Comment l'Europe sortira-t-elle de la politique de Quantitative easing ?

La politique de "quantitative easing", annoncée le 22 janvier par le BCE, va durer de longs mois. Mais mieux vaudrait anticiper sa sortie, pour le moins délicate. Par Jean-Yves Archer, économiste et Fondateur du think tank Archer 58 research et Christopher Dembik, économiste chez Saxo Banque.

Du fait du risque avéré de déflation et de la faiblesse de l'activité, la BCE a sérieusement intensifié sa politique monétaire accommodante. Nous sommes rentrés pour de nombreuses années en phase de Quantitative Easing (QE) renforcé. Mais au fait, comment sortira-t-on de cette expérience inédite ?
Dans un premier temps, la BCE avait fourni de la liquidité aux banques par des achats de différents types de titres et par des prêts à long terme (LTRO à 3 ans par exemple). Plus récemment, le 22 janvier dernier, la BCE a décidé de procéder à des acquisitions de titre privés et publics sur le marché secondaire à hauteur de 60 milliards d'euros par mois.
L'objectif du QE est d'obtenir des taux d'intérêts les plus bas possibles et de stimuler les capacités de l'offre bancaire à destination de l'économie réelle dans le but de relancer l'activité.

Un défi pour la zone euro, à terme

La sortie du QE n'aura certainement pas lieu avant plusieurs années mais lorsqu'elle se produira, elle sera objectivement un défi pour la zone euro. En effet, nul ne sait exactement comment retirer cette pompe à morphine, même pas les banquiers centraux.
En premier lieu, il faut être certain que ce renfort que constitue le QE puisse être soustrait du paysage sans pour autant porter atteinte au niveau de croissance obtenu. Compte-tenu de l'atonie actuelle, la question ne se posera pas avant la deuxième partie de 2017, dans le meilleur des cas. Il n'est d'ailleurs pas exclu qu'en cas de résultat jugé insuffisant la BCE décide de renforcer son programme d'acquisitions de dettes souveraines, en lançant un QE 2, à l'image de ce qui s'est fait aux Etats-Unis de 2008 à 2014.
En deuxième lieu, la sortie du QE est un exercice technique délicat qui vise à réajuster à la baisse la taille du bilan de la banque centrale. Si ceci est assez spontanément réalisable - et réaliste - pour ce qui concerne les prêts octroyés, l'opération est infiniment plus délicate pour ce qui touche aux titres acquis par l'Institut d'émission. Il faudra des conditions de marché idéales pour que la banque centrale et, in fine le contribuable, ne subissent pas de pertes sur les actifs rachetés. A cet égard, l'expérience américaine invite à l'optimisme puisque la FED n'a pas essuyé de pertes dans le cadre de son QE. En revanche, le "tapering", la diminution graduelle du QE par ralentissement des achats de titres peut, s'il est effectué de manière trop frontale, perturber le marché interbancaire : celui-là même que la faillite de Lehman Brothers avait gravement altéré. Un pilotage fin sera nécessaire.

L'exubérance irrationnelle des marchés

En troisième lieu, les marchés restent caractérisés par une forte exubérance irrationnelle qui est perceptible sur quasiment tous les segments de marché et se traduit par d'importants flux spéculatifs, en particulier sur les actifs émergents. A l'ère du taux zéro, les investisseurs à la recherche de taux de rendement élevés se sont logiquement tournés vers les pays émergents créant un boom sur leur marché de la dette souveraine et de la dette d'entreprise et un mauvais "pricing" des monnaies locales. La fin du QE pourrait induire un désinvestissement sélectif qui aurait pour conséquence d'éroder la position de ces monnaies. Pour simplifier, nous pourrions avoir un malade occidental apparemment guéri mais au détriment de l'ordre monétaire international.

La crainte d'un  krach obligataire


Quatrièmement, le QE vise à lutter contre le risque de déflation mais, point subtil, il ne faut pas négliger les anticipations inflationnistes qui sont une sorte d'asymptote, de plafond de verre, pour la politique monétaire. Parallèlement, si le QE intervient trop tardivement, des bulles spéculatives sont alors au rendez-vous. De nombreux analystes redoutent la perspective d'un krach obligataire : lorsque les taux d'intérêt remonteront à la faveur de l'embellie économique, les détenteurs d'obligations d'Etat pourraient être tentés de s'en séparer pour acquérir des actifs plus attractifs causant au passage une forte dévalorisation des obligations et, ultimement, un krach si les ventes sont massives. C'est un risque réel mais qui pourrait entrainer une purge salutaire sur un marché qui n'est plus en ligne avec les fondamentaux.

Une hausse des taux d'intérêt


En guise de conclusion provisoire, la sortie du QE sera délicate et verra une inversion des niveaux des taux qui vont, de nouveau, remonter. L'amplitude de la hausse des taux conditionnera le succès de la stratégie de sortie et le retour à une valorisation des actifs financiers plus soutenable. Pour notre part, nous pensons que la fin du QE présenterait l'avantage de redonner une "vraie valeur" à l'argent contrairement à la multiplication des taux d'intérêt négatifs, en Suisse ou au Danemark encore récemment, qui demeurent nécessairement une anomalie.

Ainsi, il serait erroné de voir dans les taux d'emprunt négatifs actuels de la France et de l'Allemagne la manifestation d'une confiance particulière des investisseurs dans l'économie de ces deux pays. Il s'agit d'un dysfonctionnement de marché.

Les modèles économiques déboussolés

Point hélas moins souvent évoqué, le QE est nécessairement un élément de perturbation pour les modèles macroéconomiques qu'utilisent les banques centrales. Ils conditionnent une large partie de leurs actions et ont pour nom DSGE : "dynamic stochastic general equilibrium models". Ces modèles peinent à prendre en compte la nouvelle donne monétaire internationale et notamment les risques que font peser sur le bilan des banques centrales les processus de rachats d'actifs. La sortie du QE, si elle se fait de manière ordonnée, sera l'occasion pour les banquiers centraux d'entamer un travail indispensable d'introspection afin de revenir sur les modèles qu'ils utilisent et d'effectuer un arbitrage entre stabilité des prix et stabilité financière, ce qui n'est pas encore le cas de nos jours.
Enfin, n'oublions pas que l'économie moderne se caractérise par la vitalité des possibilités de crises auto-réalisatrices : la sortie du QE n'échappera pas à cette règle d'où son haut format de technicité et de communication externe. Nous n'échapperons peut-être pas à une nouvelle crise qui ne sera que la continuation de celle de 2007.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 14/03/2015 à 16:14
Signaler
Ca serait marrant de remonter les taux de la FED ou de la BCE alors que nous sommes pas encore sortie d'une quasi récession déflationniste mondiale. Aussi bien en Europe qu'aux USA, le résultat serait de briser la faible consolidation qui a été si di...

à écrit le 07/03/2015 à 18:27
Signaler
Les tx US ont déjà entamé leur remontée ( 40bp en 3 semaines ) et, en toute logique, des moins-values dans le bilan de la FED devraient apparaitre sur le stock d'obligtions du Trésor qu'elle détient ? Il semble bien que personne ne s'alarme ! Comme...

à écrit le 16/02/2015 à 17:22
Signaler
Par la destruction créatrice pilotée en fonction des nouveaux leaders. Collectivisation générale et baisse du niveau de vie. Enfin générale, sauf pour les "oints" chers à Charles Gave. Ceux-là seront nos nouveaux maîtres. Pourquoi s'embarrasser d'une...

à écrit le 16/02/2015 à 12:17
Signaler
Les taux négatifs préfigurent un excédent de monnaie qui ne s'investit pas (dans l'économie réelle) par peur de l'inflation et le QE ne fait que renforcer ce phénomène!

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.