG. Au passage, un deal a été passé avec la FFSA, le lobby des assureurs : en échange, le gouvernement s'est engagé à ne plus prendre aucune mesure défavorable à l'assurance-vie (promesse de gascon ?). On le vérifiera bientôt lorsque sera créé, dans le collectif budgétaire d'automne, le fameux contrat euro-croissance proposé par le rapport Berger-Lefebvre. On repartira alors pour un tour, en incitant les gens à bloquer leur épargne en échange d'une promesse de bonus fiscal, dont on vient donc de mesurer la solidité. C'est le principal risque de cette hausse rétroactive des prélèvements sociaux : qu'à force de se laisser tondre, les épargnants finissent par ne plus croire dans la valeur de la parole politique. Car, comme l'a dit le bon vieux père Queuille, les promesses n'engagent que ceux qui ont la bonne foi de les écouter. Rarement ceux qui les font…