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C'est donc parti pour le grand test social du second quinquennat, celui où se décidera le sort d'Emmanuel Macron et l'image de réformateur qu'il laissera ou non dans l'histoire. Ce jeudi 19 janvier, les syndicats unanimes vont lancer les hostilités contre le projet de réforme des retraites présenté mardi par la Première ministre Elisabeth Borne. Nul ne sait encore quelle sera l'ampleur et la durée de la mobilisation mais l'entrée dans le conflit de la CGT Energie, qui avait à elle seule presque arrêté le pays à l'automne en bloquant les raffineries, donne le ton d'une séquence qui inquiète à juste titre le pouvoir, au moment où l'économie montre des signes de fragilité. Le spectre de l'hiver 1995 plane sur le pays, avec une grande inconnue : que se passerait-il si Emmanuel Macron devait reculer ? Dissolution, référendum ou... démission ? Chacun a en tête que se joue en cet hiver 2023 l'issue du quinquennat. En cas de blocage total, ce sera la fin des réformes, avec un Macron réduit à gérer les affaires courantes jusqu'en 2027.
Le souvenir de l'échec de la première mouture de la réforme de 2019, qui basculait l'assurance-vieillesse dans la retraite à points à la scandinave, est dans les mémoires. Abandonné en rase campagne bien que la loi ait été adoptée, officiellement pour cause de Covid, le projet avait conduit à 14 journées d'action successives et sans le confinement, nul ne sait comment les choses auraient tourné.
Il est encore trop tôt pour savoir jusqu'où ira l'opposition à cette nouvelle version de la réforme, mais le fait qu'elle soit « paramétrique » et non pas « systémique » ne change pas grand-chose au fait qu'une large majorité de Français rejette l'idée de travailler plus longtemps. Selon un sondage de l'Institut Montaigne, seulement 7% des actifs sont favorables à un report de l'âge de départ.
Certes, Elisabeth Borne a choisi la version la plus « light », le service minimum, en repoussant à plus tard le report à 65 ans de l'âge légal de départ. Mais en portant déjà de 62 à 63 ans et trois mois celui-ci à la fin du quinquennat, puis à 64 ans en 2030, elle a allumé le feu chez les syndicats qui ont pour la première fois depuis la réforme Sarkozy de 2010 (qui a mis fin à la retraite à 60 ans) ont affiché leur unité.
Dans un climat social déjà tendu sur la question du pouvoir d'achat et des salaires, avec la menace du retour des Gilets Jaunes, la France va donc connaître plusieurs semaines de manifestations et de grèves en particulier dans les transports, au moment même où la croissance ralentit. Dans ce bras de fer, qui risque de rappeler le souvenir de l'hiver 1995 avec les grèves contre la réforme Juppé, le gouvernement a peu de marges de négociation, ayant déjà au préalable beaucoup cédé : il a abandonné les 65 ans, promis à la droite LR en échange de son soutien au parlement la pension minimale à 1.200 euros pour toutes les carrières complètes, reconnu la notion d'usure professionnelle, plus acceptable que la pénibilité pour le patronat, donné de nouveaux avantages aux femmes et aux travailleurs les plus précaires. Rien de tout cela n'a fait vaciller Laurent Berger qui a même dénoncé une réforme injuste prenant l'exact contre-pied de la communication de la Première ministre.
Si, il reste un très gros irritant pour la CFDT, à savoir l'obligation faite aux salariés ayant commencé à travailler entre 18 et 21 ans de cotiser 44 ans, qui crée une curieuse distorsion avec ceux ayant commencé avant 18 ans, qui pourront partir à 60 ans, et ceux partant après 21 ans, qui eux ne cotiseront comme tout le monde que 43 ans, à compter de 2030. Le gouvernement ne s'est pas tellement étendu sur cette singularité qui fait peser une partie du financement de la réforme aux classes moyennes ayant commencé à travailler tôt. Ce point devra être précisé dans l'étude d'impact que doit prochainement délivrer Bercy. Pourrait-il servir de monnaie d'échange avec la CFDT ?
Chacun peut avoir son avis sur la justice de cette réforme. Les uns regretteront que les retraités les plus aisés du papy-boom n'aient pas été mis à contribution alors qu'à l'évidence ils auront profité des meilleurs taux de remplacement à la retraite. D'autres souligneront que la clause du « grand-père » qui exonère les contrats existants pour la fin des régimes spéciaux est une mauvaise manière faite aux « petits-fils », les nouveaux embauchés, qui cotiseront désormais au régime général. Chaque Français va en réalité regarder en quoi il est personnellement impacté - la Cnav propose déjà un simulateur (La réforme des retraites et moi) mais le site est assailli.
D'un point de vue collectif, deux occasions ont été manquées.
La première est l'absence totale de consensus sur la réalité de l'urgence financière à réformer les retraites, alors que c'est une évidence démographique. On sait donc d'ores et déjà que cette réforme n'est pas la « der des der », mais la dernière avant la prochaine. Et que donc, l'horizon réel de l'allongement de l'âge légal de départ à la retraite est plus proche des 67 ans que des 65 ans. Comme l'avait dit Michel Rocard lors de la parution du « livre blanc sur les retraites » publié par le Commissariat au Plan en 1991, « il y a de quoi faire tomber plusieurs gouvernements ».
Il restera donc du grain à moudre pour reprendre l'ouvrage après 2027 pour le ou la successeur/e d'Emmanuel Macron, sachant qu'Edouard Philippe n'a pas caché être pour un passage à terme à 67 ans comme en Allemagne. Pour les oppositions, qui toutes contestent la réforme Borne, l'examen de la loi au Parlement sera aussi un test de crédibilité, sachant que de facto il y a une clause de revoyure à 63 ans et 3 mois, qui sera l'âge légal du départ à la retraite en 2027 pour la génération 1965. Une autre majorité élue démocratiquement pourrait donc en théorie tout à fait en rester là, voire revenir à 62 ans (date non remise en cause par le PS sous Hollande), ou pourquoi pas comme le proposent Marine Le Pen et Mélenchon, 60 ans. Mais alors il faudra expliquer comment le financer autrement que par des hausses d'impôts et des baisses de pensions.
Plus sérieusement, l'autre occasion manquée de ce début sur l'âge de la retraite est tout simplement l'absence de réflexion sur le... travail. Ce n'est pas avec un index du travail des seniors que l'on va changer des décennies de pratiques managériales consistant à se débarrasser le plus vite possible des « vieux ». Il y a pourtant là, entre l'allongement de l'horizon du départ et les transformations du monde du travail lui-même, beaucoup d'opportunités à saisir. La balle est de ce point de vue dans le camp du patronat. Les propositions d'Elisabeth Borne consistant à permettre le cumul emploi-retraite sous différentes formes méritent cependant d'être saluées et font de sa réforme, qui ramène nos régimes vieillesse tout juste à l'équilibre en 2030, en quelque sorte la moins pire dans l'échelle de ce qui était possible de faire compte tenu du contexte politique et des contraintes budgétaires.
Il reste maintenant à espérer que sa mise en œuvre soit accompagnée de la poursuite de la décrue du chômage. Car à défaut, on aura juste ce que dénoncent les syndicats, une montée de la précarité des seniors qui passeront plus de temps à Pôle Emploi en attendant qu'on veuille bien les autoriser à prendre leur retraite sans décote. C'est à cette aune seulement que l'on pourra dire, ou non, que cette réforme est bien une réforme aussi juste que possible.
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