COVID-19 : "Le taux de mortalité se situe aux alentours de 2%, mais on manque de données"

INTERVIEW. La mortalité due au coronavirus SARS-Cov-2 (ou COVID-19) augmente-t-elle ? Pourquoi l'OMS ne parle-t-elle pas de pandémie ? Que sait-on de l'efficacité de la chloroquine, un antipaludique défendu par  un médecin de l'IHU de Marseille ? Les réponses d'Éric d'Ortenzio, médecin épidémiologiste et chercheur à l'Inserm.
(Crédits : Kim Hong-Ji)

Alors que le nombre de cas augmente hors de Chine, notamment en France où le ministre de la santé Olivier Véran a déclaré qu'« une nouvelle étape de l'épidémie [était] franchie », Éric d'Ortenzio médecin épidémiologiste, chercheur à l'Institut national de la santé et la recherche médicale (Inserm) à Paris et coordinateur scientifique du consortium REACTing, fait le point sur ce que l'on sait du coronavirus SARS-CoV-2 (COVID-19).


L'épidémie de coronavirus se répand sur tous les continents, pourtant l'OMS n'emploie toujours pas le terme de pandémie. Pourquoi ?

C'est une question de terminologie. Il y a certes des cas sur tous les continents mais pour l'instant il n'y aurait pas de transmission soutenue ou de cas secondaires en Afrique ou en Amérique du Sud, par exemple. C'est probablement ce qu'attend l'OMS pour faire une déclaration officielle avec le terme « pandémie ». Mais ça n'est pas le plus important. Ce qui compte, c'est la préparation et la réponse qui est mise en place autour des premiers cas, notamment sur le continent africain. L'OMS a déjà déclaré l'urgence internationale.

Justement, comment expliquer ce faible nombre de cas en Afrique et en Amérique du Sud ?

Il y a deux hypothèses : soit des cas non détectés circulent, soit ce sont les tous premiers cas. Mais personne ne sait vraiment pourquoi il n'y a pas de crise en Afrique. Il existe des spéculations concernant la saisonnalité des virus respiratoires, qu'on connaît bien sur la grippe et qu'on ne connaît pas pour ce coronavirus. Peut-être que le froid abîme la muqueuse respiratoire et favorise l'entrée du virus. Quand on a froid, on se réfugie à l'intérieur, ce qui favorise les contacts sociaux et la transmission... Mais tout cela reste hypothétique.

Globalement, peut-on considérer que la modélisation des scénarios ont été efficaces pour prévoir l'évolution de l'épidémie ?

Il faut bien comprendre que les modèles ne sont pas des boules de cristal. Il s'agit plutôt d'aides à la décision. Nous avions fait un travail de modélisation du risque d'importation sur plusieurs pays, en fonction du volume des vols entre les continents, de la capacité des pays à répondre du point de vue sanitaire... Les pays touchés sont effectivement ceux que nous avions identifié par la modélisation. Mais, par exemple, on pensait que le risque allait venir de Chine pour le Nigéria et l'Algérie. Finalement, les deux seuls cas détectés dans ces pays ont été des voyageurs italiens.

Que nous ont appris les données collectées au cours des dernières semaines concernant la transmission du virus ?

La transmission interhumaine était avérée depuis un moment. Maintenant, la question qui se pose est celle de la transmission par des porteurs asymptomatiques, qui ne présentent aucun symptômes. On sait qu'elle existe, car elle a été décrite sur quelques cas. Il reste cependant à déterminer sa place dans l'épidémie : tient-elle un rôle de premier plan ? Participe-t-elle à la dynamique de l'épidémie ? Pour l'instant, on pense que ce sont plutôt les personnes symptomatiques qui sont les vecteurs principaux. Mais on ne connaît pas la proportion d'asymptomatiques ni l'intensité de la transmission qu'ils génèrent.

L'histoire de ce jeune médecin chinois décédé du coronavirus a fait le tour du Web. Le profil des personnes touchées a-t-il évolué ?

Quelle que soit la maladie, il existe des cas atypiques de personnes en bonne santé qui vont développer des formes sévères. Mais ce sont des exceptions, ce n'est pas cela qu'il faut regarder. Dans le cas du coronavirus, ça n'a pas changé : les formes sévères concernent les personnes de plus de 60 ou 65 ans atteints de comorbidités telles qu'insuffisances cardiaque ou respiratoire, immunodépression, cancer, etc. Les enfants restent très minoritaires, même s'il y a eu quelques cas en Chine et en Italie. Est-ce que c'est une question de réponse immunitaire, d'exposition différente, plus faible, on ne le sait pas encore...

Le taux de mortalité se situe aux alentours de 2 % mais il est difficile de le calculer car on manque de données. On voit par exemple qu'en Iran, il y a une vingtaine de décès pour un peu plus de deux cents cas, ce qui semble beaucoup plus élevé mais ça ne signifie pas que ça l'est réellement : on ne connaît pas la proportion des personnes asymptomatiques, ni celle des personnes qui avaient des symptômes modérés et ne sont pas allées consulter... Le nombre de cas réel pourrait donc être beaucoup plus important que les cas officiels, et le taux de mortalité réel, bien plus faible.

C'est toute la difficulté de retracer les chaînes de transmission, notamment pour élucider les cas de transmission « occultes »...

Effectivement. Des travaux menés par Vittoria Colizza, en cours de publication, démontrent par exemple que 6 cas sur 10 ne seraient pas détectés sur notre territoire. On imagine bien que ces cas vont avoir des contacts, transmettre la maladie... Remonter au cas zéro, le cas initial, devient très difficile. C'est pour cela qu'il est important de détecter les infections dès le départ.

En France, le nombre de cas a augmenté ces derniers jours et Olivier Véran, ministre de la santé, a annoncé le passage de l'épidémie au stade 2 (sur un total de 3). Comment la situation va-t-elle évoluer ? Peut-on espérer stopper l'épidémie ?

On va probablement pouvoir ralentir l'épidémie mais pas la stopper. Selon son évolution, on peut imaginer mettre en place des mesures plus fortes visant les écoles, les grands rassemblements, les transports, les lieux publics, afin d'établir une « distance sociale » entre les personnes. Ce n'est pas encore le cas mais cela commence à prendre forme avec les consignes données aux personnes qui rentrent de régions à risques (dont la liste est régulièrement mise à jour par les autorités), à qui l'on conseille de s'isoler pendant 14 jours.

(Ndlr - mise à jour du 29 février : tous les « rassemblements collectifs » dans l'Oise, principale source de contamination en France, ont été interdits - ces mesures s'appliquent aussi à la commune de La Balme en Haute-Savoie - tout comme les « rassemblements de plus de 5 000 personnes en milieu confiné » et certains événements en extérieur, tels que le semi-marathon de Paris)

L'objectif de toutes ces mesures est de ralentir la courbe de l'épidémie, de tasser son pic. Il s'agit de réduire le nombre global de cas, et par conséquent le nombre de formes sévères et la mortalité.

Tout temps gagné sur la progression de l'épidémie nous permet aussi d'avancer au niveau de la recherche. Avec le réseau REACTing, nous avons lancé plusieurs projets de recherches : sur l'histoire de la maladie, sur la façon dont elle s'exprime chez les malades (avec la mise en place d'une cohorte de patients), sur la biologie fondamentale du virus, sur la thérapeutique... Le but c'est d'être un accélérateur de la recherche sur COVID-19.

À ce propos, où en est-on des avancées thérapeutiques ? On a beaucoup parlé de la chloroquine (un antipaludique) ces derniers temps...

Une étude in vitro a montré que la chloroquine avait une efficacité en termes de diminution de la réplication virale et de la diffusion du virus. Une annonce des autorités chinoises a aussi évoqué des essais cliniques en cours dont les résultats auraient été prometteurs mais il n'existe pas d'article scientifique sur le sujet et les données ne sont pas accessibles. Pourquoi pas, mais il faut rester prudent et attendre de pouvoir analyser les données pour pouvoir évaluer l'efficacité contre placebo, le pourcentage d'efficacité, les autres molécules testées, les conditions d'administration, etc.

Le plasma de patients qui ont éliminé le coronavirus est aussi une piste à envisager : on récupère les anticorps des individus convalescents ou guéris puis on les injecte aux malades pour avoir une réponse immunitaire plus rapide et plus forte. Mais encore une fois, si l'on veut vraiment évaluer l'efficacité de cette approche, il faut que cela soit fait dans le cadre d'une évaluation rigoureuse.

Des essais cliniques faisant intervenir des antiviraux sont également en cours, comme le Remdesivir, testé contre Ebola, ou l'association de deux antiviraux, le Lopinavir et le Ritonavir, qui ont été utilisés contre le VIH, ou encore l'interféron bêta. Il faudra attendre les résultats, qui ne seront connus que dans plusieurs semaines, pour pouvoir dire quelles molécules il faut utiliser pour soigner les malades. Pour l'instant, on ne peut pas en recommander une en particulier.

Concernant les vaccins, les recherches sont lancées mais elles s'inscrivent dans un plus long terme. Plusieurs compagnies pharmaceutiques s'y sont attelées mais cela prendra probablement au bas mot douze ou dix-huit mois avant qu'on puisse obtenir des résultats. Pour cette épidémie, il n'est donc pas certain qu'on aura un vaccin. Mais il faut de toute façon se préparer pour la prochaine...

En attendant, il est très important d'appliquer correctement les consignes sanitaires, notamment le port du masque pour les personnes malades, et le lavage des mains, très fréquent et consciencieux, pour tout le monde.


À lire aussi : Maladies infectieuses : et vous, vous lavez-vous les mains correctement ?

Pour en savoir plus : Les dernières recommandations sur le site du gouvernement consacré à l'épidémie de COVID-19.

The Conversation ________

 Par Eric D'OrtenzioMédecin épidemiologiste, coordonnateur scientifique de REACTing, Inserm

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Commentaires 12
à écrit le 03/03/2020 à 20:07
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Bonsoir Pour répondre à Churchill, je pense mettre mal exprimé sur le sujet que j'ai voulut trop simplifier. Je récupère chaque jour les données de l'OMS et j'effectue des projections dessus. Pour etre plus précis celà porte sur l'Intervalle de Conf...

à écrit le 03/03/2020 à 18:42
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On ne manque pas de données puisque l'on a les données chinoises... Et côté français, ce n'est pas en limitant les tests (parfois faits post-mortem) que l'on va avoir une bonne vision de l'épidémie dans notre pays. Quand on regarde le peu de mesure...

à écrit le 03/03/2020 à 16:53
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Il est impossible d’expliquer à ce jour comment la mutation a eu lieu entre animal et humain.... Est ce «  un virus de fabrication « ?

le 04/03/2020 à 8:37
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Il n'y a pas de mutation entre l'animal et l'humain: Les chiens et les chats ont des maladies dûes à des coronavirus (gastroentérite chiens et chats, péritonite infectieuse chez le chat, etc.) depuis très longtemps et ces virus ne sont pas contagieux...

à écrit le 03/03/2020 à 15:02
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Bonjour Je suis très surpris par ce que je lis. Statistiquement on considère que nous commençons à avoir des données relativement fiables quand on a un échantillon de plus de 10K. Hors ce jour le 3 mars, nous avons 90 663 cas avec une mortalité de ...

le 03/03/2020 à 15:36
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votre erreur vient du fait que vous confondez convergence en loi, et echantillonage pour la convergence, a 30 on peut etre content, et on peut meme descendre en dessous avec du non parametrique bon, le sampling, c'est un peu plus complique, ca fait...

le 03/03/2020 à 19:13
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La chine a comencé avec un foyer d'infection, voyez la propagation actuelle. Nous, nous commençons avec une multitude de foyez en Europe, je crois qu'il faut se rendre à l'évidence la pendémie va être plus violente en Europe et durera certainement p...

à écrit le 03/03/2020 à 13:00
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L’information sur le «  coronavirus «  tourne en clou le dans tous les médias . .. Imaginez un instant «  un vrai schéma »Réel... et non une simulation de transition numérique et écologique et économique Le bon sens voudrait «  que le ton soit rassu...

à écrit le 03/03/2020 à 12:36
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On parle maintenant de 2% de morts , je pense que l'on a pas pris la mesure du danger aussi bien les politiques les yeux rivés sur l'économie que les autorités de santé. Si l'on veut être pragmatique et logique regardons la Chine aussi grande que l'E...

le 03/03/2020 à 13:30
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La Chine aussi grande que l'Europe, oui, mais 1,3millairds d'habitants pour 500 millions en Europe. Cela fait en acceptant votre chiffre une densité 2,5 fois plus elevée. Hors je doute que la propagation soit une constante linéaire de la densité. E...

à écrit le 03/03/2020 à 9:55
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"Mais personne ne sait vraiment pourquoi il n'y a pas de crise en Afrique" Ils ont connu et connaissent bien pire les africains. Mais vraiment pire tandis que nous autres européens, la seule frayeur que nous avons c'est de perdre cette si "rassur...

le 03/03/2020 à 13:08
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@CB, Normal , l’Afrique est l’Eldorado et le QG des riches de ce monde ... Regardez ce qu’il y a eu avant ( Mandela) et après ... et maintenant... Tous les grands groupes investissent la bas ... L’Afrique à l’avenir va remplacer le partenariat qu’il...

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