Obligations : faut-il se tourner vers les pays émergents ?

Faut-il se tourner vers les obligations émises par les pays émergents? Le risque de change est important. Et celui d'un défaut de paiement n'est pas nul. Par Pierre Pinel, CIO Allocation d'actifs et Yann Schorderet, Stratège quantitatif chez Mirabaud Asset Management

La nullité des taux de rendement actuariels déplorée dans la plupart des pays développés conduit naturellement les investisseurs à moduler leur stratégie de placement. Dans le cadre des investissements à revenus fixes, les obligations des pays émergents figurent comme une alternative. Il convient toutefois de distinguer les opportunités en fonction des différents risques qui leur sont associés.

Reflétant des fondamentaux parfois divergents, les taux de rendement de certains pays émergents sont en effet alléchants. Parmi les chiffres les plus impressionnants, les taux d'intérêt de court terme sont encore de l'ordre de 12% en Russie et de plus de 13% au Brésil. Mais ces niveaux vertigineux sont à l'image des indices d'inflation. En variation annuelle, l'augmentation du niveau général des prix à la consommation dépasse 16% en Russie alors qu'elle est de l'ordre de 8% au Brésil. Si l'inflation est tant recherchée au sein du monde développé, elle est combattue sous d'autres horizons, ce qui transparaît notamment dans la volatilité des taux de change.

 Des fluctuations de change redoutables

Qu'il s'agisse du rouble ou du real, les fluctuations de change ont été redoutables tout au long de ces dernières années. Dans ce contexte, les pertes de change ont été bien plus sévères que les gains potentiellement engrangés sur l'intérêt exprimé dans la monnaie d'origine du placement. L'année passée, les taux de rendement nominaux brésiliens n'ont pas compensé la perte de plus de 10% du real pour un investisseur dont la monnaie de référence était le billet vert. Pour une obligation russe, une perte sèche de plus de 30% a été enregistrée du fait de la chute de plus de 40% de la valeur du rouble. Ces chiffres s'interprètent comme une piqûre de rappel du risque de change.

Pour autant, ni le Brésil, ni la Russie n'ont fait défaut sur leurs engagements. Les réserves de change demeurent sur des niveaux élevés. Aussi, une forte volatilité n'est-elle pas toujours synonyme de baisses des prix. À ce stade de l'année, le cours du rouble a rebondi, s'appréciant de près de 12% contre le dollar. Au contraire, le real a continué de chuter, sa valeur perdant plus de 12% depuis le premier janvier. Somme toute, ce constat incite à se méfier.

 Des emprunts émis en dollars

L'évolution des taux de change dépend d'une multitude de facteurs. Dans les cas spécifiques évoqués, les cours de change sont d'autant plus difficiles à prévoir que des éléments politiques sont devenus prépondérants. Toutefois, l'une des variables importantes continue de menacer les cours des monnaies émergentes : selon les attentes du marché, la Réserve fédérale américaine procédera prochainement à un premier resserrement de sa politique monétaire. Dans cette perspective, le dollar n'a pas fini de se renforcer.

Si la prudence s'impose donc en matière d'exposition monétaire, les emprunts émergents restent cependant intéressants lorsqu'ils sont émis en dollars. Le Brésil, le Mexique ou l'Indonésie offrent un rendement d'un peu moins de 2% pour un emprunt à 3 ans libellé en dollars américains. Les taux sont d'environ 3% en Turquie, en Afrique du Sud et même plus en Russie pour des maturités comparables. Plus globalement, des véhicules indiciels de la dette émergente en dollars offrent encore un rendement actuariel de plus de 5% pour une duration d'environ 7 ans. Confirmant cet avantage, la performance de l'un des indices de référence avoisine 4% cette année. En relatif, les obligations souveraines des pays les plus industrialisés n'ont pas pu rivaliser et ce, malgré la baisse historique des taux consécutive à la lancée du programme d'assouplissement quantitatif de la BCE.

Risque de hausse des taux ou risque de défaut de paiement?

Dans les pays développés, les investisseurs sont partis à la chasse à la duration. Même si les taux pourraient encore s'enfoncer sous zéro, le potentiel de hausse de prix apparaît toutefois de plus en plus compromis. Nouveau signal de cette exubérance, le taux de rendement à l'échéance du bon de la Confédération helvétique à 15 ans est brièvement passé sous zéro. Peut-on raisonnablement croire que la croissance et l'inflation ne réapparaîtront pas pendant plus de dix ans ?

Pour ceux qui n'ont pas l'habitude de tourner leur portefeuille obligataire très fréquemment, la question peut être posée en ces termes : vaut-il mieux prendre un risque de taux (risque de hausse des taux d'intérêt, qui font baisser le cours des obligations)  ou un risque de crédit (défaut de paiement de l'emprunteur) ? Rappelant que le risque de taux augmente non linéairement avec la faiblesse des rendements, ce que les spécialistes obligataires nomment la convexité, quelle est la probabilité que les taux d'intérêt remontent en Suisse, en Allemagne ou aux États-Unis au cours de la prochaine décennie ? Comparativement, quelle est la probabilité qu'un grand pays émergent fasse défaut dans un laps de temps bien plus restreint ? Au-delà de l'appréhension de ces risques très différents, quel niveau de rémunération peut-on espérer ? Nous sommes d'avis qu'avoir une partie du portefeuille investi dans des actifs offrant encore un rendement nominal positif relève du bon sens. Le récent sursaut du taux allemand à 10 ans illustre ce propos.

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