Directive européenne sur le droit d'auteur : la réunion qui menace les plateformes Internet

OPINION. Le 22 janvier, la directive européenne sur le droit d'auteur sera débattue par le Parlement et le Conseil Européen. L'enjeu est de trouver un accord pour rééquilibrer la position des créateurs face aux plateformes dont le rôle pourrait être remis en cause. Par Sébastien Proust, avocat of counsel au sein du cabinet Herbert Smith Freehills.
(Crédits : Reuters)

Le 22 janvier prochain, le Parlement et le Conseil Européen se réuniront en vue de trouver un accord sur la future directive sur le droit d'auteur dans le marché unique numérique. L'objectif louable du texte est de rééquilibrer la position des créateurs face aux plateformes Internet, tels que YouTube, qui sont considérées comme de simples hébergeurs, et à ce titre ne sont pas responsables des contenus mis en ligne par leurs utilisateurs.

Ce régime favorable aux intermédiaires a permis le développement de l'internet libre et ouvert que nous connaissons, mais il a pu apparaître injuste pour les créateurs, dans l'incapacité de contrôler l'exploitation de leurs œuvres sur les plateformes et d'en percevoir une juste rémunération.

La Commission a proposé de répondre à cette situation en enfermant les plateformes dans une alternative simple. Soit elles trouvent des accords avec les ayants droit, soit elles doivent empêcher la mise en ligne de contenus contrefaisants à l'aide de techniques de filtrage.

Deux écueils

Une telle proposition présente d'emblée deux écueils. Le premier est que son équilibre dépend totalement de la disponibilité de techniques de filtrage efficaces pour prévenir la mise en ligne de contenus protégés. Les techniques actuelles sont pourtant loin d'être infaillibles et de pouvoir s'appliquer à toutes les typologies d'œuvres de l'esprit, alors que les données hébergées par les plateformes peuvent inclure ou combiner des contenus variés de nature visuelle, musicale, textuels ou informatique. En outre, une simple imitation ou reprise partielle de l'œuvre peut suffire à caractériser une contrefaçon sans pour autant être détectable par un robot. Et la situation se complique encore lorsque le contenu publié sur la plateforme peut bénéficier d'une des exceptions au droit d'auteur (courte citation, parodie, etc.).

Une autre difficulté tient au fait qu'une coopération étroite avec les ayants droit est nécessaire à la mise en œuvre de ces techniques. Ces derniers doivent ainsi fournir des exemplaires de leurs œuvres pouvant être comparées aux copies mises en ligne. En tout état de cause, il est impossible de constituer une base de données contenant l'intégralité des œuvres existantes.

Le second écueil est que la proposition introduit un élément d'incohérence au sein du droit de l'Union européenne, qui interdit actuellement aux États membres de soumettre les plateformes à une obligation de filtrage généralisé. Comme l'a rappelé la Cour de justice en 2012, cette interdiction permet de préserver un équilibre entre la protection du droit d'auteur, la liberté d'expression et la liberté d'entreprise des intermédiaires. Décréter, spécialement pour le droit d'auteur, une obligation de filtrage assortie d'un régime de responsabilité trop rigide risquerait d'affaiblir ces libertés qui sont fondamentales.

Opposition entre le Conseil et le Parlement

Tout l'enjeu de la prochaine réunion interinstitutionnelle du 22 janvier prochain sera donc d'assouplir le projet afin de satisfaire le monde de la création sans soumettre les plateformes à des contraintes excessives qui compromettraient leur modèle économique et la libre circulation de l'information sur Internet.

À ce stade, les positions du Parlement et du Conseil Européen sont encore opposés.

Le Parlement souhaiterait plutôt durcir les obligations des plateformes, en prévoyant la responsabilité automatique de celles-ci pour l'intégralité des contenus contrefaisants auxquels elles donnent accès, même lorsque les ayants droit refusent de coopérer ou qu'il n'existe aucune technique de filtrage disponible.

Le Conseil européen défend une plus grande recherche d'équilibre et propose de n'instaurer à la charge des plateformes qu'une obligation de moyen proportionnée, assortie d'incitations à la concertation et de mécanismes permettant également de préserver les intérêts des utilisateurs des plateformes.

La couleur de la fumée qui sortira de la prochaine réunion entre les deux institutions sera donc scrutée avec attention. Espérons que celle-ci ne soit pas trop toxique pour l'écosystème des prestataires intermédiaires. Une ligne trop dure pourrait finalement réduire la richesse d'Internet en freinant le développement de petites plateformes de partage, pourtant essentiel à la pluralité de la création et de l'information.

Il ne faudrait pas non plus conduire les plateformes à retirer plus de contenus que nécessaire. Aucune technologie n'est à même de différencier une copie contrefaisante d'une copie bénéficiant d'une exception de courte citation ou de parodie. Les procédures envisagées par le Parlement pour préserver la liberté d'expression sont à cet égard insuffisantes.

Si tant est que la ligne dure défendue par le Parlement européen permettrait de protéger la création, et rien n'est moins sûr, faut-il, pour parvenir à cet objectif, porter atteinte à des libertés qui sont fondamentales dans nos sociétés démocratiques?

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 15/01/2019 à 10:29
Signaler
"la réunion qui menace les plateformes Internet" Les GAFA tremblent... Encore une affirmation délirante de nos politiciens européens. "Opposition entre le Conseil et le Parlement" Rapide retour à la réalité. L'UE est faite pour donner du ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.