Les dernières cartouches de Mario Draghi

Sous la pression des marchés, la Banque Centrale Européenne se doit d'agir ce jeudi. Mais son action a-t-elle des chances d'être efficace? Sans recours à une politique d'investissement public forte, il est probable que la zone euro reste condamnée à une faible inflation sur la durée peu créatrice de richesse. Par Christopher Dembik, économiste Saxo Banque

La réunion du 10 mars prochain de la BCE revêt une importance cruciale du fait du désancrage manifeste des anticipations d'inflation. Les forwards d'inflation à 5 ans, qui constituent un indicateur fiable d'évolution future de l'inflation, évoluent actuellement à 1,36%. Cela indique que les investisseurs ne croient pas à la capacité de la banque centrale à atteindre son objectif d'inflation officiel à 2% à moyen terme.

La crédibilité de la BCE est particulièrement mise en question alors, qu'au même moment, la Réserve Fédérale américaine semble en passe de réussir son pari et d'avoir une inflation dans les clous d'ici les prochaines années. En effet, l'inflation sous-jacente, qui exclut les prix volatils de l'alimentation et de l'énergie, a atteint 1,7% sur un an en janvier outre-Atlantique, soit un point haut depuis juillet 2014, tandis qu'elle n'était que de 1% en zone euro sur la même période. Résultat, le spread entre l'inflation sous-jacente aux Etats-Unis et en zone euro n'a jamais été aussi élevé depuis 2001 !

inflation sous jacente



La hausse de l'inflation côté américain s'explique par la conjonction de trois facteurs favorables : Obamacare, la hausse des loyers et les augmentations des salaires les plus bas. En zone euro, c'est tout l'inverse qui semble se produire. Au regard du ralentissement récent de l'inflation, les craintes d'effets de second tour apparaissent. Concrètement, cela signifie que les entreprises, influencées par la baisse des cours du pétrole, gèleraient leurs prix de vente et les salaires. Pour l'instant, rien ne semble empiriquement prouver qu'un tel processus soit en train de se mettre en place en zone euro. Néanmoins, le risque est bien présent et c'est, justement, ce que redoute le Conseil des gouverneurs de la BCE.

Pression maximale pour Draghi

La pression est donc maximale sur les épaules de Mario Draghi. Selon une récente enquête de Bloomberg, plus de 98% des économistes interrogés s'attendent à une action de la part de la BCE cette semaine, 100% considèrent qu'il y aura une nouvelle baisse du taux de dépôt et près de 73% anticipent un renforcement du QE. Au regard de ces attentes, Mario Draghi ne peut pas se permettre de décevoir. Le défi sera double pour lui ce jeudi : il devra surprendre le marché sur le court terme par la vigueur des nouvelles mesures annoncées et aussi convaincre de la capacité de la BCE à agir de nouveau, si nécessaire, sur le long terme.

Quel effet de surprise?

Pour réussir à rassurer les investisseurs sur l'aptitude de la banque centrale à remplir son mandat, il faudra compter sur l'effet de surprise. Seul problème, Mario Draghi n'est pas en mesure de sortir un lapin de son chapeau, comme il avait réussi à le faire lors des mois précédents. La BCE dispose de leviers d'action de plus en plus limités et, surtout, qui sont déjà connus par le marché.
Nous considérons que quatre mesures principales, qui recoupent les principaux outils de politique monétaire disponibles, pourraient être annoncées :
- baisse du taux de dépôt à deux niveaux sur le modèle suisse. Un taux de dépôt plus bas, « punitif », s'appliquerait aux dépôts dépassant les réserves obligatoires des banques à partir d'un seuil prédéterminé. En Suisse, le taux de -0,75% concerne seulement les dépôts qui sont 20 fois supérieurs au montant minimum des réserves des banques ;
- renforcement du QE de 60 milliards d'euros à 75 milliards d'euros par mois jusqu'en décembre 2017, contre mars 2017 jusqu'à présent ;
- levée pour les titres notés triple A (Allemagne et Banque Européenne d'Investissement) de l'interdiction faite à la BCE de racheter plus de 25% de chaque émission ;
- Élargissement de la liste des agences éligibles au QE (Unedic, SNCF Réseau etc...).
En accentuant les montants mensuels rachetés et en prolongeant le QE dans le temps, se pose la question de la profondeur de marché. Concrètement, comment trouver suffisamment d'actifs éligibles à racheter ? Les deux dernières mesures proposées permettent de contourner, au moins temporairement, cette barrière.

Une faible inflation peu créatrice de richesse


Pour autant, un renforcement du dispositif actuel de la BCE a assez peu de chances d'étoffer suffisamment l'inflation et de permettre à la croissance de s'amplifier. Des interrogations conséquentes subsistent à propos de l'impact réel sur l'économie des mesures expansionnistes, comme le taux de dépôt négatif. En outre, les implications négatives du QE vont croissantes, notamment en termes de mauvaise allocation des ressources. Sans recours à une politique d'investissement public forte, il est probable que la zone euro soit condamnée à une faible inflation sur la durée peu créatrice de richesse.

L'échec des économistes

Cette situation est aussi la preuve incontestable de l'échec de la science économique. Les économistes doivent être humbles et reconnaître que la politique monétaire s'est particulièrement complexifiée et que, dans ce contexte, les implications exactes des outils habituellement utilisés, qu'il s'agisse de la gestion par les taux d'intérêt ou par le bilan, sont méconnus. Inévitablement, l'incapacité manifeste des banques centrales à sortir l'économie de son atonie aboutira à une refonte de la discipline économique et des dogmes qui ont prévalu depuis plus de trente ans.

Yves Mersch, membre du directoire de la BCE, a été suffisamment lucide pour le reconnaître à demi-mot début février. « Nous pourrions bien être entré dans un monde où les relations macroéconomiques établies ne fonctionnent plus avec la même régularité qu'avant », a-t-il avoué. Il s'agit certainement de la phrase la plus censée prononcée par un banquier central depuis des années.

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Commentaires 10
à écrit le 09/03/2016 à 19:35
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Les flots de liquidité injectés dans l'économie par TOUTES les banques centrales et autres acteurs financiers, ne vont que très peu, en proportion, jusqu'aux capillaires (entreprises, familles…) mais servent aux États pour maintenir coûte que coûte l...

à écrit le 09/03/2016 à 15:47
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L'économie c'est simple comme un bon père de famille, ne pas écouter les mauvais conseils. Il suffit de ne pas dépenser plus d'argent que ce que l'on dispose! Nous avons élu des représentants pour gérer les impôts collectés sans dépenser plus (la pl...

à écrit le 09/03/2016 à 15:28
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Citation "Sans recours à une politique d'investissement public forte" Ce sont des beaux et grands mots. Qu'est-ce que cela signifie ? Avez-vous des projets qui ne sont pas complètement idiots et des chiffres en face ? Dans quels délais peut-on les...

à écrit le 09/03/2016 à 14:35
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Mario Draghi contre les marchés... de la tête de qui se fiche-t-on ?

à écrit le 09/03/2016 à 14:01
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"Les dernières cartouches de Mario Draghi" Elle ne va pas être contente sa secretaire.

à écrit le 09/03/2016 à 11:48
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Le problème récurrent, c'est que les rentiers ont souvent (toujours) un coup d'avance, et que rien n'est véritablement entrepris pour se protéger d'eux, voire même, on pourrait croire que ce qui est fait leur est destiné. C'est par exemple le cas po...

à écrit le 09/03/2016 à 11:16
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L'échec des économistes certes mais quels économistes je vous prie ? Les économistes que l'on entend et voit partout délivrer la parole néolibérale de leurs employeurs, quelle va leur a t'elle ? Nos décideurs économiques n'écoutent pas leurs ...

le 09/03/2016 à 14:38
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On est pas prêt de voir Frederic Lordon à la grande mess du jt d 20h. Cela aurait de quoi froisser la susceptibilité si sensible et frileuse des marchés.

le 09/03/2016 à 17:52
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On image avec un plaisir de fin gourmet les décideurs économiques et politiques écouter, terrifiés, Frederic Lordon sur TF1 en effet... Aucune chance cependant tous ces médias se serrant solidement les coudes autour de leurs propriétaires.

à écrit le 09/03/2016 à 10:49
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Que finance la dette globale mondiale ? Quels actifs peut on mettre en face des dettes ? Est ce que la dette finance majoritairement du fonctionnement, de l'investissement ou du financier pur (type LBO) ? Est ce que la régulation consiste à encad...

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