La Cour de cassation confirme qu’elle veut sauver le principe de l’indexation du loyer du bail commercial  !

DECRYPTAGE. En matière de bail commercial, il ne fait plus de doute que la clause d'indexation prévoyant une variation du loyer uniquement à la hausse doit être réputée non écrite. Mais la question de la portée de cette sanction continue d'agiter les tribunaux. Par son arrêt rendu le 1er juin 2022, la Cour de cassation réaffirme que seule la stipulation prohibée doit être sanctionnée, de manière à maintenir le principe de l'indexation du loyer. Le juge doit uniquement s'attacher à vérifier que les termes de la clause le permettent. Par Me Ophélie Boulos, Associée au cabinet Kramer Levin.
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Depuis plusieurs années, un abondant contentieux est né concernant la validité de la clause d'indexation insérée dans un bail commercial prévoyant une variation du loyer uniquement à la hausse. Ce débat est clos : la jurisprudence considère que ces stipulations sont réputées non-écrites.

Mais un autre débat s'est ouvert sur la portée de cette sanction : en effet, certains preneurs ont vu dans cette jurisprudence une opportunité d'anéantir rétroactivement le principe même de l'indexation du loyer, bien qu'au moment de la signature du contrat, les parties étaient convenues de son caractère essentiel.

Des bailleurs ont ainsi été condamnés à restituer des sommes considérables (la totalité des indexations facturées au preneur pour la période d'exécution du bail non couverte par la prescription).

Tant pour des considérations juridiques que macro-économiques, mais encore d'équité, ces décisions étaient critiquables.

Par une série d'arrêts, la Cour de cassation a souhaité déjouer l'effet d'aubaine qu'entraînait l'éradication intégrale de la clause d'indexation en jugeant que : « seule la stipulation qui crée une disproportion prohibée est réputée non écrite », mais pas la clause dans son ensemble (Civ. 3e, 29 nov. 2018, n° 17-23.058 ; Civ. 3e, 17 mai 2018, n° 17-15.146; Civ. 3e, 13 sept. 2018, n° 17-19.525,). Ce qu'elle réaffirme régulièrement (Cass. 3e civ., 6 févr. 2020, no 18-24.599 ; Cass. 3e civ., 11 mars 2021, n° 20-12.345).

Mais certains juges du fond persistaient à invalider des clauses d'indexation dans leur entièreté, excipant leur indivisibilité de leur caractère essentiel aux yeux des parties.

Par plusieurs décisions, la Cour de cassation a donc encadré, par des critères objectifs, l'appréciation de la portée de la sanction du réputé non-écrit : l'office du juge n'est pas de rechercher le caractère essentiel ou non de la clause d'indexation stipulée, mais uniquement de rechercher si la clause d'indexation peut être appliquée indépendamment de la stipulation prohibée (Cass. 3e civ., 30 juin 2021, n° 19-23.038 ; Cass. 3e civ., 30 juin 2021, n° 20-11.685 ; Cass. 3e civ., 12 janvier 2022, 21-11.169).

Dans sa lettre du mois de février 2022, la Cour de cassation a par ailleurs attiré l'attention des magistrats sur l'enjeu économique attaché à cette question (Lettre de la troisième chambre civile de la Cour de cassation n° 6, Février 2022) :

« la sanction du réputé non écrit est-elle limitée à la seule stipulation écartant la réciprocité de la variation ou doit-elle entraîner l'éradication de la totalité de la clause ?

Cette question revêt un intérêt économique majeur.

Dans la première hypothèse le bailleur ne sera en effet tenu qu'à restitution des sommes perçues au titre de l'indexation irrégulière.

Dans la seconde, la restitution portera, dans la limite de la prescription de l'action en répétition de l'indu, sur la totalité des sommes versées par le preneur au titre de l'indexation. Au surplus, l'indexation étant censée n'avoir jamais existé, le loyer restera pour l'avenir figé à son montant initial.

[...]  la cour de cassation énonce que "seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite" [...].

Sans remettre en cause l'appréciation souveraine du juge du fond, la solution retenue impose donc à ce dernier de rechercher si, de manière objective, la stipulation contraire à l'article L. 145-39 du code de commerce peut ou non être retranchée de la clause sans porter atteinte à la cohérence de celle-ci et au jeu normal de l'indexation. ».

Par un arrêt rendu le 1er juin 2022, la Cour de cassation persiste et signe : après avoir une nouvelle fois rappelé que « seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite », la Cour de cassation censure, au visa de l'article 1134 du Code civil (dans sa rédaction antérieure) la décision d'une Cour d'appel qui avait réputé une clause d'indexation non-écrite dans son ensemble « sans relever d'éléments de nature à établir que les parties au contrat de bail n'auraient pas maintenu la clause d'indexation en l'absence de dispositions excluant l'ajustement du loyer à la baisse et par des motifs impropres à caractériser l'indivisibilité » (Cass. 3e civ., 1er juin 2022, n° 20-17.691).

Les choses sont donc claires : pour déterminer la portée du réputé non-écrit, le juge doit uniquement rechercher si la stipulation prohibée (par exemple, le sens de la variation de la clause « uniquement à la hausse ») :

  • Peut être effacée sans que la cohérence du reste de la clause d'indexation en soit affectée ;
  • Présente un caractère essentiel et déterminant (et non pas la clause d'indexation dans son ensemble).

Le cas échéant, le principe de l'indexation doit être maintenu.

Espérons que le message clair délivré par la Cour de cassation tarisse ce contentieux.

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Réf. : Cass. 3e civ., 1er juin 2022, n° 20-17.691

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