La crise sanitaire a pris la forme d’une "destruction créatrice" schumpetérienne

OPINION. Désormais, plus personne ne doute de l’ampleur du choc sanitaire sur l’environnement économique. Nos estimations pour 2020 d’une récession en France de 12%, d’une détérioration du déficit budgétaire à 14% et d’un ratio d’endettement public atteignant 125% sont pratiquement consensuelles. Par Christophe Morel, chef économiste chez Groupama AM
(Crédits : DR)

Avec le déconfinement, les signes de reprise s'accumulent. Si le pire conjoncturel est derrière, la reprise ne s'effectuera pas non plus en « ligne droite ». C'est l'hypothèse principale de notre scénario en « U » : les défaillances d'entreprise augmenteront, les taux de chômage ne déclineront que très progressivement, la faiblesse du commerce mondial pèsera sur les modèles de croissance des pays émergents et surtout, les soutiens budgétaires (notamment en Europe) exigeront du temps et de la négociation avant d'être mis en place. Sur la seconde partie de 2020 et en 2021, le retour de la confiance des entrepreneurs et des ménages permettra le rebond de la croissance.

Toutefois, certains risques qui s'étaient atténués pourraient réapparaître : l'aléa sanitaire peut ressurgir, une issue de type « hard Brexit » en fin d'année augmente en probabilité, les élections américaines alimenteront les incertitudes et le conflit sino-américain a une nature structurelle qui persistera quel que soit le vainqueur de la présidentielle aux États-Unis.

Le Covid-19 : un « cygne noir »... et une opportunité historique de résoudre les défis fondamentaux d'avant-crise

Même si des incertitudes persistent sur l'évolution conjoncturelle des 18 prochains mois, notre confiance est plus marquée sur la reprise à moyen/long terme : les crises sont des accélérateurs de tendance pré-existantes et permettent de mettre en place des politiques de rupture. La crise sanitaire constitue une excellente occasion pour l'Europe de réaliser les investissements nécessaires à la transition environnementale et numérique.

Avant la crise, nous avions identifié plusieurs défis qui ne semblaient pas avoir de solution : la stagnation séculaire, la « zombification » de l'économie, la nécessité de réallouer les ressources vers de nouveaux besoins (environnement, numérique...) et l'impasse dans laquelle se situait la construction européenne. Parce que la crise sanitaire a affecté tous les pays simultanément, elle constitue une opportunité « historique » d'envisager des solutions à tous ces défis de long terme sous la forme d'une « destruction créatrice » schumpetérienne, et dans le cas européen, d'initier un fédéralisme avec une solidarité budgétaire ce qui constitue une « nouvelle donne ».

Plusieurs facteurs nous rendent plus confiants sur un cycle de croissance prolongé :

  • Avant la crise, les économies développées - singulièrement les États-Unis - étaient vulnérables à un retournement conjoncturel (ce que sous-tendait en début d'année notre scénario de récession). Désormais, la « purge cyclique » laisse la place à un rattrapage conjoncturel, et ce faisant à un cycle de croissance prolongé.
  • Le grand soir des politiques budgétaires est enfin arrivé : après l'étape 1 de l'urgence et de la gestion des besoins de liquidités, elles basculent désormais dans l'étape 2 d'accompagnement de la reprise. Elles soutiendront fortement la croissance pour 4 raisons. L'impulsion budgétaire devient massive à l'image du plan de 130 mds EUR annoncé en Allemagne ou du plan « Next Generation EU » de 750 mds EUR. Elles ont un horizon pluri-annuel qui permet de briser l'effet d'hystérèse de la crise. Les plans d'investissement dans les secteurs de l'environnement et du numérique ont par définition un effet « multiplicateur » élevé. Enfin, l'impact est renforcé par le fait que tous les pays développés appliquent les mêmes mesures en même temps (coordination des politiques économiques de facto à défaut d'une coordination de jure)
  • Enfin, les banques centrales accompagneront cette reprise en maintenant les taux directeurs inchangés pendant plusieurs années, en poursuivant leur politique d'achats d'actifs inconditionnels avec des put renforcés sur les actifs financiers (notamment depuis la décision de la Fed d'intervenir sur les marchés de crédit).

Au total, la reprise sera ponctuée d'aléas. C'est l'esprit même de notre scénario en « U ». Cependant, dans les solutions à la crise, certaines sont de « nouvelles donnes » à même de nous rendre plus confiants sur les perspectives de croissance au-delà de 2021.

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Commentaires 6
à écrit le 25/06/2020 à 9:55
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J'aimerais tellement être aussi enthousiaste que vous mais suffit juste de jeter un œil sur nos propriétaires de capitaux et d'outils de production afin de comprendre que cela ne va pas être simple ! Par contre faudrait être un peu plus lucide su...

à écrit le 25/06/2020 à 9:34
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Un grand merci à ce monsieur de ne pas avoir fait comme les autres économistes parisiens dans le défaitisme de bon ton : c'est très rafraîchissant. Et zut ! aux commentaires précédents bien négatifs et noirs comme il se doit. Tellement faciles, bi...

à écrit le 24/06/2020 à 19:17
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La destruction créatrice, c'est d'abord de la destruction et des gens laissés sur le carreau qui ne retrouverons pas d'emploi dans le secteur créateur, puisqu'ils n'ont pas les compétences pour ce secteur.

à écrit le 24/06/2020 à 16:38
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"dans le cas européen, d'initier un fédéralisme avec une solidarité budgétaire" (je cite l’article) il est dommage qu’en essayant de penser le monde d’après, cette analyse reprenne exactement les mêmes erreurs que par le passé, croire que la prétendu...

à écrit le 24/06/2020 à 16:30
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Pas vraiment d'accord, tout du moins pour la france. Sous prétexte de protéger les gens on protège en fait surtout des modèles économiques qui sont limite à l'agonie. On fait plutôt de la protection stagnatrice. Il y a quelques jours je râlais contre...

à écrit le 24/06/2020 à 15:09
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"et une opportunité historique de résoudre les défis fondamentaux d'avant-crise" : Haha ! Mais oui, on y croit :)

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