La France doit vite prendre le virage des Deep Tech !

Par Francky Trichet, Vice-Président Numérique - Université de Nantes et Adjoint au maire de Nantes en charge de l'Innovation & Numérique
(Crédits : Nantes Métropole Franck Tomps)

La France des startups se porte bien. Et rien ne semble freiner sa croissance depuis trois ans, comme en témoignent le taux de création, qui a augmenté de 30% entre 2014 et 2016, et la forte progression des levées de fonds qui devraient passer le cap des 3 milliards d'euros en 2017 (1,5 milliards en 2015 - 2,7 milliards en 2016). Poussé par le vent porteur de la French Tech, notre pays compte environ 10.000 startups dont 3 licornes* : BlaBlaCar, OVH et Critéo (ex-licorne entrée au Nasdaq en 2013).

Mais cette santé record repose principalement sur le marché des Low Tech, c'est-à-dire des produits et services à faible valeur de différenciation car fondés sur des technologies existantes. Tellement faible qu'il est de plus en plus déstabilisant de découvrir qu'à Nantes, Berlin ou Lisbonne, plusieurs jeunes pousses proposent exactement la même plateforme ou le même service. Et comme dans l'univers impitoyable des startups, il n'en restera qu'une, de nombreuses entreprises vont mourir dans un futur proche ! Le marché de la livraison de la nourriture est révélateur de cette tendance avec la concurrence acharnée entre Uber Eats, Deliveroo ou Take It Easy.

Le marché des Low Tech s'essouffle. Et il peut rapidement s'asphyxier car la concurrence internationale s'accélère. Mais les marchés prometteurs de demain sont ailleurs, car les défis sociétaux actuels sont si complexes qu'ils exigent à la fois un changement de paradigme et des avancées technico-scientifiques inédites.

« Les Low Tech se meurent. Vive les Deep Tech ! »

La France a une réelle opportunité de se positionner sur l'échiquier mondial des Deep Tech, qui se concentrent sur l'innovation de rupture impulsée par les avancées scientifiques, en rapprochant l'excellence de sa recherche académique (reconnue mondialement) et sa bouillante dynamique entrepreneuriale incarnée par la French Tech ! Bien que pesant une goutte d'eau dans l'océan des startups (2% du nombre total de start-up dans le monde, estimé à 150.000), les Deep Tech, sont des sources de réelle différenciation à l'international et de forts leviers de compétitivité industrielle.

Quelques start-up montrent déjà la voie comme CAILABS de Rennes qui utilise l'optique quantique pour déformer la lumière dans la fibre, permettant ainsi de multiplier le débit par 400. MULTIX de Grenoble s'appuie sur la spectrométrie par rayon X pour détecter la présence d'explosifs dans un liquide : une fois installée dans tous les aéroports, cette technologie permettra d'éviter de jeter inutilement nos bouteilles d'eau avant d'embarquer dans l'avion. Installée à Bordeaux, OLIKROM développe des pigments intelligents (thermo-, photo-, piézo-stimulables) qui changent de couleur en fonction de la température, de la pression ou de la lumière. Enfin, AlgoSource de Nantes/Saint-Nazaire étudie et cultive le potentiel des micro-algues pour développer des bio-façades urbaines thermo-régulées ou du bio-bitume.

Mais comment démultiplier ces belles initiatives et positionner au plus vite notre pays sur la scène internationale des Deep Tech ?

Ma conviction est qu'un double mouvement doit simultanément s'opérer avec, d'une part, une impulsion descendante caractérisée par un État moteur et volontariste qui investit et modifie certaines règles et, d'autre part, une dynamique ascendante où chaque territoire se mobilise et invente de nouveaux dispositifs locaux pour rapprocher chercheurs et startupers.

Côté État, la priorité est d'investir massivement pour créer des espaces libres de découverte où tous les acteurs (laboratoires, TPE/PME, industriels, collectivités) se « lâcheraient ensemble », sans contrainte et en confiance, pour créer de la connaissance, de la technologie et des marchés ! L'objectif est de bousculer la chaîne de valeurs traditionnelle « science/valorisation/marché » en mixant dès le départ toutes les forces autour d'une thématique d'avenir, dans un esprit de conquête et de mise en commun. Un terreau fertile pour le « techno-push » et le « market-pull » ! La création récente du centre français pour l'Intelligence Artificielle (IA) est un premier pas. Mais il faut aller plus loin en accroissant la diversité des acteurs impliqués et en anticipant encore plus les thématiques porteuses pour avoir un coup d'avance : l'IA c'est bien, mais il est peut-être déjà trop tard ! La France possède le privilège de la fluidité avec plus de 20.000 km de côtes : parions, par exemple, sur la mer en devenant le pays leader mondial sur les Énergies Marines Renouvelables.

Ensuite, il faut inciter (pourquoi pas fiscalement ?) les grands groupes à investir dans les Deep Tech : en France, c'est le cas de 5% d'entre eux contre 20% aux États Unis ! Il faut également stimuler l'envie d'entreprendre chez les jeunes docteurs et permettre à des plus anciens de rebondir en fin de carrière en modifiant les statuts actuels. Donner plus d'importance à la mission de valorisation dans les carrières des enseignants/chercheurs, assouplir les contraintes de propriété intellectuelle, créer un nouveau statut de « startup post-doc » sont autant de pistes à creuser pour simplifier l'entreprenariat scientifique et diffuser cette culture. Un maître de conférences recruté en 2017, qui sait prendre des risques pour s'épanouir, aspire à plus de diversité et de flexibilité dans sa carrière professionnelle.

Côté territoires, il faut que les 13 métropoles et les 20 réseaux thématiques labellisés French Tech incitent leurs établissements d'enseignement supérieur respectifs à créer des dynamiques durables entre chercheurs et startupers locaux. Financement de projets (et bourses) de recherche conditionnés à l'implication ou la création d'une startup, création de laboratoires communs avec les industriels implantés à proximité, développement de dispositifs d'incubation pour jeunes pousses universitaires sont quelques pistes à creuser pour faire émerger la « French Deep Tech ».

« L'exemple nantais de Maia Mater »

Nantes vient de s'engager dans cette voie avec la création de Maia Mater, un camp d'entrainement pour primo-entrepreneurs 100% public, 100% gratuit et 100% culture du retour. Une première en France pour un accélérateur sans prise de participation au capital qui cible principalement les jeunes chercheurs en thèse ou post-doctorat. L'accompagnement sur-mesure est assuré par les CEO des belles pépites locales, ce qui créé une dynamique vertueuse au sein de l'écosystème. Une initiative qui pourrait s'avérer pertinente à dupliquer dans d'autres métropoles. L'INRIA (Institut de Recherche public en sciences du numérique) a récemment créé un programme baptisé Recherche à Station F. C'est une bonne initiative, mais limitée au numérique et centralisée à Paris. Il faut décentraliser de telles actions, les « passer à l'échelle » et les ouvrir à toutes les disciplines en mobilisant tous les organismes de recherche (CNRS, IFSTTAR, INRA, IRSTEA, INSERM,...), toutes les universités et écoles et tous les laboratoires de France.

Que 2018 soit l'année pivot de la French Deep Tech !

__

* Une licorne (unicorn) est une startup non côtée en bourse et valorisée à plus d'un milliard de dollars.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 11/01/2018 à 15:00
Signaler
Merci pour la leçon yaka faucon. Un Etat moteur, changer les règles et les statuts. Waou! La profession la plus libérale en France est celle de boulanger. Et ce n'est pas une mince affaire que de créer une boulangerie innovante, réglementation de tou...

à écrit le 11/01/2018 à 11:49
Signaler
A priori je partage complètement la proposition: Plus d’entreprenariat technologique. Mais au final c'est toujours la même rengaine, toujours plus d'argent pour les universités et leurs corps enseignant surpayé et complètement stérile en matière d...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.