Des modèles d’affaires transactionnels aux business models relationnels

Les business models de l’économie numérique n’ont rien à envier à ceux de l’économie traditionnelle ! Du commissionnement à l’affiliation et au canvas. Ils sont inventifs et évolutifs. Par Mohamed Iheb Marouani et Wafa Bouaynaya, Université de Nantes
(Crédits : CC0 Public Domain)

L'idée centrale de cet article est d'explorer les modèles d'affaires (MA). Il s'agit notamment de montrer leur adaptation progressive à l'économie numérique basée sur la valeur-data. Il apparaît globalement que les MA orientés numériques reposent plutôt sur la valorisation des fruits d'une relation (y compris en monétisant les données collectées lors de la dite relation avec le client/usager/internaute) que sur celle des fruits d'une transaction.

Production, transaction et relation

En d'autres termes, face à un individualisme connecté et volatile, l'entreprise qui l'est tout autant, doit apprendre à ne plus proposer simplement sa production mais l'ensemble des services, des connexions et des opportunités qui s'y rattachent.

Nous parlerons ici de modele d'affaire (MA) ou de business model (BM). Nous avons retenu une approche essentiellement descriptive qui adopte une démarche quasi linéaire. Au final, dans les mécanismes de captation de la valeur inhérente aux MA/BM, nous insistons sur le glissement de la valorisation de la transaction vers celle de la relation et de l'observation du client.

En effet, la relation client/fournisseur en ligne est d'autant plus profitable qu'elle produit des données. Elle repose donc sur la fidélisation voire la captation, parfois l'addiction, de l'e-client, de ses émotions et de son expérience notamment pour monétiser ses données explicites ou implicites de navigation.

Au final, cette contribution montre le désormais fameux « business model canvas » (BMC) comme l'un des fruit de cette évolution de la transaction vers la relation puis de la relation vers l'observation

Du modèle économique au modèle d'affaire : dix cas emblématiques

Abordons tout d'abord le cœur du problème et la question centrale pour chaque activité marchande... comment « gagner parfois un peu plus d'argent qu'on n'en perd tout le temps ? » L'agriculture et l'industrie nous offrent des exemples basiques qu'il convient de ne pas perdre de vue.

  • La production/distribution : un modèle économique basique et classique à double entrée. Dans le cas de l'agriculture, de la chasse, de la pêche et/ou de la cueillette mais également dans le cas de nombreux processus industriels, l'entrepreneur choisit, produit, récolte, stocke et vend sa production quasiment en l'état. Dans le cas des industries de services figurent le commerce et la distribution. Finalement, ces deux modèles d'affaires sont utilisés de façon combinée par tout producteur et/ou commerçant et consiste simplement à vendre un produit directement au consommateur ou à un grossiste en essayant de le vendre un peu plus cher que le coût de sa production ou collecte.

  • Le low-cost : un modèle économique qui casse les prix. Depuis ces modèles économiques de base, d'autres business models ont fait leur apparition. C'est notamment le cas du low-cost qui s'est développé dans de nombreux secteurs d'activité : alimentaire, compagnie aérienne, hôtellerie, ameublement, restauration... Ce type de modèle se distingue par une politique visant à réduire au maximum le coût de revient pour le consommateur.

  • La désintermédiation : un modèle économique facilité par Internet. La logique ici est également de réduire les coûts. Cela est permis en limitant les intermédiaires. De nombreux sites web (culture, agence de voyages...) se sont développés en appliquant ce modèle économique.

  • Le commissionnement : le modèle économique des comparateurs sur Internet. Un intermédiaire vend le produit d'une entreprise et se voit rémunérer par une commission. C'est le modèle économique des concessionnaires automobiles et des agents d'assurances mais aussi des comparateurs de coûts sur Internet.

  • L'abonnement : le modèle économique des journaux exporté au e-commerce. Journaux, AMAP, opérateurs téléphoniques... ces types d'entreprises utilisent ce modèle économique en partie ou intégralement pour vendre leur production ou leurs services. Aujourd'hui, des sites de e-commerce font ce choix de business model pour fidéliser leurs clients.

  • Le financement par la publicité : le modèle économique du gratuit. Sur le mode des journaux gratuits, de nombreux sites Internet offrent du contenu totalement gratuit à leurs utilisateurs. L'entreprise est alors rémunérée intégralement par ses contrats publicitaires. Ce modèle économique est donc dépendant des annonceurs.

  • Les enchères : le modèle économique des salles des ventes démocratisé aux sites d'enchères en ligne. Les clients fixent le prix pour lequel ils sont prêts à acheter le produit présenté. Ce modèle économique est redevenu en vogue avec les sites d'enchères en ligne.

  • Le freemium : le modèle économique mi-gratuit mi-payant. Les plateformes de musique ou de vidéo en streaming ainsi que d'autres médias comme les applications pour smartphones utilisent ce modèle économique avec une partie gratuite et une partie réservée aux adhérents.

  • Le cashback : le modèle économique de la fidélité récompensée. Plus le consommateur consomme, plus il obtient d'avantages. Ce modèle économique est utilisé notamment pour fidéliser les clients.

  • Le modèle de l'option forcée : le principe consiste peu ou prou à forcer la vente d'un produit ou d'un service non souhaité explicitement par le client et non indiqué dans le contrat signé préalablement. Ce fut le cas largement médiatisé l'an passé de l'opérateur téléphonique SFR qui, notamment, imposait par défaut une option à 5 euros (une chaine de TV supplémentaire) que le client devait lui-même désactiver (décocher sur son compte client en ligne via un cheminement délicat) afin de ne pas se voir ajouter les 5 euros à sa facture mensuelle. Ce modèle d'affaires permet certes de collecter rapidement et sûrement de la trésorerie à court terme mais il est risqué. En effet, d'une part il mécontente le client et d'autre part il permet aussi à celui-ci de se désengager légalement (cf. le code le la consommation) car le contrat initial a été significativement modifié et les nouvelles conditions tarifaires peuvent donner lieu à une rupture unilatérale. BM à manipuler avec précaution !

Face à ces 10 approches, il est possible de proposer un modèle récent et intégratif qui répond également à la lancinante et triviale question « comment gagner de l'argent ? » mais en l'étendant plus largement à « comment capturer de la valeur ? ». Nous allons appréhender ce modèle sur le fond et sur la forme car cette success-story éditoriale est tout à fait singulière.

Une approche intégrative via le business model canvas

L'ouvrage BMNG lui-même et son modèle d'affaires dédié sont tout à fait uniques. En effet depuis 2010, le livre Business Model Nouvelle Generation a déjà été diffusé à plus d'un million d'exemplaires de par le monde avec des traductions en trente langues.

Les deux co-auteurs ont réussi à innover dans l'édition pour s'imposer dans un marché de plus de 11 000 ouvrages (en management) annuels et à recruter quelque 470 contributeurs payants répartis sur 45 pays. Toute cette équipe a collaboré online et offline sur l'ouvrage, sur son site compagnon, sur ses supports mais aussi sur sa stratégie de diffusion et d'infusion au travers de la stratégie « océan bleu ».

Certains auteurs en management ont même écrit sur cette aventure inspirante qui se poursuit. Cette success-story est effectivement assez rare dans l'écosystème relativement policé de la littérature managériale à portée académico-praticienne !

Le modèle canvas est développé dans la première des cinq parties du livre. Cette partie a pour titre « matrice ». Dès la page 14, une définition de ce qu'est un modèle économique (ou business model car les auteurs ne font pas de différences majeures entre ces deux appelations) selon Alexander Osterwalder et Yves Pigneur est donnée :

« Un modèle économique (ou business model) décrit les principes selon lesquels une organisation crée, délivre et capture de la valeur. »

À cet effet - pour tenter de décrire ces principes -, les auteurs proposent une matrice (ou un gabarit) pour identifier les neuf principes (ou neuf blocs) basiques pour aborder ce que serait un nouveau modèle économique innovant et attrayant.

Ces neuf blocs sont les suivants : segments de clientèle, propositions de valeur, canaux, relations avec le client, flux de revenus, ressources clés, activités clés, partenaires clés, structure de coûts. Ces neuf blocs permettent ensuite d'appréhender les quatre dimensions phares de toute entreprise que sont : les clients, l'offre, l'infrastructure et la viabilité financière. Le modèle propose donc, avant tout, de bien identifier et décrire ces divers éléments - notamment ce que souhaite, espère et craint le client pour pouvoir dessiner au mieux la « value proposition canvas » - pour mieux, ensuite, déployer ou tenter de déployer ce qui créera, délivrera et capturera de la valeur !

L'originalité de cet ouvrage et du modèle canvas qu'il porte est de re-dessiner le business model en observant, analysant et replaçant le client (ou la cible) au centre de la proposition de valeur qu'on lui adressera ! Au centre des propositions successives (surtout « ne pas tomber amoureux de sa première idée » comme le souligne Yves Pigneur) qu'on lui adressera pour atteindre celle qui le satisfera et qu'il adoptera...

Mise en perspective d'un « outil » très médiatique

La littérature sur les business models est pléthorique depuis la fin des années 1990. Cette thématique reste porteuse à l'image du succès de l'ouvrage ci dessus et des nombreux et robustes travaux de B. Demil et X. Lecoq.

Néanmoins l'avènement d'écosystèmes d'affaires et/ou d'innovations essentiellement basés sur le numérique et la data - mais pas uniquement à l'image des secteurs de l'agroalimentaire, du tourisme ou du luxe - imposent de toujours remettre l'ouvrage sur le métier. Finalement le BM reste et doit rester un outil d'analyse stratégique.

The Conversation ______

Par Mohamed Iheb MarouaniDoctorant, Sciences de Gestion, Université de Nantes et Wafa BouaynayaPostdoctoral researcher, Information Systems, Université de Nantes

 La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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