Pourquoi la compliance a besoin de l’Europe (et réciproquement) ?

OPINION. En France, la pénétration du droit de la compliance dans tous les aspects du droit de l'entreprise est actée. Mais en Europe, la récente création d'un Parquet européen génère de nouvelles interrogations pour les entreprises. Par Fabrice Fages, Avocat associé, Latham & Watkins, membre de la commission « Pour un droit européen de la compliance » du Club des juristes
La pénétration du droit de la compliance dans tous les aspects du droit de l'entreprise, y compris hors du champ strictement répressif, est actée.  Par Fabrice Fages, Avocat associé, Latham & Watkins, membre de la commission « Pour un droit européen de la compliance » du Club des juristes
"La pénétration du droit de la compliance dans tous les aspects du droit de l'entreprise, y compris hors du champ strictement répressif, est actée". Par Fabrice Fages, Avocat associé, Latham & Watkins, membre de la commission « Pour un droit européen de la compliance » du Club des juristes (Crédits : Club des juristes)

À l'heure où le parquet européen devient une réalité, on est en droit de se demander s'il s'agit de la manifestation d'un mouvement plus large de prise en main de la lutte anti-corruption au niveau communautaire. En France la compliance a gagné du terrain ces dernières années. Nous le devons en partie, il faut le reconnaitre, à l'activisme et parfois aux excès du FCPA américain venu empiéter largement sur la compétence de nos autorités.

Trop largement ? Suffisamment, en tout cas, pour faire spectaculairement réagir les autorités françaises. Très longtemps armées des seules infractions du code pénal (corruption, trafic d'influence, blanchiment...), les juridictions peinaient à mener des enquêtes d'autant plus interminables qu'elles ne cessaient de se ramifier à l'international, et à sanctionner in fine les atteintes à la probité. Symétriquement, les entreprises confrontées à des risques de corruption, dépourvues d'un accompagnement public efficace, n'avaient d'autre choix que de tenter de mettre de l'ordre discrètement, arbitrant en permanence entre le risque d'illégalité et l'efficacité économique.

Raccourcissement des délais d'enquête

Depuis 2017, un changement des mentalités et des pratiques s'est produit sur le terrain de la prévention, avec pour les grandes entreprises l'obligation de mettre en place un programme de lutte contre la corruption dont l'efficacité est évaluée in concreto, sous le contrôle d'une nouvelle autorité dédiée et disposant de moyens, l'Agence française anticorruption doublée pour les très grandes entreprises d'une obligation de vigilance.

Cependant, l'aspect répressif n'a pas été en reste dans cette évolution : outre un accent plus marqué sur la responsabilité des dirigeants (encore récemment mise en exergue par une circulaire ministérielle publiée le 2 juin dernier), la possibilité de régler prématurément, pour les entreprises, les difficultés identifiées en coopération avec les autorités judiciaires à travers la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) ayant permis la résolution de dossiers symboliques (Société Générale en Libye, HSBC, Airbus) dans un délai très inférieur à celui des grandes investigations du passé (pour mémoire : affaire Urba, 7 ans ; affaire Elf, 10 ans ; affaire Karachi, 11 ans).

Cette efficacité renouvelée de la procédure française a fait de la compliance un volet systématiquement intégré aux audits préalables aux opérations d'acquisitions, qui impliquent désormais une vérification de l'existence des programmes de prévention (dits "Sapin 2"), conduisant l'Agence française anticorruption à publier un guide des bonnes pratiques à ce sujet. La pénétration du droit de la compliance dans tous les aspects du droit de l'entreprise, y compris hors du champ strictement répressif, est ainsi actée.

Des interrogations demeurent en Europe

L'évolution à venir s'enracinera nécessairement sur un terreau européen. La création du Parquet européen est le symbole d'une volonté affichée d'apporter une réponse unifiée et cohérente à la lutte contre la corruption. Son champ de compétence reste toutefois imparfait et devra évoluer. Les laborieuses négociations qui ont précédé sa création ont également démontré qu'une telle ambition était incontestablement exigeante. C'est en effet, une fois encore, dans la dimension internationale de la lutte contre la corruption que les obstacles sont les plus grands et que les interrogations demeurent.

Ainsi, une entreprise internationale confrontée par exemple à une suspicion de corruption se demandera, d'abord, si elle est tenue par un quelconque texte de loi de s'auto-dénoncer (en se souvenant qu'en droit français, il n'en existe aucun...) mais également quelles autorités doivent recevoir cette auto-dénonciation et avec quelles conséquences. De même, une entreprise qui conclut une CJIP avec les autorités françaises se demandera si, une fois cette CJIP publiée, d'autres autorités ne risquent pas de se saisir des mêmes faits pour mener leur propre enquête et prononcer leurs propres sanctions.

La solution : une coopération renforcée

La solution passe naturellement par une coopération renforcée, mais cette coopération se heurte à deux nécessités. La première est d'ordre purement technique : pour que deux systèmes juridiques se saisissent d'une même question, il faut que leurs institutions soient suffisamment similaires pour la régler de façon coordonnée. Par exemple, si ce règlement passe par une transaction pénale telle que la CJIP, encore faut-il qu'une telle institution existe dans les deux systèmes - pour mémoire, elle n'a que trois ans en France et seule une minorité des États européens connaissent un tel instrument pour les personnes morales.

La seconde relève davantage de la bonne conduite des relations internationales : pour assurer une bonne intelligence entre les autorités de deux États, il est nécessaire que ces autorités - et les individus qui les composent - aient un minimum de reconnaissance pour les compétences de leurs homologues.

Justice : la France retrouve la confiance des Etats-Unis

La solution commune trouvée à l'affaire Airbus par la France, le Royaume-Uni et les États-Unis est un exemple éclatant des succès que peut rencontrer une telle coopération : non seulement elle traduit le rapprochement entre les systèmes de lutte contre la corruption, mais elle démontre également la confiance dont bénéficie désormais les institutions françaises de la part de leurs homologues américains et britanniques, pourtant traditionnellement méfiants à l'égard de notre système juridique. Pour qu'une telle réussite soit transcrite à l'échelle européenne, alors même que la coopération judiciaire n'y est pas le meilleur exemple d'union, l'instauration de règles de compliance communes et de méthodes communes de lutte contre la corruption est une nécessité.

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Commentaires 2
à écrit le 24/11/2020 à 18:09
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Compliance Manager = Bullshit job

à écrit le 23/11/2020 à 9:30
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"membre de la commission « Pour un droit européen de la compliance »" Notre classe dirigeante s'ennuie vraiment hein, merci de lui trouver d'autres occupations que de venir sans arrêt se la raconter devant nous. Encore une idée qui part de ri...

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