Les remboursements d'emprunts  : un oubli bicentenaire des économistes

Aujourd'hui, pas le moindre doute : dans nos comptes nationaux, le flux d'épargne des ménages qui est calculé est le principal facteur de la croissance en volume des patrimoines nets, c'est-à-dire des patrimoines déduction faite de leur passif. Par André Babeau, Professeur honoraire à l'Université de Paris-Dauphine
(Crédits : Kevin Schneider via Pixabay (CC0 Creative Commons))

 L'épargne de l'année peut donc contribuer à cette croissance soit en augmentant le patrimoine brut (achats de logements autofinancés, placements financiers), soit en réduisant le passif (remboursements d'emprunts). Mais l'inclusion des remboursements d'emprunts dans le flux d'épargne annuel des ménages est historiquement récente et elle reste purement théorique, compte tenu des lacunes que comportent  encore nos statistiques dans ce domaine.

Du côté des économistes, l'oubli de cette affectation de l'épargne est plus que bicentenaire. Dans son Histoire de l'analyse économique, Joseph Schumpeter a en effet bien noté que, chez ceux du XVIIIe siècle, le crédit bancaire n'était jamais pris en compte comme source de financement d'un investissement ; pas de crédit bancaire, donc pas de remboursement. Cet oubli est certes déjà surprenant car le recours au crédit était alors déjà pratiqué par certaines catégories sociales (souvent d'ailleurs les plus riches ou les plus pauvres), mais on peut arguer du fait que les premières grandes institutions de crédit n'ont vu le jour qu'au XIXe siècle.

Beaucoup plus surprenante cependant est la cécité que continue de manifester à cet égard un économiste comme Keynes dans la première moitié du XXe siècle : dans sa Théorie  générale (1935), il ne mentionne, pour les ménages, pas moins de huit motivations d'épargne : aucune ne fait référence aux remboursements d'emprunts.

Si, comme on l'a dit, les comptes nationaux introduits à partir de 1945, clarifient bien les choses du point de vue conceptuel,  les économistes, quant à eux, n'ont malheureusement guère gagné en lucidité dans ce domaine. L'analyse du crédit comme substitut à l'épargne dans le financement de l'investissement n'a guère progressé et la place des remboursements d'emprunts dans l'épargne des ménages demeure à ce jour partout la grande inconnue, avec probablement des pratiques en ce domaine fort différentes d'un pays à l'autre.

Il y a évidemment des raisons à ces ignorances, dont la première tient à l'absence de statistiques concernant ces remboursements d'emprunts. Les banques centrales publient des informations concernant les nouveaux crédits, mais rien en ce qui a trait aux remboursements d'emprunts. Les comptes nationaux, de leur côté, fournissent des séries de nouveaux crédits nets de remboursements, ces derniers restent donc ici aussi inconnus.

 Mais pourquoi ces informations restent-elles si difficiles à obtenir ? Là encore il y a des raisons. D'abord, la notion de remboursements est en elle-même complexe : à côté des remboursements qui se traduisent bien par une réduction du passif (les « vrais » remboursements) existent ce qu'on pourrait appeler des pseudo-remboursements, soit des remboursements où les dettes remboursées sont immédiatement remplacées par de nouveaux crédits d'un montant comparable : ces remboursements autofinancés, appelés rachats et renégociations, doivent bien sûr être exclus des séries de remboursements. Enfin, cerise sur le gâteau, tous les « vrais » remboursements effectués au cours d'une année ne sont pas financés par l'épargne courante : une proportion plus ou moins importante est financée à partir d'actifs existants, par exemple lorsque je décide de vider mon livret A pour éteindre le solde d'une dette. Il s'agit là d'une de ces nombreuses opérations de gestion du patrimoine que les comptes nationaux ignorent superbement, eux qui par définition ne s'intéressent qu'aux opérations de production.

On le voit : pour franchir ces différents obstacles, il faudra rapprocher des statistiques réelles et financières aujourd'hui disponibles les résultats d'enquêtes complexes auprès des ménages et peut-être des établissements de crédit eux-mêmes. Dans chaque pays devra donc s'instaurer une coopération complexe entre banques centrales, banques de détail, instituts de statistique et instituts de sondage. La transparence dans ce domaine n'est donc pas pour demain. Donnons-nous rendez-vous dans une petite décennie.

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