Quand la frugalité n'est pas une vertu

Paradoxalement, le seul moyen de sortir de l'endettement est que les ménages et les Etats peu endettés accélèrent leurs dépenses. Par Michel Santi

La dette est-elle induite par les inégalités ? Les déficits sont-ils imputables aux plus fortunés qui, non contents de s'attribuer une part toujours plus importante des richesses et des revenus, ne se donnent pas la peine d'en restituer une partie sous forme de dépenses ? Autre hypothèse : la dette excessive a-t-elle été stimulée par la dérégulation financière intensive qui a précipité les créanciers et les débiteurs dans des comportements à risques à la faveur d'une explosion d'un levier dont les dangers ont été systématiquement minimisés ? En somme, comment comprendre l'escalade des endettements ayant précédé - et provoqué - les crises historiques des années 2007 et 2008 ?

Selon Stiglitz, les ménages empruntent pour compenser l'affaissement de leurs revenus

La première interprétation, défendue par des économistes comme Joseph Stiglitz, constate que, pour compenser l'affaissement de leurs revenus et pour amoindrir les inégalités, les ménages ont été forcés de contracter des emprunts. La seconde explication est un classique remontant à Hayman Minsky qui mettait en garde les États (dans le cadre de la Grande Dépression), responsables de réglementations laxistes en même temps que le système financier ayant une propension naturelle au risque inconsidéré. En réalité, ces deux analyses ne sont que deux chemins aboutissant à une seule et unique impasse : un peu comme les deux faces d'une même pièce, ou les deux versions d'une histoire qui aurait la même fin.

Car il s'agit là de deux facettes, certes différentes mais interdépendantes, d'un même système économique. Il va de soi que les dettes des ménages et, d'une manière générale, du secteur privé se sont progressivement aggravées pendant les années 1990 et 2000. Du reste, c'est bien les réductions drastiques de leurs dépenses, de la consommation et la chute des investissements d'une manière générale - dès 2007 - qui sont responsables de la chute de la croissance et de l'escalade du chômage. C'est donc ce « deleveraging » - le « sevrage » des dettes - qui a ralenti notablement les économies occidentales à la faveur de l'implosion des crises successives.

Une contamination mutuelle entre finance et endettement privé

Pour autant, les épisodes dramatiques comme les paniques financières successives sont eux-mêmes issus en droite ligne d'un usage extrême du levier. Chacune des mesures d'assouplissement et de dérégulation fut immédiatement exploitée avec ruse et finesse par la finance et par son ingénierie afin de maximiser ses profits, avec un effet collatéral qui était de tenter de propager le risque systémique jusqu'à l'infini. Sachant que l'ascension scandaleuse des revenus, des profits et des bonus des financiers devait à son tour participer de ce creusement, potentiellement dévastateur, des inégalités.

Comme on le constate, ces deux secteurs (privés surendettés et finance orgiaque) n'ont donc pas évolué dans des univers parallèles, mais se sont mutuellement contaminés, voire engraissés. Le secteur financier ayant toutefois une incontestable responsabilité morale pour avoir expérimenté des produits et des instruments toujours plus sophistiqués, et pour avoir cru (ou feint de croire) qu'il serait possible de transmettre le risque toujours plus loin, ou à tout le moins de n'en assumer qu'une partie (grâce aux fameuses titrisations). Responsabilité plus que morale puisque cette hyper complexité devait précisément autoriser l'inflation hyperbolique de ses revenus.

A court terme, la frugalité n'est plus une vertu

Quoi qu'il en soit, ces deux narratifs devraient aboutir aujourd'hui à un diagnostic commun selon lequel si les ménages, le secteur privé et les États chargés de dettes ne peuvent plus dépenser ni emprunter davantage, il est impératif que ceux des ménages et que celles des nations qui sont aujourd'hui excédentaires réduisent leurs surplus afin de relancer la croissance globale. Les cigales d'hier doivent céder la place aux gouvernements encore capables d'emprunter afin d'enfler leurs déficits, sachant que les épargnants devraient par ailleurs être persuadés de dépenser leur bas de laine du fait d'un loyer de l'argent infinitésimal.

À court terme, la frugalité n'est donc plus une vertu. Quant aux dettes, elles seront remboursées à la faveur du retour de la croissance, sachant que, dans tous les cas de figure, le secteur financier doit être maintenu sous un contrôle strict qui le dissuadera d'infliger une nouvelle crise à l'économie réelle.

 

Michel Santi est un macro économiste et un spécialiste des marchés financiers. Il est l'auteur de :  "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience" et "L'Europe, chronique d'un fiasco politique et économique"

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Commentaires 31
à écrit le 26/03/2014 à 17:21
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Bravo pour l'article !!!! ps: le seul contrôle efficace: l'interdiction des paris sur les fluctuations de prix !!!!!!

à écrit le 20/03/2014 à 18:58
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Monsieur Santi:le problème est plutot du coté des emplois productis et improductifs.Il y a aujourd'hui trop d'emplois improductifs et d'assistés,le poids est trop lourd pour les productifs minoritaires.Les emplois improductifs se trouvent dans le pri...

le 26/03/2014 à 17:26
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cette opposition entre productifs et improductifs est vraie mais n'est qu'une partie du problème! Réduire tout à cette idée bipolaire est réducteur, même si l'article n'a pas souligné le probléme de la dette publique.

le 06/04/2014 à 4:53
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Et c'est quoi exactement les emplois assistés ? Suivant quels critères précis et objectifs ? Vous avez une liste ?

le 12/04/2014 à 1:34
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Et comment vous définissez productif ou non ? Suivant quels critères précis ? Vous pouvez donner des exemples svp ?

à écrit le 19/03/2014 à 10:59
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la seule façon de se désendetter est de gagner plus qu'on ne dépense, cad d'augmenter sa productivité. Je n'ai jamais vu un excès de dettes qui soit diminué par une augmentation des dépenses ???? Miracles de la réthorique keynésienne marxisante ...

le 26/03/2014 à 17:42
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Et les banques qui empruntent à presque 0 % auprès de la BCE et nous prêtent à minimum 4.5 % c'est sans doute ce que vous appelez du libéralisme auto régulé?????

à écrit le 12/03/2014 à 10:03
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La seule façon de se désendetter est que les recettes dépassent les dépenses. Que la collectivité fasse payer les services qu'elle rend à leur juste prix, en particulier à ceux qui en profitent le plus.

le 12/03/2014 à 15:58
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@Un Physicien CQFD... + 10 000

à écrit le 11/03/2014 à 13:04
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ben, tiens pourquoi ne pas se mettre des crédits sur le dos, pour pouvoir consommer et faire plaisir à ceux qui nous ponctionnent déjà assez comme ça! non, mais dans quel monde on vit, mes aïeux !!

à écrit le 11/03/2014 à 12:31
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Le mot est prononcé : Deleveraging. C'est une trouvaille américaine . Le Deleveraging , c'est la stérilisation des impensables dettes du gouvernement américain et anglais. Il faut " stériliser " ces dettes , c'est à dire , en gros , les produits dé...

à écrit le 10/03/2014 à 19:51
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J'apprécie toujours ce que vous vos articles, Monsieur Santi, et l'intitulé "Quand la frugalité n'est pas une vertu" ne s'en écarte pas ! Le seul problème, c'est que le propos quelque peu keynésien et qui reviendrait de manière subliminale à dire d'u...

à écrit le 10/03/2014 à 15:47
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il n'y a qu' un économiste pour être aussi déconnecté de la réalité! le peu qu'il nous restait, l'état l'a pris (avec vos théories fumeuses de relance par l'état). La frugalité n'est pas un choix c'est une obligation. Déchargez nous de l'état et nou...

le 10/03/2014 à 16:42
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C'est un philosophe : non content que l'état nous extorque pour financer ses électeurs, M. Santi veut maintenant nous extorquer pour nous forcer à consommer ce qui ne nous sert à rien !

le 10/03/2014 à 18:42
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Ah ! si on pouvait obliger les pauvres d êtres heureux de la frugalité qu' on leur impose . Et les obliger à dire merci . Il y à chez certains des relations de dominants à dominés avec l amour en plus. La civilisation a encore des progrès à faire.

à écrit le 10/03/2014 à 14:47
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Monsieur Santi est un adepte de la fuite en avant, à l'identique de nos amis US

à écrit le 10/03/2014 à 13:38
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Je ne vois pas, pourquoi particulier non surendetté, je devrais dépenser plus pour acheter plus de bidules et de machins plus ou moins inutiles, dont je n'ai pas l'usage, tout cela dans le but illusoire de désendetter des financiers et états trop gou...

le 10/03/2014 à 14:53
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J'ai eu le même malaise que vous en lisant cet article ! Comme un parfum de dictature, avec en plus un ton moralisateur désagréable... Fort heureusement, nous sommes encore libres d'utiliser l'argent gagné comme bon nous semble, et pas forcément en c...

le 10/03/2014 à 16:46
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exactement la même sale impression !

à écrit le 10/03/2014 à 13:15
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La frugalité est une vertu pour ceux qui la maîtrisent.

à écrit le 10/03/2014 à 13:03
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tout est gribouillis mabouillis comme dirait mozart

à écrit le 10/03/2014 à 11:47
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"ces deux secteurs (privés surendettés et finance orgiaque) n'ont donc pas évolué dans des univers parallèles, mais se sont mutuellement contaminés, voire engraissés". Le constat n'est valable que dans la sphère anglo-saxonne. Les ménages européens n...

à écrit le 10/03/2014 à 11:42
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Vous pouvez etayer votre jugement ? En tout cas, bizarrement chaque période "glorieuse" de l'histoire des Etats (je peux prendre la France (l'Europe en général), les USA, le Japon et bien d'autres) n'a été entretenu qu'avec une hausse généralisée...

le 11/03/2014 à 12:18
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@ @Shangai Kid Stiglitz n'a pas compris le danger des produits dérivés et synthétiques à la veille de l'éclatement de la Crise. Ces dérivés et synthétiques dépassent , très largement , les flux en monnaie Dollar. Et ils se sont répandus dans le mond...

le 06/04/2014 à 4:56
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Et quand wall street tombera, et il tombera, c'est mathématique, comme en 1929, vous direz quoi ? Qu'on ne savez pas ? Que c'est pas de notre faute ? Que c'est le destin ? Que des gens doivent mourrir de faim, c'est normal ? Que la guerre mondiale e...

à écrit le 10/03/2014 à 11:32
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"Les dettes seront remboursées à la faveur d'un retour de la croissance" , a condition qu'on retrouve une croissance à deux chiffres dont tout indique que ce fut une courte parenthèse historique sur fond de manne pétrolière et de gaspillage des matiè...

à écrit le 10/03/2014 à 11:04
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Raisonner à partir de Stiglitz est dangereux . Tout économiste un tant soit peu pointu sait qu'il s'est planté. Et que ce plantage indique qu'un énorme pas de sa vision des choses est incorrecte.... Syntax error...You can't play again.

le 10/03/2014 à 17:01
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Minc, Attali, Bavarez, Fiorentino se sont plantés plein de fois. Ils sont toujours dans les médias...

le 11/03/2014 à 11:59
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Oui , ils se sont trompés... Baverez , Généreux , Minc , Attali , Roubini , Krugman...Stiglitz. C'est à cause des Nouveaux Paradigmes Economiques...Ils n'ont pas tout compris...;-). Eh oui...la vitesse , la vitesse de circulation des flux....!!!

à écrit le 10/03/2014 à 10:35
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Pour nous français, la compétitivité ne reviendra qu'avec la mise en place de la TVA dite sociale et la finance internationale serai prête a nous y aider sachant que c'est un investissement de long terme. Mais la commission de Bruxelles verrait il c...

à écrit le 10/03/2014 à 10:16
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"le secteur financier doit être maintenu sous un contrôle strict "...C'est loin d'être le cas et ça ne le sera sans doute jamais, sauf à un effondrement total du système. Nul, et surtout pas les économistes ne peuvent prédire l'avenir. Wait and see.

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