Essor des "deep tech" : non, l'industrie n'est pas morte !

La désindustrialisation n'est pas une fatalité, à condition de se donner les moyens d'inventer les technologies décisives de demain. Par Michel de Lempdes, associé gérant, responsable de l’activité Capital Risque*.

On a  trop tendance à dire en France que l'industrie est morte. Or, l'essor des « deep techs » (intelligence artificielle, capteurs, internet des objets, matériaux, biotechnologies) est en train de créer une nouvelle industrie, porteuse de développement économique. Malheureusement, l'Europe et la France semblent déjà prendre du retard, alors même que nous sommes armés, si nous nous en donnons les moyens, pour créer des industries compétitives.

L'industrie est-elle donc morte ? D'un certain côté, c'est faux : elle s'est simplement déplacée. L'Allemagne ou la Chine montrent qu'elle existe et qu'elle permet des croissances fortes, des balances commerciales excédentaires comme des taux de chômage bas. De l'autre, c'est vrai : certains types d'usines ou d'industries ne reviendront probablement jamais, car les compétences de production se perdent. L'industrie (hors construction) ne représente que 12 % de l'activité française contre 20 % en 1989. Il faut bien l'avouer, la France a perdu des compétences fondamentales dans des industries qu'elle a parfois inventées, parfois dominées. Certaines filières industrielles sont perdues. Nous ne bénéficions plus des filières industrielles permettant de fabriquer des télévisions, des téléphones, des microprocesseurs. Il ne faut pas croire d'ailleurs que le pays a délégué les activités de construction, en conservant des activités, perçues comme plus nobles, de recherche et développement et d'innovation : il n'y a pas d'innovation sans base industrielle sur laquelle innover. Comment améliorer ou inventer des produits quand on ne sait plus les fabriquer ?

Une nouvelle industrie, la "deep tech"

Mais en fait une nouvelle forme d'industrie est en train de naître, que l'on peut nommer « deep tech ». Ces technologies renouent avec les grandes innovations technologiques, celles qui ont des conséquences sur la longévité ou la santé, les infrastructures de l'économie (transports, énergie) ainsi que les briques fondamentales qui font fonctionner les autres systèmes (des matériaux à l'intelligence artificielle). Cette « deep tech » a donc le potentiel d'améliorer de façon drastique certains paramètres fondamentaux économiques et sociaux, a contrario des innovations digitales des années 1990-2000, dont il est délicat de mesurer l'impact positif sur des variables fondamentales comme la santé, l'espérance de vie ou la productivité économique : invention de nouveaux vaccins, édition de gènes défectueux avec des méthodologies de type CRISPR, nouvelles protéines, technologies de nettoyage de l'eau, nouvelles sources d'énergie...

La France en train de laisser passer le train...

La France est-elle bien positionnée sur ces secteurs d'innovation ? Il est possible de dresser deux constats à ce stade. Le premier est que la France comme l'Europe sont en train de laisser passer ce nouveau train technologique. En termes de « deep tech », chaque année, seuls une vingtaine d'investissements significatifs sont réalisés dans des start-ups européennes, alors même que les Etats-Unis comptent déjà plusieurs entreprises en situation de passer le milliard de dollars de valorisation. La Chine prévoit d'investir à court terme environ 13,5 milliards d'euros dans l'intelligence artificielle. A contrario, selon une étude d'Infosys en 2017, seuls 32% des décideurs français de grandes entreprises pensent que le pays pourrait être à l'avant-garde de l'adoption et de l'utilisation des technologies d'IA.

... mais peut redresser la barre

Malgré ce tableau noir, le pessimisme n'est pas de mise. Grâce à son excellent réseau universitaire, la France dispose d'un potentiel conséquent dans ces secteurs, ce qui lui permettait de faire partie des pays qui saurons maîtriser ces nouvelles technologies, avec leurs conséquences en termes de transformation de l'emploi, des normes et de l'économie, plutôt que de ceux qui les subirons. Preuve de la qualité de nos chercheurs et ingénieurs, Facebook et Rakuten ont un centre de recherche en intelligence artificielle en France. Nous sommes aujourd'hui le deuxième acteur européen en termes d'investissement dans la « deep tech » dans les 5 dernières années, avec 582 millions d'euros, selon le fonds anglais Atomico et l'événement Slush. Certes, le montant est près de 3 fois inférieur aux montants investis au Royaume-Uni (1342 millions d'euros), mais il est encourageant.

Trois paramètres

Encore faut-il ne pas gâcher ce potentiel. Trois paramètres permettront de consolider l'écosystème européen et français. Le premier est la volonté : quand l'Etat chinois décide de faire du pays le leader de la fabrication d'écrans, il y parvient. Les pays européens se persuadent souvent qu'ils ne peuvent pas faire. Le deuxième paramètre est l'argent. L'argent public, nécessaire, ne suffira pas : il est nécessaire de libérer l'épargne publique, peut-être à l'échelle des mécanismes d'assurance vie. Le troisième paramètre est la conduite de projets sur le temps long : la technologie prend du temps ; il faut assurer un financement durable et une capacité à accompagner un projet jusqu'à l'entrée en bourse ou la consolidation, ce que l'écosystème financier européen est insuffisamment en capacité de réaliser aujourd'hui. Les grands groupes doivent être incités à protéger leur écosystème. L'histoire industrielle des dernières années nous montre que quand celui-ci disparaît, le grand groupe finit par s'effondrer aussi.

La désindustrialisation n'est pas une fatalité car la France dispose du potentiel pour inventer les technologies décisives de demain ; à nous de nous y atteler.

Michel de Lempdes

*Membre du Comité de direction d'Omnes Capital

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