Marine Le Pen peut embrasser Éric Zemmour

ANALYSE. Personne, pas même Marine Le Pen, ne l'avait pronostiqué : le Rassemblement National a triomphé et s'est (probablement) hissé au rang très convoité de première formation d'opposition. Le traditionnel « front républicain » a définitivement rompu, les habituelles digues ont définitivement disparu, le RN est définitivement persona grata, et cela, grâce à l'implantation définitive dans le débat public et chez les citoyens d'une idéologie et d'une parole totalement décomplexées, aussi haineuses puissent-elles être. Cette diffusion doit beaucoup au travail de sape que l'« ennemi » Éric Zemmour a accompli pendant la campagne présidentielle et, avant, dans les médias complices. Maintenant que le mal extrémiste est inoculé, qui sait jusqu'où il ravagera les consciences individuelles, puis l'organisation censée les rassembler - la démocratie...
Marine Le Pen doit beaucoup de son succès à celui qui, par l'inoculation méthodique de sa pensée décomplexée - en premier lieu sur la chaîne CNews de Vincent Bolloré qu'il a arraisonnée pendant plusieurs années et qui a façonné sa candidature à la présidentielle - a contribué à éventrer les ultimes digues républicaines : Éric Zemmour.
Marine Le Pen doit beaucoup de son succès à celui qui, par l'inoculation méthodique de sa pensée décomplexée - en premier lieu sur la chaîne CNews de Vincent Bolloré qu'il a arraisonnée pendant plusieurs années et qui a façonné sa candidature à la présidentielle - a contribué à éventrer les ultimes digues républicaines : Éric Zemmour. (Crédits : Reuters)

Le nombre d'enseignements de ce second tour du scrutin des législatives est encore incalculable, le nombre d'hypothèses et d'hypothèques à lever (ou non) est du même ordre. Personne, ce 20 juin, n'est en mesure de répondre aux questions que soulève la composition finale de l'hémicycle.

Avec qui et comment les élus Ensemble s'accorderont-ils dans leur opposition ? Un pacte de gouvernement est-il possible avec LR, ou chaque projet de loi devra-t-il résulter d'une négociation, d'un compromis - culture peu présente dans l'ADN, dogmatique, de la politique française ? Comment les formations qui ont congloméré miraculeusement pour former Nupes décideront-elles de s'afficher : sous cette nouvelle bannière commune, s'assurant alors d'être le premier parti d'opposition, ou, plus vraisemblablement - tant les dissensions idéologiques et d'égos sont vives, tant le progressif effacement (y compris médiatique) de Jean-Luc Mélenchon, non élu, lézardera le ciment - de manière indépendante ?

Quel président de l'Assemblée ? Quels présidents des si stratégiques commissions ? Et, bien sûr, quel exécutif ? Élisabeth Borne, dont la désignation (laborieuse) a symbolisé une dynamique (atone) et préfiguré une campagne (amorphe), peut-elle dessiner et porter un gouvernement à même de mettre en œuvre les immenses défis économiques, sociaux, écologiques, sanitaires domestiques ?

Quant à Emmanuel Macron, dont les électeurs ont voulu punir la fatuité, la suffisance, et pour d'aucuns, l'arrogance - par quelle magie noire est-il parvenu à cristalliser sur sa personne un rejet "solidaire" des rangs de RN à ceux de Nupes, "tout entier" et "tous ensemble" dans un bal programmatique anti-Macron ? -, de quelle influence pèsera-t-il sur les sujets qui échappent à sa compétence ? Songeons que même sur des prérogatives régaliennes - celles, géopolitiques, exposées comme jamais par la guerre en Ukraine : armée, Europe, OTAN -, il devra parfois composer avec l'Assemblée nationale et le Sénat. Et donc, au final, de s'interroger : une dissolution de l'Assemblée nationale à moyen terme - notamment lorsque surgira le spectre de la réforme des retraites - est-elle d'ores et déjà inéluctable ?

Alors même que...

Voilà pour (une partie de) la face émergée de l'iceberg. Celle, immergée, est peut-être davantage encore redoutable. Non pour le gouvernement, mais pour ce qu'elle indique de l'état psychique, moral et politique de la société française, pour ce qu'elle prophétise de l'avenir de la démocratie : le succès - invisible jusque dans les instituts de sondage -du Rassemblement National.

Quatre-vingt-neuf (89) sièges, alors même que le mode de scrutin continue (fallacieusement, contre la volonté, quasi unanime, des partis politiques, des politologues, des professionnels constitutionnalistes) d'éconduire toute « dose » de proportionnelle.

Alors même que Marine Le Pen actait, dès le soir de sa défaite à la présidentielle, une énième déroute aux législatives, espérant simplement atteindre la barre des quinze (15) députés pour obtenir un groupe parlementaire.

Alors même que, durant les deux mois de campagne séparant les deux scrutins, elle et ses séides ont assuré le strict minimum, déjà résignés.

Alors même qu'on lui prédisait sur ce second tour un faible réservoir de votes, dans un contexte d'abstention record et de débâcle d'Éric Zemmour. Alors même...

Décomplexé

À quoi le triomphe de la formation politique d'extrême droite de la fille de Jean-Marie Le Pen tient-il ?

Un peu à l'insuffisante considération qu'Emmanuel Macron et son exécutif - Intérieur et Justice - ont distillé pour des sujets de sécurité auxquels les Français sont, légitimement, très sensibles ; quand donc cette réalité, qui constitue l'un des socles du vivre-ensemble le plus égalitaire - les plus exposées à l'insécurité, à l'incivilité, à la peur, sont les populations socialement et géographiquement les plus vulnérables -, connaîtra-t-elle un traitement transpartisan et désidéologisé ?

Pas mal à l'ambiguïté de LREM vis-à-vis des consignes de vote contre le RN au second tour, et précédemment au silence de toutes les formations, Nupes, Ensemble et LR, qui par condescendance ou stratégie ont fait le choix de ne plus diaboliser le parti présidé par Jordan Bardella.

Beaucoup à la décomplexion des idées et des paroles, à la banalisation des doctrines les plus nauséabondes, dans une époque assujettie à la dictature des réseaux sociaux et à l'hégémonie des nouveaux modes de communication. Ceux-ci ont légitimé l'accès à exprimer et à colporter la haine, ils ont infusé le « droit » de participer à une hystérisation et à une inflammation des rapports humains sans équivalent dans l'histoire. Et ils sont l'objet de stratégies - légales ou non - de propagation que les courants politiques et les groupuscules les plus extrémistes se révèlent particulièrement performants à mettre en œuvre.

À tous ces titres, Marine Le Pen doit beaucoup de son succès à celui qui, par l'inoculation méthodique de sa pensée décomplexée - en premier lieu sur la chaîne CNews de Vincent Bolloré qu'il a arraisonnée pendant plusieurs années et qui a façonné sa candidature à la présidentielle - a contribué à éventrer les ultimes digues républicaines : Éric Zemmour.

N'est-ce pas dans le silence le plus assourdissant que le front républicain s'est évaporé entre les deux tours de ce scrutin, aucune formation politique rivale du RN ne militant plus pour faire, une nouvelle fois, « barrage au front » ?

De la banalisation à la résignation

Voilà peut-être le moins commenté et pourtant le plus redoutable enseignement de cette élection.

Marine Le Pen et le Rassemblement National sont devenus persona grata de la part des partis dits républicains, transportés dans ce sens par leur propre électorat, lui-même résigné. Et tant pis si le RN, première formation d'opposition - si celles de Nupes décident de voler de leurs propres ailes - accède au poste tant convoité de la présidence de la Commission des lois, dans le prisme de laquelle plus guère de secrets d'État ne pourront lui échapper.

Peut-être d'ailleurs est-ce cette résignation, cette apathie généralisées à bien d'autres sujets que celui du RN que ce scrutin sans passion ni mobilisation vient stigmatiser. Elles annoncent un phénomène que l'histoire du XXe siècle, celle des premiers leviers de communication planétaires, a mis en exergue : lorsque la parole xénophobe et haineuse, lorsque la parole qui ségrège, humilie, discrimine, anathématise, se trouve aux yeux de tous légitimée par le scrutin, elle devient audible, respectable, et même acceptable aux yeux d'un nombre toujours plus grand de citoyens.

C'est ce qu'on dénomme le pouvoir de la banalisation, lui-même pourvoyeur de résignation. Laquelle constitue l'un des plus sournois et dévastateurs poisons dans la démocratie.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 10
à écrit le 21/06/2022 à 15:05
Signaler
Très juste, très bien analysé. Tous les partis se mordront les doigts, la NUPES y compris malheureusement, de n'avoir rien dit contre le RN entre les deux tours !

à écrit le 21/06/2022 à 11:44
Signaler
cet article me donne envie de voter RN la prochaine fois .....

le 22/06/2022 à 16:53
Signaler
Moi aussi....

à écrit le 21/06/2022 à 9:52
Signaler
Du militantisme déguisé en journalisme voila pourquoi le politiquement correct a donné le paysage politique que l'on voit actuellement par la négation du réel et la poussé des extrêmes, il est impossible de parler de l'immigration et de ses effets so...

à écrit le 21/06/2022 à 9:49
Signaler
@ Denis Lafay: où voyez-vous de la haine au RN?? Ce n'est pas ma tasse de thé, mais il faut arrêter ces poncifs riicules. De la haine, j'en vois beaucoup chez notre Président et ses sbires!! Alors du balai.

le 22/06/2022 à 16:55
Signaler
D'accord avec vous: la limitation de l'immigration, le renforcement de la sévérité pénale, on peut être d'accord ou pas, mais ce n'est pas de la "haine" !

à écrit le 21/06/2022 à 8:02
Signaler
Tout ce qui est excessif est insignifiant. Je ne comprends pas cette volonté permanente de crier à tue-tête dès que l’on parle du RN, qui n’est qu’un mouvement conservateur et populaire et rappel ce qu’est la France. Certains journalistes ont vraime...

à écrit le 21/06/2022 à 1:20
Signaler
c'est du journalisme ça ? on sait tous que la tribune est un journal de gauche libérale qui roule pour Macron mais là ça en devient vraiment ridicule. Mon petit frère au collège ferait une meilleure analyse politique, tristement vrai... Vous êtes la...

à écrit le 20/06/2022 à 19:38
Signaler
Comme Zemour s'est placé plus à droite que Le Pen, c'est lui qui est devenu l’extrême droite. Zemour a fait passer Le Pen dans la droite radicale.

le 21/06/2022 à 12:01
Signaler
Parfaitement juste. Mais c'est maintenant qu'on va "rigoler" MLP va démontrer qu'elle est, de base, incapable. A l'analyse, ce n'est pas POUR elle que les gens ont voté, mais CONTRE Macron. Maintenant, puisque RIEN de ce qu'elle a asséné se fera, ces...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.