Ne laissons pas l'extrême droite confisquer le thème de la sécurité

Sécurité : une condition de la liberté. Un bien commun. Une cause transpartisane, universelle. Et une valeur « aussi » de gauche. Pour avoir négligé ou dissimulé cette réalité, le parti social-démocrate laisse la coalition de droite et d'extrême droite prendre le pouvoir en Suède. Dans quelques jours, l'Italie est promise à un même basculement, la présidence du Conseil pouvant même échoir à Giorgia Meloni, leader du parti post-fasciste Fratelli d'Italia. A quand le tour de la France ? Très bientôt, si la lutte contre la sécurité continue d'être un enjeu idéologique, aujourd'hui confisqué par l'extrême droite et la droite extrême.
(Crédits : SARAH MEYSSONNIER)

La Suède a donné le « la » : le parti d'extrême droite Démocrates de Suède, dirigé par Jimmie Akesson, a emporté 20,5% des voix lors des législatives du 11 septembre. Encore loin derrière le Parti social-démocrate (30,3% des voix) mais première formation de la coalition de droite désormais aux commandes du pays - le poste de Premier ministre devrait revenir au leader des Modérés (conservateurs), Ulf Kristersson. Dans quelques jours, le 25 septembre, une même coalition de droite, rassemblant la Ligue de Matteo Salvini, Forza Italia de l'inoxydable Silvio Berlusconi et Fratelli d'Italia est promise à la victoire. Mais cette fois, c'est à la leader du parti post-fasciste, Giorgia Meloni, que pourrait revenir la responsabilité de présider le Conseil.

Partout en Europe l'extrême droite accède au, pèse concrètement sur le, ou approche le pouvoir. Cette percée, spectaculaire au printemps lors des présidentielles et des législatives françaises, elle la doit à une savante alchimie : stratégie de notabilisation, et lente inoculation du venin radical au sein des formations conservatrices traditionnelles, de moins en moins populaires et aveuglées par son succès. A ce titre, l'obsession d'Eric Zemmour et celle de sa vice-présidente Marion Maréchal de réunir les droites sont crédibilisées par cette fin d'été électorale aux deux extrêmes géographiques, sociologiques, politiques de l'Europe.

Insécurité et immigration corrélées

Toutefois les comparaisons s'arrêtent là. Car peu est commun à la Suède et à l'Italie, aux passés politiques, aux réalités socio-économiques, aux modèles démocratiques, aux terreaux sociologiques si différents. C'est peut-être le cas de la Suède qui devrait le plus interpeller la France - et ses responsables politiques.

En effet, dans cette paisible nation « culturellement » sociale-démocrate, forte d'un Etat-providence loué et d'une densité de population respirable, riche d'une économie prospère - un PIB par habitant supérieur à celui de toutes les grandes nations d'Europe -, l'élément déclencheur du jaillissement de l'extrême droite est l'insécurité. En chiffres, cela donne en 2021 : 335 fusillades, 45 morts et 112 blessés, plaçant le pays en tête des Etats européens les plus mortifères - en valeur absolue, et non pas relative à la population, pourtant six fois plus faible qu'en France ou en Grande-Bretagne. Et la corrélation entre cette délinquance constituée pour l'essentiel de gangs organisés (trafic de drogue, d'armes, etc.) et la politique d'immigration est établie. En témoigne, par exemple, l'étude conduite par l'École de politique appliquée de la Faculté des lettres et sciences humaines de l'Université canadienne de Sherbrooke.

« En 2020, trente-deux des chefs de réseaux criminels les plus recherchés du pays sont issus de l'immigration (Irak, Syrie, Albanie, mais aussi résultant de migrations datant du démantèlement de l'ex-Yougoslavie). Parmi eux, quinze sont nés en Suède mais issus de parents migrants de première génération alors que les dix-sept autres ont émigré pendant leur enfance. Le problème réside dans le fait qu'un racisme « anti-suédois » est en train de naître en Suède. Selon Mats Löfving, chef adjoint de la police nationale, il existerait quarante gangs criminels familiaux dans le pays. Chacune de ces familles serait arrivée dans le pays avec son propre modèle hiérarchique, dans le but de commettre des délits. Un autre problème est que le pays peine à intégrer dans son marché du travail les migrants, notamment car son système est hautement qualifié. Les inégalités s'installent, et ceux qui sont plus vulnérables ne trouvant pas d'emplois basculent dans la criminalité afin de pouvoir échapper à leur pauvreté. Les différences de valeurs et de cultures ont aussi une responsabilité dans l'augmentation de la criminalité dans le pays. Ce dernier est, après le Japon, le pays le plus laïc du monde. La liberté est une valeur primordiale pour les Suédois. Le fait de vendre de l'alcool, de laisser ses enfants sortir aussi tard peut être choquant pour les familles issues de l'immigration. La plupart provenant de pays où leurs libertés sont brimées, où la femme n'est pas égale à l'homme. C'est ce qui serait d'ailleurs la cause de viols de plusieurs jeunes filles par des jeunes garçons et hommes afghans ».

Cité dans Le Monde (01/09/2022), un professeur du département de criminologie de Malmö résume l'incurie en une phrase :

« On n'a pas voulu reconnaître qu'il y avait un problème [« d'intégration dans un contexte de forte immigration »], et il n'a fait que se renforcer avec le temps ».

Que faire ?

Lier la délinquance et l'immigration exige énormément de doigté, de prudence, et en premier lieu de s'appuyer sur des chiffres, des enquêtes démontrées, des études sociologiques et anthropologiques - délicates au regard de la loi française, stricte en matière de critères ethniques jugés, non sans fondement, discriminatoires (et inflammables). Mais ignorer la possibilité de ce lien et refuser la réalité des faits n'est pas moins irresponsable. Au final, la question est simple - la réponse immensément complexe - : Que faire, pour que l'accueil des migrants - ceux que la faim, la guerre, les discriminations, le totalitarisme et même les catastrophes naturelles chassent de leurs pays - qui fait la grandeur, la richesse et l'humanité d'une nation, accomplisse l'épanouissement de tous les intéressés (accueillis et accueillants), solidaires du respect des droits et des devoirs républicains, au premier rang desquels figure la sécurité ?

Historiquement, les formations populistes ont fait des angoisses sociales leur « beurre électoral » : chômage, appauvrissement, sentiment ou réalité de déclassement, perception d'abandon des services publics. L'expert et essayiste Mathieu Souquière (auteur de 2022, La flambée populiste, Plon), analysant la montée en puissance des formations populistes en Europe, constate toutefois deux moments contre-intuitifs : 2002 et 2022. Lors de ces élections présidentielles françaises, le Front national puis le Rassemblement national enregistrèrent un succès à contre-courant des conjonctures, marquées par un reflux significatif du chômage. Alors, où est le problème ?

Idéologie de la « préférence nationale » dévastatrice

Certainement dans l'habile instrumentalisation d'un « fil de plomb » programmatique : la préférence nationale. Habile, car cette rhétorique permet d'englober et surtout d'amalgamer tous les enjeux qui déstabilisent, effrayent, invisibilisent l'avenir, et exhortent au repli : économie, travail, révolution technologique, géopolitique, immigration, emploi, sécurité - notons que l'un des spectres les plus réels : le climat et l'environnement, est ostensiblement négligé.

En France, comme en Suède, en Italie, dans toute l'Europe mais aussi dans l'Amérique de Trump, l'Inde de Modi ou le Brésil de Bolsonaro, l'humus idéologique et programmatique des formations d'extrême droite repose sur le mensonge, sur le fantasme d'un lien de consubstantialité : si le coût de la vie est prohibitif, c'est la faute des migrants et des Français d'origine étrangère qui, pêle-mêle, « foutent le bordel », « refusent de s'intégrer », « trafiquent en tous genres », « contrôlent la drogue », « siphonnent les allocations », etc. Et bien sûr « démontrent qu'islam = islamisme et n'est pas soluble dans notre démocratie ». Dans une époque où la complexité n'a plus sa place, où la simplification, la compartimentation et les raccourcis font règle, d'aussi grossières assimilations ont le vent en poupe.

Population abandonnée

Mais nier, taire ou même relativiser la réalité et les ressorts de l'insécurité comme s'y emploie une majorité de l'échiquier politique, c'est non seulement favoriser l'audience de l'extrême droite et la formation de coalitions de droite - un calcul tactique, exploité par Emmanuel Macron « aussi », mais qui pourrait ne plus tenir dans cinq ans -, c'est également (et surtout) mépriser la population qui en souffre le plus : celle des catégories sociales les plus vulnérables, encalminée dans les cités ou dans des quartiers abandonnés, elle-même fruit de l'immigration.

Abandonnés, ou plus précisément lâchés par les services publics, en premier lieu la police de proximité que Nicolas Sarkozy Président fit le choix, doctrinal et irresponsable, de moquer, de stigmatiser puis de retirer. Et que dire des services hospitaliers psychiatriques, vidés de leurs moyens, et sommés de laisser dans les rues ou dans les prisons des personnes malades réclamant tout simplement des soins ? Comment alors s'étonner que dans ces territoires dépouillés de liens quotidiens, physiques et humains, avec les services de l'Etat, la délinquance et le crime prospèrent, et découragent initiatives associatives, commerces, entreprises, concierges, médecins, enseignants, de s'impliquer ?

N'en déplaise aux idéologues-démagogues de gauche qui la dénigrent, n'en déplaise aux idéologues-manipulateurs de droite et d'extrême droite qui veulent la confisquer, la lutte contre l'insécurité est une cause universelle, transpartisane, qui affecte l'un des biens communs les plus essentiels : la liberté. Elle est donc aussi de gauche.

Joxe plutôt que Guéant

A-t-on oublié que les ministres de l'Intérieur les plus respectés par la police ces quarante dernières années n'étaient pas Gérald Darmanin, Nicolas Sarkozy, Claude Guéant ou Brice Hortefeux, mais avaient pour noms Pierre Joxe et Jean-Pierre Chevènement ? C'était un « autre temps », certes. Ministre de l'Intérieur puis Premier ministre, leur héritier Manuel Valls fut puni par sa propre famille politique. Il avait commis une « erreur » : penser que juguler les agissements d'une infime minorité non seulement était juste mais en plus servait l'intérêt des plus vulnérables et celui de la communauté à laquelle appartient cette fraction minoritaire.

Lors de la récente Fête de l'Humanité, Fabien Roussel brisait un tabou en affirmant que le travail est une « valeur de gauche », et donc que le camp du travail n'est pas celui des rémunérations de substitution ou des allocations-chômage ; les dénégations délirantes de Sandrine Rousseau (EELV) déclarant que le travail est seulement une « valeur de droite » n'y font rien : le secrétaire général du Parti communiste démontre avec discernement que le travail devrait être une valeur universelle, transpartisane, se soustrayant aux manipulations idéologiques ou tactiques ; finalement, pourquoi le traitement de la sécurité devrait-il échapper au même principe d'intérêt « supérieur et commun », qui profite à la santé, à l'éducation, et devrait profiter au travail ?

Veut-on une réponse républicaine ou incendiaire ?

Et c'est là que le « bât blesse ». Pour avoir traité de manière trop dogmatique le fléau qui frappe son pays, le Parti social-démocrate est défait en Suède. Est-ce ce que l'« on » veut pour la France en 2027 ? La raison dicte-t-elle de confier à une coalition « des » droites arraisonnée par le RN la responsabilité de lutter contre l'insécurité ? Imagine-t-on une collusion Le Pen - Ciotti - Maréchal - Zemmour appréhender un tel enjeu ? Enjeu qui exige une approche holistique à la hauteur de la complexité du sujet, une approche réaliste, ferme, responsable, ouverte, concertée, mêlant dispositifs de dissuasion et de réparation, mesures de répression et de formation, actions publiques et associatives, investissements humains et financiers, politique migratoire généreuse conditionnée aux capacités d'accueil et exigeante en devoirs d'intégration ? En d'autres termes, préfère-t-on à des décideurs républicains et respectueux des droits humains, un arc xénophobe, identitaire, discriminant, au final incendiaire ?

En France, le « climat » d'insécurité est électrique. Il est en partie fondé, et cette réalité exige d'être considérée frontalement. Il est en partie fantasmé, instrumentalisé et exacerbé ; la faute aux réseaux sociaux bien sûr, aux formations politiques d'extrême droite et à plusieurs caciques de la droite, mais aussi à des canaux d'information plus traditionnels et, en apparence du moins, « sérieux ». Ainsi, mesure-t-on les dégâts perpétrés par les « médias Bolloré », martelant et imprimant dans la conscience des auditeurs d'Europe 1 ou des téléspectateurs de Cnews le sentiment que la France est à feu et à sang ? Or cette partie fantasmée ne pourra s'essouffler et dégonfler que si celle fondée est traitée. Avec fermeté, opiniâtreté, courage - et avec humanité.

Chaque fois que l'émotion domine la raison, que l'opinion disqualifie le fait, que la croyance s'impose à la vérité, mais aussi que la démagogie étouffe le courage et que l'intérêt partisan convoite l'indicible, le pire est à prévoir. Bien vivre ensemble, ou déjà vivre respectueusement ensemble, est question d'équilibre, auquel participe la nécessité de concessions, de compromis. Et de courage politique.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 20/09/2022 à 23:00
Signaler
"Confisqué par l'extrême droite"? à partir de cette phrase on comprend qu'on à affaire a une analyse de type boomer france 2. Cela fait 40 ans que les gaucho mondialistes qui nous gouvernent encouragent l'immigration a tout va et maintenant ca serait...

à écrit le 20/09/2022 à 11:46
Signaler
Le probleme c est que Melanchon vise les "quartiers", d ou des tweet comme "la police tue" . Ce qui est tres rationnele electoralement parlant : vous visez une clientele en expension rapide (bien plus jeune et a natalite plus forte que le francais mo...

à écrit le 20/09/2022 à 10:36
Signaler
Tres sincèrement, laissons de côté les polémiques a deux balles et les discussions de comptoir. Cet article est intelligent et mets sur la table des sujets que beaucoup, et nos élites bien pensantes en particulier, évitent avec déni, manque de coura...

à écrit le 20/09/2022 à 7:11
Signaler
"Ne laissons pas l'extrême droite confisquer le thème de la sécurité" : Comme c'est bien dit. Mais l'extrême droite n'a pas que de mauvaises idées, hein, contrairement à ce que croient certains

le 20/09/2022 à 8:38
Signaler
le pouvoir en place ne fait pas son travail correctement il vas de soit que toute opposition s'empare du sujet avec des visions plus radical et sur certain point le pouvoir nie la realite qu'il essaye de diluer sur d'autre critere

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.