Connaître Singapour pour comprendre la Chine

La ville-Etat a largement inspiré le sursaut chinois. Par Murat Lama, auteur de "Lee Yuan Yew, Singapour et le renouveau de la Chine"(*).

Si Barak Obama a qualifié Lee Kuan Yew, le père-fondateur de Singapour, de « véritable géant de l'histoire » et le considère comme « l'un des plus grands stratèges des affaires asiatiques », ce n'est pas seulement parce qu'il a transformé en une génération un pays sous-développé en l'un des plus performants dans pratiquement tous les domaines. C'est surtout en raison de son apport décisif au renouveau de la Chine.

Deng Xiaoping a en effet donné instruction aux Chinois « d'apprendre de Singapour ». Un mois avant sa nomination officielle à la tête de la Chine, il se rend à Singapour le 12 novembre 1978 pour « apprendre comment ils utilisent les capitaux étrangers ». A son retour, il décide de créer les Zones Économiques Spéciales à l'origine du développement spectaculaire de ce pays devenu la seconde puissance économique mondiale.

Grâce au confucianisme

Ensuite, alors qu'il était admis depuis le XIXe siècle que la Chine devait son retard sur l'Occident à l'archaïsme de la philosophie de Confucius (Mao décidant en 1974 de lancer une nouvelle campagne contre le philosophe), Lee Kuan Yew est le premier à soutenir que Singapour et les tigres asiatiques ont réussi non pas malgré les valeurs du confucianisme mais grâce à elles : éthique du travail, épargne, sens de la famille. Il a modernisé le modèle millénaire chinois du mandarinat en instituant une vraie méritocratie au service de l'excellence étatique. L'administration de Singapour est devenue la plus efficace du monde et a servi depuis 35 ans d'école de cadres pour former des dizaines de milliers d'officiels et de fonctionnaires chinois. Lee Kuan Yew est connu pour avoir défendu les valeurs asiatiques. Pour lui, ce n'est pas parce que la démocratie fonctionne très efficacement en Suisse, en Allemagne et dans les pays scandinaves que ce système convient à tous les peuples de la planète indépendamment de leurs cultures et et de leurs traditions.

Le refus de la démocratie occidentale

Après la chute du mur de Berlin, Samuel Huntington, l'auteur du célèbre livre Le choc des civilisations, n'est pas le seul à constater que Singapour constitue le seul pays développé à refuser d'adopter la démocratie occidentale. Lee Kuan Yew, un leader honnête qui s'est retiré de lui-même du pouvoir, estime notamment que le système démocratique n'est pas le meilleur pour résoudre les problèmes de fond (comme la maîtrise de l'endettement et des dépenses publiques, la recherche d'une meilleure compétitivité, etc.) ou pour reconnaître que la première solution adoptée a échoué pour essayer une seconde option. Pire, les élections peuvent amener au pouvoir des dirigeants incompétents, voire corrompus.

Cette exception singapourienne aura également une influence décisive sur la Chine, dont une partie des dirigeants, notamment le secrétaire du Parti communiste chinois Zhao Ziyang, était favorable à une démocratisation en 1989 au moment des manifestations de la place Tiananmen. Deng Xiaoping prendra l'option de réprimer ce mouvement et proposera de suivre l'exemple singapourien, de « sa bonne gestion, de son bon ordre social et de sa discipline ». Singapour comme la Chine ne sont pas hostiles aux élections (plus d'un million de communes élisent leurs maires dans l'Empire du milieu) mais à ce que De Gaulle, considéré par Lee Kuan Yew comme l'un des trois hommes les plus importants du XXe siècle, appelait « le régime des partis ».

Méritocratie étatique et lutte contre la corruption

La démocratie à parti dominant permet de mieux s'assurer de la compétence d'un dirigeant grâce à un système vraiment méritocratique : si Pékin a décidé de sélectionner les candidats à l'élection de Hong Kong, c'est aussi pour s'assurer de leur compétence après une sélection de dossiers effectués par la Direction des Ressources Humaines du Parti communiste. Singapour comme la Chine préfère le modèle de gestion des grandes entreprises, où les dirigeants ne sont pas élus mais choisis sur la base des réussites de leur parcours professionnel.

La réussite exceptionnelle de Singapour a conduit beaucoup de pays à tenter de s'en inspirer mais à l'exception de Dubaï, le « Singapour arabe », et de la Malaisie dirigée par Mahathir, surnommé le « Lee Kuan Yew musulman », la plupart en ont retenu l'aspect autoritaire sans adopter les principes de méritocratie étatique et de lutte impitoyable contre la corruption.

Tout en conservant leur tradition démocratique, les pays européens et la France peuvent également tirer des enseignements de la capacité de la ville-État à trouver des solutions efficaces, par exemple pour sa gestion d'une société multiculturelle. Singapour a ainsi adopté une gestion spécifique de la communauté musulmane, avec une laïcité souple dont s'est en partie inspirée l'Autriche en février 2015.

(*) Editions les Belles Lettres, 368 pages, 23,50 euros.

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