Les économistes qui gardent en mémoire les crises issues des deux chocs pétroliers de 1973 et 1978 ont correctement anticipé que la crise du Covid19 allait générer une situation de stagflation. En effet, l'augmentation durable des coûts de production, quelle qu'en soit la cause, affaiblit structurellement la production et provoque toujours une augmentation des prix. Face à cette situation, la politique d'augmentation de la demande est peu efficace, car elle accentue la pression sur les prix pour un gain d'activité limité.
Impact psychologique du Covid
Coté production, la « Covstagflation » se manifeste par l'émergence de multiples pénuries, de goulots d'étranglements d'approvisionnement et un dysfonctionnement majeur des chaines de production. A ces problèmes de logistique se rajoutent les surcoûts liés aux normes sanitaires renforcées. L'offre de travail, de son côté, subit également une contraction vraisemblablement liée à l'impact psychologique du Covid. Pour un grand nombre de personnes, rechercher un emploi poserait un problème du fait de la peur de contracter le virus. De même, certains travailleurs refusent des emplois dans des secteurs à fort contact avec les autres. Par ailleurs, le Covid a pu changer les perspectives de vie et d'organisation de certaines familles qui chercheraient un mode de vie différent du classique CDI en présentiel. En France, dans la zone euro et aux Etats-Unis, il apparaît que les entreprises peinent à recruter.
Jamais en retard d'une solution toute trouvée et peut être soucieux d'une perte de popularité liée à l'augmentation des prix à la consommation, le président américain Joe Biden conseille aux entreprises d'augmenter les rémunérations. La pénurie de main d'œuvre semble avoir déjà poussé les entreprises à se faire concurrence sur les salaires pour attirer les travailleurs avec une hausse annuelle de 4,3% du salaire horaire moyen en août. En Europe, de nombreuses voix répètent en cœur la même chanson. Fin août, le ministre de l'Économie, Bruno Lemaire, expliquait à son tour que si les entreprises peinaient à recruter, c'est parce que le travail ne payait pas assez. Le gouvernement français s'apprête à mettre en place une forte revalorisation du SMIC au 1er octobre. Cependant, il est probable que la mesure soit plus électoraliste qu'économique.
Augmentation inéquitable
Si face à une pénurie de main d'œuvre, les entreprises n'ont pas d'autre choix qu'augmenter les salaires pour attirer les travailleurs, une fois la boite de Pandore de l'inflation ouverte, la hausse des salaires risque de nourrir l'inflation que cette hausse des salaires devait initialement compenser. L'augmentation des salaires est non seulement inflationniste mais elle est aussi inéquitable. En effet, les grandes entreprises détenant un pouvoir de marché peuvent augmenter les salaires sans sourciller et transférer les surcoûts sur les consommateurs. De leur côté, les PME, déjà fragilisées par la crise, ne pourront pas suivre cette stratégie d'augmentation des salaires compensée par une augmentation des prix. L'inflation salariale devrait éroder en premier leurs revenus et pousser nombre d'entre elles à sortir du marché.
La reprise de l'inflation dans la zone euro n'est pas uniforme et génère une opportunité intéressante pour certains pays. En effet, si au mois d'août l'inflation dans la zone euro était de 3%, les taux nationaux variaient entre 1,2% en Grèce à 4,9% en Lituanie et en Estonie. Avec 2,4%, l'inflation en France est relativement contenue, notamment en comparaison avec les 3,4% en Allemagne et en Espagne. Les raisons de cette hétérogénéité sont multiples, liées à la force de la crise sanitaire et de la récession, la vitesse de circulation de la monnaie, la structure du marché du travail, le pouvoir de marché des entreprises ou encore le poids des secteurs très impactés.
Pour ce qui est de la France, un taux d'inflation inférieur à celui de ses partenaires de la zone euro est une aubaine car il s'apparente à une dévaluation, du fait de la monnaie unique. Maintenir sous contrôle la hausse des salaires, notamment dans les secteurs exportateurs, devrait renforcer cet avantage et assurer la compétitivité des produits français, ce qui nous fait défaut depuis longtemps (en 2020, le déficit commercial de la France était de 1,9% contre un excédent de 7% pour l'Allemagne).
Moralisation bien-pensante
La crise du Covid peut donc se transformer en opportunité pour les pays à inflation plus faible comme la France si toutefois les forces économiques qui poussent à la dérive salariale ne sont pas à l'œuvre. Le ministre de l'Économie serait donc bien inspiré de laisser les entreprises gérer leur politique salariale comme elles le souhaitent sans leur infliger de moralisation bien-pensante mais contreproductive.
Sujets les + commentés