Ce que peut apporter une organisation 2.0

C'est en se centrant sur les usages qu'une entreprise peut développer des dispositifs 2.0. Par Jean-Pierre Bouchez, Directeur de la Recherche et de l'innovation au cabinet de conseil IDRH

Le terme d'organisation 2.0, incontestablement à la mode, fait de manière très raccourcie, référence à sa mise en réseau permettant de déployer le travail collaboratif entre ses membres, au sein d'un nouvel écosystème. Les applications concernent notamment le partage des savoirs et des pratiques, la résolution de problèmes, voire la gestion de projets. Mais dans la réalité on observe que les organisations ont des rapports aux savoirs très différents, au regard de variables clés que sont leur culture, leur métier, leur technologie, leur style de management, etc.

Aussi, à l'issue d'un travail de recherche de terrain mené auprès d'une trentaine de directeurs et managers gestionnaires du savoir au sein de grandes organisations, nous avons mis en exergue des modèles d'usages dominants, l'entrée par les usages nous paraissant constituer une clé de lecture et d'action pertinente. En d'autres termes, toute organisation souhaitant développer ou accompagner des dispositifs 2.0 doit être capable de fixer les usages qu'elle entend privilégier au regard de sa stratégie et de ses enjeux.

Deux usages opposés

On identifiera au départ deux usages pratiques opposés, l'un étant centré principalement sur les personnes et l'autre sur les contenus.
Le premier privilégie les échanges sociaux et professionnels entre les personnes, à travers la circulation et le partage de textes, de vidéos, de commentaires, etc. Elle conduit ainsi à l'échange de « bonnes pratiques » et de « belles histoires » souvent réplicables, sous une forme interactive et conversationnelle. Ce modèle se déploie fréquemment dans le cadre de communautés professionnelles, regroupant des personnes partageant ainsi des intérêts communs. Les entreprises observées dans ce cadre sont souvent caractérisées par une hiérarchie assez légère combinée avec des valeurs fondées sur la confiance, la proximité et la décentralisation. Les limites opposables, mais discutables à cet usage, sont liées à l'absence ou à la faiblesse de capitalisation formelle rendant ces échanges difficilement réutilisables.

Des usages centrés sur les contenus formels, dans les entreprises à risque

Le second usage est à l'opposé, centré principalement sur des contenus formels et souvent normatifs, techniques ou scientifiques, stockés au sein de bases de données. Ils se référèrent concrètement à des standards, des référentiels techniques, des guides, des modes opératoires, des documents de référence, etc., produits le plus souvent par des « sachants », c'est à dire des experts et des professionnels reconnus et souvent légitimés en interne. On en trouve des illustrations notamment dans les entreprises dites « à risque », comme par exemple, l'industrie nucléaire. Ils sont souvent combinés avec une organisation cloisonnée et assez fortement hiérarchisée et restent partiellement empreints de la culture et de la pratique du KM 1.0. Les limites de cet usage, lorsqu'il est poussé à son terme, sont liés à ce que ce stockage de savoirs formels se réduise à une mémoire morte, insuffisamment réactualisée, et donc partiellement inopérante.

Accroitre la création de « valeur collaborative »

Créer et favoriser une dynamique susceptible de donner pleinement sens à ce nouvel écosystème collaboratif, revient en effet à dire qu'il faut réduire les limites opposables à ces deux usages pratiques en activant la circulation et les échanges entre les flux et les stocks, entre les personnes et les contenus. Cette activation permettant de mettre en exergue deux autres usages complémentaires.
S'agissant de l'usage de pratiques centré sur les personnes, soulignons, que certaines entreprises ne souhaitent pas réellement capitaliser ces pratiques, entendant ainsi privilégier les échanges sociaux interactifs. Mais de nombreuses autres s'efforcent, via leurs animateurs de communautés professionnelles d'organiser une capitalisation utile et légère des pratiques pertinentes et originales, de manière à faciliter par exemple leur réutilisation et leur enrichissement, en pratiquant une curation bénéfique pour palier aux risques d'« infobésité ».

 Structurer les pratiques centrées sur les contenus

Concernant à présent l'usage de pratiques centrées sur les contenus, le plus souvent techniques et normatifs, il importe alors, de manière complémentaire mais inversée, de les structurer, de leur donner vie, en transformant ces stocks de savoirs en mémoire active. Les « sachants » seront naturellement en première ligne pour les actionner cette dynamique interactive, favorisant ainsi une évolution vers le KM 2.0 En pratique, cela se concrétisera par l'actualisation de certains process, la mise à jour de certains contenus techniques et normatifs. Toutefois dans certaines entreprises, les résistances hiérarchiques et de certains « sachants » à cette dynamique, restent puissantes, en particulier lorsqu'elles tendent à cohabiter avec une logique de contributions plus communautaire.
Ces différents usages, on l'aura compris, ne sont pas figés, mais s'inscrivent dans le cadre de dynamiques interactives, traduisant une représentation dominante à un moment donné. Plusieurs usages peuvent également cohabiter au sein de différentes structures d'une même organisation. Toutefois, une tendance évolutive, globalement plus coopérative et interactive, entre les personnes est observable. Bien orientées, elles contribuent ainsi à accroitre la création de « valeur collaborative », sociale, mais aussi économique de l'organi-sation.

Des perspectives contrastées...

On ne peut conclure ce texte sans souligner que deux perspectives contrastées sont à l'œuvre au sein de ce nouvel écosystème collaboratif que nous avons pu observer. La première, la plus prometteuse de notre point de vue, s'inscrivant dans l'esprit d'un « monde en partage » fondé sur l'approche communautaire et la confiance. La seconde, plus classique, mettant en exergue l'organisation 2.0 comme forme avancée du travail collaboratif. Mais, l'organisation peut naturellement peser pour favoriser telle ou telle perspective, traduisant ainsi ce qu'elle entend privilégier.



Directeur de la Recherche et de l'innovation au cabinet de conseil IDRH.
Chercheur associé au LAREQUOI à l'université de Versailles-Saint-Quentin.
Président de Planet Savoir.
Dernier ouvrage publié : L'Economie du savoir (De Boeck, 2012, 2015),

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