"Big Tech" : l'heure est à la responsabilité

Alors qu'Internet est devenu l'espace central de la circulation de l'information, il devient crucial d'imposer aux géants du numérique, principaux acteurs d'échanges, un régime de responsabilité à la hauteur de l'influence qu'ils détiennent.
Par Olivier Sichel et Arno Pons, 
think-tank « Digital New Deal Foundation ».
Par Olivier Sichel et Arno Pons, think-tank « Digital New Deal Foundation ». (Crédits : DR)

La France est devenue un des moteurs de la prise de conscience européenne sur l'importance de défendre une souveraineté numérique face à des plateformes devenues dominantes. C'est pour renforcer ce rôle que nous publions Réflexions dans la perspective du Digital Services Act européen, rapport de la juriste Liza Bellulo, afin d'affirmer au niveau européen, une vision française de la régulation du numérique. Ce rapport a été pensé comme une contribution au travail actuellement mené par la Commission européenne, les Etats membres et la France sur le sujet de la régulation des plateformes numériques au niveau européen. Il s'agit d'apporter un soutien appuyé à la démarche en proposant des idées constructives.

Le Digital Services Act, symbole
d'une Commission déterminée

La régulation du numérique au niveau européen est aujourd'hui en partie posée par la directive dite e-commerce du 8 juin 2000. Elle avance le principe d'une responsabilité limitée des intermédiaires techniques, parmi lesquels figurent les plateformes que nous utilisons tous les jours. Il faut préciser qu'elles étaient inexistantes, ou presque, lors de son élaboration. Google venait d'être créée, Amazon était encore un libraire, Facebook n'avait pas encore dépassé sa fonction de trombinoscope d'Harvard, et Apple était encore loin de commercialiser l'iPhone et sa boutique d'application.

L'un des objectifs du futur Digital Services Act est de pallier cet anachronisme afin de mieux réguler ces acteurs incontournables. A ce titre, nous proposons de restreindre le statut d'hébergeur prévu par la directive e-commerce aux services numériques réellement passifs. Nous proposons d'instituer, à la charge des géants du numérique, des obligations d'action et de précaution s'agissant des contenus qui dépassent incontestablement les bornes de la liberté d'expression garantie par la Convention européenne des droits de l'homme et la Charte des droits fondamentaux.

Une régulation spécifique pour
attaquer l'impunité des géants du numérique

Le poids des sanctions européennes en matière de droit de la concurrence ne suffit plus, même si ces sanctions envers les géants du numérique appliquées à ce titre se sont multipliées ces dernières années. On se souvient notamment de celles pour abus de position dominante de Google par la Commission européenne : l'affaire Google Shopping lui a valu une sanction de 2,42 milliards d'euros en 2017, l'affaire Android 4,34 milliards en 2018, et l'affaire Adsense 1,49 milliard en 2019. Nous pensons que ces sanctions doivent être accompagnées de mesures préventives spécifiques pour répondre au caractère « structurant » de ces plateformes, caractère acquis notamment grâce aux effets de réseau, à un immense pouvoir de marché sur la recherche en ligne ou encore la publicité. A cet effet, il faut imposer à ces plateformes structurantes des obligations spécifiques de notification des concentrations afin d'éviter les « acquisitions prédatrices », ayant pour but d'annihiler toute forme de concurrence.

Mais la réglementation ciblée doit poursuivre deux autres objectifs. Le premier : redonner aux consommateurs le pouvoir d'être acteurs de la concurrence entre plateformes, en approfondissant les principes de portabilité et d'interopérabilité et en imposant la neutralité des terminaux. Le second : protéger les entreprises utilisatrices en mettant fin aux pratiques ayant pour but de restreindre leur capacité à mettre les plateformes en concurrence, ainsi que le propose déjà le nouveau règlement Platforms-to-business, qui devra être suivi d'effets.

De l'unilatéralité à la multilatéralité :
l'anticipation en droit interne comme arme diplomatique

Comment y parvenir ? Lorsque l'Union européenne peine à se montrer à la hauteur des enjeux, des décisions unilatérales doivent être prises. La France a récemment fait exemple d'une utilisation de son droit interne pour peser aux niveaux européen et international quand elle a adopté la taxe sur les services numériques à l'échelle nationale, en juillet 2019. Elle a envoyé un signal fort en direction des géants du numérique, tout autant qu'elle a légitimé et imposé la nécessité de parvenir à un accord au sein de l'OCDE sur la fiscalité minimale et la fiscalité numérique. Quand la France propose la loi Avia contre la haine en ligne, elle essuie les critiques de la Commission européenne, tout autant qu'elle impose le sujet à l'agenda européen. Quand Cédric O et Bruno Le Maire organisent une consultation publique sur le sujet de la régulation des plateformes numériques au niveau européen, elle se positionne comme le moteur de la régulation européenne du numérique.

C'est cette même méthode qui, selon nous, permettra de lever les obstacles et d'imposer les propositions présentées dans cette tribune et détaillées dans le rapport de Liza Bellulo que nous publions aujourd'hui.

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SYNTHESE

VERSION LONGUE DU RAPPORT : 
https://www.thedigitalnewdeal.org/reflexions-dans-la-perspective-du-digital-services-act-europeen

 

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Commentaires 2
à écrit le 13/03/2020 à 8:58
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Encore du néolibéralisme destructeur pour s'opposer au libéralisme constructif. Raisonnements qui nous ont mené au chaos économique actuel. .

à écrit le 12/03/2020 à 16:58
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A quoi correspond l'influence qu'elles détiennent, si ce n'est que l'on leur délègue notre responsabilité! Il ne tient qu'a nous d'y faire le ménage mais pas de transférer notre poussière! Ou sinon vous "nationalisez"!

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