La Douane comme remède à la fin du libre-échange global

A 40 ans et avec une quinzaine d'années d'expérience en tant qu'experts du commerce international (ou communément le sujet du droit de douane, et des barrières à l'export ou à l'entrée), nous avons débuté notre activité en plein boom de la mondialisation des échanges. Par Ruth Guerra et Stéphane Chasseloup, avocats associés, FIDAL.
(Crédits : © Eric Gaillard / Reuters)

Quelle drôle d'idée de se lancer dans cette carrière lorsqu'on vous annonce au début des années 2000 que les droits de douane (barrières tarifaires) seront supprimés au plus tard en 2015 (*et que l'objectif politique affiché est de déréglementer et de fluidifier les échanges, donc de ne plus se préoccuper du sujet douanier. Les biens doivent circuler librement, sans contrainte, sans douane.

Nous démarrons 2018 et, si bilan doit être fait, nous devons bien avouer que rien ne s'est passeé comme prévu : bien au contraire, le sujet douanier ne semble jamais avoir été aussi important et complexe qu'aujourd'hui.

François Lenglet nous avait prévenus, dans son ouvrage intitulé "La fin de la mondialisation", affirmant que le déclin du libre-échange globalisé était acté et que nous retournerions à un protectionnisme raisonné.

Les signes d'un déclin annoncé

En réalité, ils sont partout.

Tout d'abord les déclarations des dirigeants politiques : leur but est avoué, faire revenir l'activité de production et limiter l'entrée de produits tiers venant empêcher les entreprises nationales de vendre et grandir. Et ce, qu'ils soient américains, français ou encore chinois.

Le président Trump vient de faire voter par le Congrès américain la mise en œuvre de droits anti-dumping allant jusqu'à appliquer des droits supplémentaires sur les importations canadiennes et mexicaines, pays avec lesquels les USA ont pourtant signé l'Accord Nord-Américain de libre-échange (ALENA) tendant à la suppression des droits de douane.

Malgré son statut de pays partenaire, le Canada a récemment dénonceé les pratiques des USA auprès de l'OMC en laissant supposer que la renégociation de l'ALENA débutée l'année dernière s'avère pour le moins difficile.

Plus proche de nous, le président Macron, avait également annoncé, en déplacement à Bruxelles, la nécessité d'une Europe qui protège l'industrie, insistant sur la nécessité d'un renforcement des instruments anti-dumping, qui doivent être plus dissuasifs et plus réactifs », par exemple « contre la concurrence déloyale de pays comme la Chine sur l'acier ». Le Chef de l'État allait même jusqu'à comparer les personnels chargés de l'anti-dumping à Bruxelles en rappelant que les équipes américaines sont deux fois plus nombreuses.

Côté chinois, même si on a pu voir infléchir le protectionnisme comme suite de l'adhésion de la Chine à l'OMC en 2007, par une abrogation de l'obligation de licence d'importation, elle n'a de cesse d'imposer des normes empêchant l'entrée de nombreux produits. Les importateurs de produits cosmétiques mesurent parfaitement de quoi nous parlons ici. Importer s'apparente à l'importation de médicaments. Et on se rappellera les mesures de rétorsion chinoises (imposition de droits antidumping sur les vins de Bordeaux) comme suite à l'imposition dans l'Union européenne des antidumping sur les panneaux photovoltaïques chinois.

Que dire des peuples eux-mêmes ?

Ils rétablissent des frontières.

Les Britanniques ont pris la décision politique la plus surprenante depuis la création de l'Union européenne, à savoir la quitter, sans se soucier des conséquences ou réellement les avoir mesurées.

La seule certitude que nous puissions avoir à date est que le sujet douanier est fondamental et emporte, hors le monde financier, la grande majorité des questions des entreprises. Les questions les plus récurrentes étant :

  • Quels sont les droits de douane que j'aurais à payer ?

  • Mais aussi quel sera le temps de dédouanement, pour accomplir les nouvelles formalités douanières du côté britannique puis français/européen.

Les autres questions sur la fiscalité directe, les prix de transfert, arrivent ensuite.

On signalera, même si les motivations ne sont pas nécessairement uniquement les mêmes, le cas de la Catalogne qui aurait pu conduire à sa sortie de l''Union et le sujet douanier, au-delà du fait de savoir si le FC Barcelone et Lionel Messi auraient pu rester dans la Champions League de football, commençait à poindre dans les conversations. Le transfert du siège de plus de 3.000 entreprises catalanes vers d'autres villes espagnoles en est le témoin.

D'aucuns pourraient dire dans le même temps que des accords de libre-échange aient été signés, tel le CETA entre l'Union européenne et le Canada ou encore avec le Japon, les brandissant comme des témoignages d'un libre-échange bien vivant.

Nous affirmons qu'il n'en est rien : la signature d'accords bilatéraux est tout au contraire le témoignage que les négociations globales sur le libéralisme sont devenues impossibles, et que la voix de l'OMC ne sera plus écoutée.

En passant de la globalisation multilatérale à la stricte réciprocité bilatérale, le sujet douanier est revenu sur le devant au premier plan de la scène juridico-fiscale. Il est donc du devoir des États, mais surtout des entreprises de se préparer au mieux pour faire face à ses nouveaux enjeux.

Comment opérer une triple révolution ?

La douane était considérée comme déclarative, comptable et trop technique, elle doit devenir prospective, stratégique et au cœur des décisions financières.

Depuis, il ne s'agit plus de porter des informations sur une déclaration et de calculer ses droits de douane, il s'agit d'anticiper les décisions politiques, de suivre et de comprendre des accords bilatéraux aux géométries variables et d'accompagner le choix de la décision de l'implantation d'un site de production : faut-il s'établir dans l'État de commercialisation pour ne pas se poser la question du droit de douane ou faut-il choisir une autre implantation, par exemple un pays avec lequel l'État de commercialisation des biens a signé un accord bilatéral. Toutes ces décisions devront être prises à la lumière des évolutions politiques, de la stabilité des gouvernements...

Il n'est plus question uniquement de lire le tarif des douanes de chaque pays et tenter de trouver le taux de son produit - au mieux en essayant d'optimiser le classement douanier - il devient incontournable pour l'opérateur de suivre le Droit des États soutenant les décisions politiques, les enquêtes antidumping, les accords en signature, les conflits devant les juridictions locales ou régionales...

Hier éloignée de la contrainte géopolitique, la Douane doit tenir compte de cette dimension.

Pour faire sa révolution douanière, l'entreprise doit aussi faire sa révolution managériale.

Pour ce faire, l'entreprise doit appréhender dans son organisation la nouvelle donne mondiale et savoir s'entourer des talents qui lui permettront d'anticiper le changement, de contourner les barrières douanières, tarifaires ou non, ce qui lui offrira un avantage concurrentiel certain par rapport à ceux qui minimiseront le sujet, chantres d'un libre-échange global révolu.

C'est donc un sujet de recherche de talents, de réorganisation, de mise en place de procédures internes, d'audits, de veille, d'intégration du sujet douanier dans les projets à l'international. Le sujet doit faire partie de l'arbre de décision et de stratégie, de la control tower si cher à certains.

Dans ce nouveau monde, l'expert douanier, où qu'il soit - administration, entreprise ou cabinet d'avocat-, est plus que jamais un acteur essentiel garantissant la performance économique de l'entreprise, la plaçant dans une position concurrentielle favorable.

Ne nous y trompons pas, les voix de Davos prônant la vigueur de la mondialisation passée à coups d'indices de croissance ne sont que les appels au secours des États qui ont compris que malheureusement les barrières se lèvent devant leurs produits, sans autre analyse pour la plupart de ce qui se passe fondamentalement.

Quand le Président Macron appelle lui aussi récemment à DAVOS à une redéfinition de la mondialisation, il reconnaît donc lui aussi que le modèle d'hier est mort. D'ailleurs n'affirme-t-il pas que les États doivent être les acteurs de cette révolution qu'est la nouvelle mondialisation.

Le commerce mondial ne s'arrêtera pas, mais il ne sera plus ce Léviathan incontrôlé, ce flot déraisonné réduisant en cendre les frontières douanières, laissant aux dirigeants d'entreprise penser que le débat est clos et derrière lui.

Il est plus que jamais l'affaire d'experts sachant appréhender les textes, proposer des solutions aux gouvernements pour protéger et libéraliser dans le dispositif textuel mondial, et même si le mot fâche les sachants de l'OCDE, optimiser les flux et réduire l'impact douanier.

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* Cycle de DOHA : ronde de négociation sur l'amélioration de l'accès aux marchés sous l'égide de l'Organisation Mondiale du Commerce

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Commentaire 1
à écrit le 16/02/2018 à 9:26
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Ouhaou ! Un article volant non identifié, génial ! Alors ça au moins on n'en lit pas tous les jours des belles pensées comme ça c'est sûr, surtout en néolibéralisme, se sortir de cette espèce de pensée unique, de religion de la finance c'est pas ...

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