Retraites : la pire des réformes à l’exception de toutes les autres

VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. La « mère de toutes les batailles » va se jouer dans la rue à partir de jeudi prochain. Jusqu'où ira le bras de fer entre le pouvoir et les syndicats et en particulier entre Emmanuel Macron et Laurent Berger. Le sort du quinquennat se joue sur une réforme des retraites qui paradoxalement ne résout qu'une partie du problème de financement.
Philippe Mabille
(Crédits : Reuters)

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C'est donc parti pour le grand test social du second quinquennat, celui où se décidera le sort d'Emmanuel Macron et l'image de réformateur qu'il laissera ou non dans l'histoire. Ce jeudi 19 janvier, les syndicats unanimes vont lancer les hostilités contre le projet de réforme des retraites présenté mardi par la Première ministre Elisabeth Borne. Nul ne sait encore quelle sera l'ampleur et la durée de la mobilisation mais l'entrée dans le conflit de la CGT Energie, qui avait à elle seule presque arrêté le pays à l'automne en bloquant les raffineries, donne le ton d'une séquence qui inquiète à juste titre le pouvoir, au moment où l'économie montre des signes de fragilité. Le spectre de l'hiver 1995 plane sur le pays, avec une grande inconnue : que se passerait-il si Emmanuel Macron devait reculer ? Dissolution, référendum ou... démission ? Chacun a en tête que se joue en cet hiver 2023 l'issue du quinquennat. En cas de blocage total, ce sera la fin des réformes, avec un Macron réduit à gérer les affaires courantes jusqu'en 2027.

Le souvenir de l'échec de la première mouture de la réforme de 2019, qui basculait l'assurance-vieillesse dans la retraite à points à la scandinave, est dans les mémoires. Abandonné en rase campagne bien que la loi ait été adoptée, officiellement pour cause de Covid, le projet avait conduit à 14 journées d'action successives et sans le confinement, nul ne sait comment les choses auraient tourné.

Il est encore trop tôt pour savoir jusqu'où ira l'opposition à cette nouvelle version de la réforme, mais le fait qu'elle soit « paramétrique » et non pas « systémique » ne change pas grand-chose au fait qu'une large majorité de Français rejette l'idée de travailler plus longtemps. Selon un sondage de l'Institut Montaigne, seulement 7% des actifs sont favorables à un report de l'âge de départ.

Certes, Elisabeth Borne a choisi la version la plus « light », le service minimum, en repoussant à plus tard le report à 65 ans de l'âge légal de départ. Mais en portant déjà de 62 à 63 ans et trois mois celui-ci à la fin du quinquennat, puis à 64 ans en 2030, elle a allumé le feu chez les syndicats qui ont pour la première fois depuis la réforme Sarkozy de 2010 (qui a mis fin à la retraite à 60 ans) ont affiché leur unité.

Dans un climat social déjà tendu sur la question du pouvoir d'achat et des salaires, avec la menace du retour des Gilets Jaunes, la France va donc connaître plusieurs semaines de manifestations et de grèves en particulier dans les transports, au moment même où la croissance ralentit. Dans ce bras de fer, qui risque de rappeler le souvenir de l'hiver 1995 avec les grèves contre la réforme Juppé, le gouvernement a peu de marges de négociation, ayant déjà au préalable beaucoup cédé : il a abandonné les 65 ans, promis à la droite LR en échange de son soutien au parlement la pension minimale à 1.200 euros pour toutes les carrières complètes, reconnu la notion d'usure professionnelle, plus acceptable que la pénibilité pour le patronat, donné de nouveaux avantages aux femmes et aux travailleurs les plus précaires. Rien de tout cela n'a fait vaciller Laurent Berger qui a même dénoncé une réforme injuste prenant l'exact contre-pied de la communication de la Première ministre.

Si, il reste un très gros irritant pour la CFDT, à savoir l'obligation faite aux salariés ayant commencé à travailler entre 18 et 21 ans de cotiser 44 ans, qui crée une curieuse distorsion avec ceux ayant commencé avant 18 ans, qui pourront partir à 60 ans, et ceux partant après 21 ans, qui eux ne cotiseront comme tout le monde que 43 ans, à compter de 2030. Le gouvernement ne s'est pas tellement étendu sur cette singularité qui fait peser une partie du financement de la réforme aux classes moyennes ayant commencé à travailler tôt. Ce point devra être précisé dans l'étude d'impact que doit prochainement délivrer Bercy. Pourrait-il servir de monnaie d'échange avec la CFDT ?

Chacun peut avoir son avis sur la justice de cette réforme. Les uns regretteront que les retraités les plus aisés du papy-boom n'aient pas été mis à contribution alors qu'à l'évidence ils auront profité des meilleurs taux de remplacement à la retraite. D'autres souligneront que la clause du « grand-père » qui exonère les contrats existants pour la fin des régimes spéciaux est une mauvaise manière faite aux « petits-fils », les nouveaux embauchés, qui cotiseront désormais au régime général. Chaque Français va en réalité regarder en quoi il est personnellement impacté - la Cnav propose déjà un simulateur (La réforme des retraites et moi) mais le site est assailli.

D'un point de vue collectif, deux occasions ont été manquées.

La première est l'absence totale de consensus sur la réalité de l'urgence financière à réformer les retraites, alors que c'est une évidence démographique. On sait donc d'ores et déjà que cette réforme n'est pas la « der des der », mais la dernière avant la prochaine. Et que donc, l'horizon réel de l'allongement de l'âge légal de départ à la retraite est plus proche des 67 ans que des 65 ans. Comme l'avait dit Michel Rocard lors de la parution du « livre blanc sur les retraites » publié par le Commissariat au Plan en 1991, « il y a de quoi faire tomber plusieurs gouvernements ».

Il restera donc du grain à moudre pour reprendre l'ouvrage après 2027 pour le ou la successeur/e d'Emmanuel Macron, sachant qu'Edouard Philippe n'a pas caché être pour un passage à terme à 67 ans comme en Allemagne. Pour les oppositions, qui toutes contestent la réforme Borne, l'examen de la loi au Parlement sera aussi un test de crédibilité, sachant que de facto il y a une clause de revoyure à 63 ans et 3 mois, qui sera l'âge légal du départ à la retraite en 2027 pour la génération 1965. Une autre majorité élue démocratiquement pourrait donc en théorie tout à fait en rester là, voire revenir à 62 ans (date non remise en cause par le PS sous Hollande), ou pourquoi pas comme le proposent Marine Le Pen et Mélenchon, 60 ans. Mais alors il faudra expliquer comment le financer autrement que par des hausses d'impôts et des baisses de pensions.

Plus sérieusement, l'autre occasion manquée de ce début sur l'âge de la retraite est tout simplement l'absence de réflexion sur le... travail. Ce n'est pas avec un index du travail des seniors que l'on va changer des décennies de pratiques managériales consistant à se débarrasser le plus vite possible des « vieux ». Il y a pourtant là, entre l'allongement de l'horizon du départ et les transformations du monde du travail lui-même, beaucoup d'opportunités à saisir. La balle est de ce point de vue dans le camp du patronat. Les propositions d'Elisabeth Borne consistant à permettre le cumul emploi-retraite sous différentes formes méritent cependant d'être saluées et font de sa réforme, qui ramène nos régimes vieillesse tout juste à l'équilibre en 2030, en quelque sorte la moins pire dans l'échelle de ce qui était possible de faire compte tenu du contexte politique et des contraintes budgétaires.

Il reste maintenant à espérer que sa mise en œuvre soit accompagnée de la poursuite de la décrue du chômage. Car à défaut, on aura juste ce que dénoncent les syndicats, une montée de la précarité des seniors qui passeront plus de temps à Pôle Emploi en attendant qu'on veuille bien les autoriser à prendre leur retraite sans décote. C'est à cette aune seulement que l'on pourra dire, ou non, que cette réforme est bien une réforme aussi juste que possible.

> Retrouvez notre édition spéciale « Réforme des retraites ».

Philippe Mabille

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Commentaires 33
à écrit le 16/01/2023 à 17:16
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Macron avait écrit Révolution mais quel esprit conservateur !! Pire que Fillon. Il va bien nous rétablir le second empire.

à écrit le 16/01/2023 à 6:44
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En juin 2020, le déficit du régime de retraite était annoncé à 30 milliards d'euros. Et puis finalement se sera 18 milliards d'€uros...après la baisse des dépenses lièes à la surmortalité due à la crise sanitaire. Brillante conclusion, de cette révi...

à écrit le 15/01/2023 à 18:23
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1 ouvrier sur 4 n'atteint pas l'âge de 62 ans et aura cotisé pour les autres citoyens. C'est pour cela que le gouvernement veut faire travailler plus longtemps ceux qui restent, pour pas gâcher la force de travail qui reste et les achever ainsi avan...

à écrit le 15/01/2023 à 17:30
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Le gouvernement est pas foutu de fournir un médecin traitant à chaque français mais il veut organiser à présent des visites médicales pour évaluer l'état sanitaire des ouvriers à la demande du Medef !!!!!

le 15/01/2023 à 21:13
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Cette « réforme dans la réforme » presque personne n’en parle et pourtant il s’agit ni plus ni moins que la mise sous tutelle de la médecine du travail. Tutelle de qui ? Du patronat bien sûr. Un amendement à la réforme des retraites a en effet été p...

à écrit le 15/01/2023 à 16:29
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Vous voulez faire des économies : suppression de l'AME pour les clandestins, 1,8 milliard par an, suppression de l'ASPA pour les salariés étrangers de plus de 65 ans qui n'ont jamais cotisé, 7 milliards d'euros annuels, limitation de la participation...

à écrit le 15/01/2023 à 9:19
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Et la cades ? Les retraites sont-elles un faux problème ? C’est la thèse, qui peut paraître surprenante, défendue par Gilles Raveaud, un professeur d’économie à l’université Paris-VIII. Il a longuement expliqué, sur BFM Business, pourquoi, à son s...

le 16/01/2023 à 8:17
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info très intéressante.. Merci

à écrit le 15/01/2023 à 9:08
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Les syndicats visent à se refaire une beauté avec ces conflits. Mais le risque, pour eux, est bien leur annihilation! Les français ne leur pardonneront pas un conflit dur qui ne résoudra rien. Le « dialogue social », idéal, n’a pas marché, tant les p...

à écrit le 15/01/2023 à 1:22
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Qui peut croire que dans 40 piges les retraites seront payees ? La banqueroute aura frappe bien avant. Et puis tant pis pour vous si vous croyez a ces fariboles. Les politiques vous exploitent et vous en redemandez.

à écrit le 14/01/2023 à 18:28
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Tout de suite pour ceux du privé et dans 40 ans pour les régimes spéciaux...y a pas comme un léger souci ?

le 15/01/2023 à 0:11
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Pourquoi dans 40 ans pour les régimes spéciaux? Et oui ce que vous ignorez c est la retraite des régimes spéciaux est înscrite dans leur contrat de travail comme salaire différencié.. en clair ils gagner moins maintenir mais auront plus à la retraite...

le 15/01/2023 à 0:16
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Pourquoi dans 40 ans pour les régimes spéciaux? Et oui ce que vous ignorez c est la retraite des régimes spéciaux est înscrite dans leur contrat de travail comme salaire différencié.. en clair ils gagnent moins maintenant mais auront plus à la retrai...

à écrit le 14/01/2023 à 17:51
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une France méconnaissable ) de surcroît avec un appui de la commission européenne. qui s occupe de de leurs privilèges avant tout. un réveil en sursaut de la population endormie est bien en marche ) il est besoin que le peuple ignore beauco...

à écrit le 14/01/2023 à 17:20
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A mourir de rire, quelle hypocrisie ces syndicats CFDT.CGT et les autres. Ils ont tous fait voter Macron alors qu'il avait annoncé la couleur. Après ce sera l 'agirc arcoo qui seront assimilés. L'objectif étant la retraite par capitalisation, Sarko...

le 15/01/2023 à 23:44
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Comme à la seuneuceufeu .. les primes ne compter pour la retraite ( 25 % de mon salaire car en astreinte 3 wk sur 4 paye a 25% de plus dans le privé plutôt 100 ou 200 selon les conventions collectives) , pas de retraite complémentaire et surtout des ...

le 15/01/2023 à 23:45
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Comme à la seuneuceufeu .. les primes ne compter pour la retraite ( 25 % de mon salaire car en astreinte 3 wk sur 4 paye a 25% de plus dans le privé plutôt 100 ou 200 selon les conventions collectives) , pas de retraite complémentaire et surtout des ...

à écrit le 14/01/2023 à 16:28
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Je suis horrifiée par la violence de ce gouvernement, j'étais déjà très mal barrée à cause de ma situation de polypensionnée mais cette fois on m'achève et pourtant j'ai quasiment toujours bossé. Macron gâte toujours plus ceux qui sont déjà avantagés...

à écrit le 14/01/2023 à 15:27
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La solution serait de ne rien modifier du régime spécial de retraite des salariés de l'énergie, les seuls capables de vraiment mettre le pays à terre. Mais acheter la paix sociale en sauvegardant les privilèges de quelques uns risque de faire désord...

à écrit le 14/01/2023 à 9:08
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Merci, de ne pas confondre une "réforme" avec une adaptation, cela n'a pas le même but !

à écrit le 14/01/2023 à 9:00
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pour le financement, c'est pas un pb, il suffit de confisquer l'argent des gras CE qui tournent au 1%CE, ainsi que les 30 milliards de la formation; vu les masses de pognon, ca donnera de la marge et ca ne coutera rien a personne; et comme les syndic...

le 14/01/2023 à 10:56
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Vous devriez vous renseigner d'une part sur l'utilité d'un CE et ce qui est fait de l'argent cotisé, d'autre part il s'agit actuellement de CSE.

le 15/01/2023 à 23:51
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Les 30 milliards que vous évoquez sont ceux de la formation dont j ai bénéficié et qui m a permis de devenir cadre hospitalier …. Les ce existe aussi bien dans le privé que dans le public je ne vois pas c ou est le gras sachant que dans le public il ...

le 15/01/2023 à 23:55
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Ce qui toujours consternant avec vous c est votre prose disque rayée , idée fixe dépassée et toujours anti … ou sont vos réflexions et solutions ? Aucune connaissance des dossiers que du déclaratif et du peremptoire à croire que le net est un exuto...

à écrit le 14/01/2023 à 8:56
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En parlant de retraite : Nouveau et dernier rebondissement dans le feuilleton du transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco, retraite complémentaire des salariés du privé, vers les Urssaf. Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a anno...

à écrit le 14/01/2023 à 8:48
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C'est simple, nous vivons désormais plus pour travailler que de vivre réellement : admettons 23 ans d'études + 44 ans pour avoir une retraite à taux plein, voici ce que nous ont pondu les gouvernements successifs de droite ET de gauche (ces soi-disan...

le 14/01/2023 à 9:50
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@globul Il ne vous aura pas échappé que la France vit dans un Monde économique concurrentiel. La maitrise des coûts de production et des salaires sont une nécessité pour chaque entreprise.

le 14/01/2023 à 10:54
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Amen, belle récitation de la doxa. La logique ultime est donc d'amener tout le monde à la misère?

le 14/01/2023 à 12:55
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@valbel89 : je sais très bien que nous vivons dans un monde concurrentiel. Pour comparaison, regardons alors la Suisse, le Danemark, la Suède, la Norvège, même l'Allemagne propose de rémunérations supérieures à celles de la France... Donc le problème...

le 14/01/2023 à 14:52
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@ @Valbel: Le monde est ce qu'il est. La concurrence en fait partie. Vous pouvez toujours produire plus cher mais vous n'en vendrez plus et c'est par la faillite que vous mènerez tout le monde à la misère. Mais si vous voulez vous obstiner à prouver ...

le 14/01/2023 à 15:08
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@globul : Vous comparez les rémunérations de certains pays avec la France et vous trouvez qu'en France l'on est pas bien rémunéré. Or la rémunération est liée à la richesse que l'on produit. Le PIB par habitant est de (chiffres 2021) : 87340 dollars ...

le 15/01/2023 à 0:32
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@Tototiti : vous me faites bien rire, il parait que les sachants sont nos dirigeants, il parait même que les gouvernements débauchent dans les cabinets de conseil pour savoir comment faire ou mieux faire. Quant au PIB faible de la France, ce n'est pa...

à écrit le 14/01/2023 à 8:48
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C'est simple, nous vivons désormais plus pour travailler que de vivre réellement : admettons 23 ans d'études + 44 ans pour avoir une retraite à taux plein, voici ce que nous ont pondu les gouvernements successifs de droite ET de gauche (ces soi-disan...

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