La concurrence et l'Europe : droit ou politique ?

L'évolution de l'Union européenne au cours des vingt dernières années est incontestablement marquée par le déplacement du curseur, au bénéfice du droit et au détriment de la politique, en particulier pour ce qui concerne le cœur des compétences européennes : la concurrence. Une telle évolution n'est pas sans contraintes pour les acteurs de la construction européenne. Par Bruno Alomar, économiste, ancien Haut fonctionnaire de la Direction générale de la Concurrence de la Commission européenne

Dire que le droit est le monde de la règle tandis que la politique est le lieu des choix confine apparemment au truisme. Le questionnement d'un tel truisme est pourtant au cœur des fractures de la construction européenne.

 D'abord, car n'en déplaise aux tenants de l'esprit de géométrie cher à Blaise Pascal, le rapport entre droit et politique est subtil, et relève plus de l'esprit de finesse. Au fond, le droit n'est jamais que l'inscription dans un temps fixe de choix qui sont bien politiques, et le continuum est d'évidence entre ces notions.

 Déplacement de curseur au bénéfice du droit

Ensuite, car derrière cette évidence se dissimule l'une des plus profondes fractures d'un couple franco-allemand ébréché. L'Allemagne, attachée à l'ordo libéralisme, accorde une place prééminente à la règle de droit, et se méfie de la politique. La France, au contraire, sacralise la politique, et recherche en vain dans la construction européenne la mise en œuvre de politiques : politique de change, politique de la concurrence etc.

L'évolution de l'Union européenne au cours des vingt dernières années est incontestablement marquée par le déplacement du curseur, au bénéfice du droit et au détriment de la politique, en particulier pour ce qui concerne le cœur des compétences européennes : la concurrence. Une telle évolution n'est pas sans contraintes pour les acteurs de la construction européenne.

 C'est bien sûr le cas des États membres. L'obstacle que représente le droit de la concurrence quand il s'agit de bâtir des champions européens ou de faire du « patriotisme économique » est un serpent de mer des élites économiques et politiques françaises, qui demeurent traumatisées par la fusion interdite Schneider - Legrand il y a prêt de quinze ans. Les incohérences nationales en la matière ne manquent d'ailleurs pas. Il suffit de considérer le nombre de leaders européens voire mondiaux que recèle le CAC 40, en dépit du Croquemitaines que constituerait la Commission européenne quand il s'agit d'autoriser ou non les rapprochements d'entreprises...

Neutralité du droit de la concurrence

Mais c'est également le cas des Institutions européennes elles-mêmes. Les autorités de concurrence européennes ont toujours rejeté les accusations de politisation de leurs décisions - songeons aux mots très durs prononcés par Barack Obama en février 2015 - pour s'abriter derrière la neutralité puissante du droit de la concurrence. Une telle attitude est commune aux différentes autorités de concurrence, soucieuses de coopérer entre elles et de faire taire les accusations de nationalisme juridique larvé. Une telle coopération est d'autant plus logique que le droit de la concurrence, c'est sa force, traite de réalité économiques qui s'uniformisent.

A cet égard, une décision récente de l'autorité de concurrence australienne pourrait avoir des conséquences importantes sur l'une des plus emblématiques - oserait-on dire l'une des plus politiques - des affaires traitées par la Commission européenne, car impliquant le géant Google : l'affaire Android. L'autorité australienne, à rebours de l'analyse faite jusqu'à présent par les autorités européennes, a considéré que le système d'exploitation Apple exerçait une pression concurrentielle sur la plateforme Android de Google. Si chacune des autorités de concurrence, australienne et européenne, traite d'un cas d'espèce, ce qui incite à la prudence, il va cependant sans dire que la prise de position de l'autorité australienne est de nature à fragiliser la position initiale de la Commission européenne, qui a écarté toute pression concurrentielle d'Apple sur Google.

 En définitive, il y aurait quelque ironie à ce qu'après avoir puissamment publicisé sa décision Apple dans le domaine des aides d'Etats (13 milliards de redressement fiscal pour l'Irlande en septembre 2016), la Commission se retrouvât fragilisée dans son opposition avec l'autre géant américain Google. Mais quand on fait du droit, il faut savoir en faire jusqu'au bout, et renoncer à l'opportunisme politique...

Bruno Alomar, économiste, ancien Haut fonctionnaire de la Direction générale de la Concurrence de la Commission européenne.

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Commentaire 1
à écrit le 18/05/2017 à 11:37
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Un bon sujet d'analyse, merci à vous. Un élément de réponse à cette primauté du droit sur la politique qui est d'abord salie par les politiciens professionnels quand même ne l'oublions pas: "Quand les avocats d’affaires écrivent les lois"http://w...

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