Cette réforme a été tant de fois annoncée, qu'elle en devient presque attendue. Depuis des années, sur son nom se sont multipliés les analyses, les contestations, souvent les lieux communs, venant questionner la viabilité du système et la pertinence d'une remise à plat de celui-ci. Tout cela sans compter le mur de la crise sanitaire sur laquelle la réforme s'est récemment écrasée... Mais la question aujourd'hui n'est pas de débattre de la nécessité d'un texte (une réforme EST nécessaire), mais de réfléchir, ensemble, au sens que nous souhaitons lui accorder pour que cette réforme soit utile, non seulement à la pérennité de notre système de retraite, mais aussi à l'entreprise et ses salariés. Notre rôle en tant que chefs d'entreprise est bien sûr de recruter et maintenir les seniors dans l'emploi, mais aussi de s'assurer que nos salariés seniors puissent continuer à être pleinement acteurs de leur vie professionnelle, y compris lors de la dernière étape de leur carrière.

Cette réforme ne doit donc pas être celle qui viendra entériner une conception qui ferait de l'individu, de ses cotisations et de sa retraite, un simple enjeu financier. Tirons les leçons de la crise sanitaire et des conséquences qu'elle a eue sur notre société et notre rapport au travail pour donner une réelle ambition sociale à cette réforme.

Redonner du sens passe, avec le salarié et pour lui, par la responsabilisation des entreprises. Il s'agit d'encourager employeurs et salariés à réfléchir aux bénéfices que chaque partie prenante peut tirer de cette dernière étape de la vie professionnelle. À l'aune du départ en retraite, le rôle du salarié dans l'entreprise doit être repensé, condition sine qua non pour que le décalage de l'âge de départ soit accepté par notre société. Confirmant son rôle plein et entier au sein de l'entreprise au travers de missions valorisantes, le salarié senior pourrait incarner le rôle de mentor, transmettant ainsi son savoir-faire et/ou son expérience. Renforcer la place du mentorat en entreprise a une triple vocation : primo, valoriser les seniors et permettre à ceux-ci de se projeter dans ce véritable rôle à valeur ajoutée ; secundo, accompagner les jeunes collaborateurs dans le monde du travail, en leur faisant bénéficier de l'expérience des seniors tout en leur donnant les clés pour libérer pleinement leur talent. Et tertio, pour l'entreprise, cette anticipation de la transmission des expertises est un point majeur d'une politique de gestion des emplois et parcours professionnels réussie, gage de performance durable.

Les dispositifs permettant de redonner du sens et de retrouver les valeurs du travail existent. Le mécénat de compétences et la retraite progressive en font partie. Charge au Gouvernement de simplifier ces dispositifs en ouvrant le champ des possibles pour les entreprises, afin de valoriser les fins de carrières de nos seniors qui doivent pouvoir se réinventer hors de l'entreprise, créer du lien intergénérationnel et préparer l'après. Le départ en retraite est trop souvent vécu comme une étape brutale ; elle ne peut souffrir d'un manque d'anticipation comme c'est aujourd'hui trop souvent le cas.

Les programmes de mécénat de compétences sont très prometteurs face à cet enjeu : ils permettent de valoriser les aptitudes de chacun et d'anticiper le départ en retraite de nos collaborateurs. Alors que le nombre de salariés proches de la retraite est massif dans beaucoup de secteurs d'activité, il est primordial de planifier les départs en retraite de nos salariés à travers les outils qui sont mis à notre disposition.

Charge à nous, chefs d'entreprise, de promouvoir ces démarches et de les déployer dans le cadre d'un accord gagnant-gagnant pour l'entreprise et le salarié. Notre rôle est capital dans cette transformation, sur le terrain, du rôle des seniors dans l'entreprise et dans la Société.  Le mécénat, le mentorat, le bénévolat, l'engagement associatif sont aussi des activités à forte valeur ajoutée sociale du fait de l'impact qu'elles visent. Toutes aussi porteuses de sens que ne l'est originellement le travail, elles peuvent également constituer une transition utile pour tous avant la retraite.

 La clé réside dans la possibilité pour le salarié de rester acteur de sa vie professionnelle et surtout, de sa fin de carrière. Pour permettre à la société de travailler plus longtemps, il est nécessaire de redonner du sens aux carrières professionnelles, et a fortiori, aux fins de carrière. Redonner du sens, c'est permettre à chacun, librement, de s'interroger sur les raisons qui le portent à s'orienter vers un métier, une entreprise, les raisons qui le portent à travailler jusqu'à 65 ans voire plus, et enfin, celles qui le portent à décider du visage qu'aura sa retraite.

À ceux qui aiment rappeler que la population de notre pays est vieillissante, il est temps de s'interroger sur la manière d'assurer le lien social entre une jeunesse toujours plus engagée face aux défis de notre siècle et des seniors qui souhaitent aussi être acteurs du changement, tant au sein de l'entreprise qu'à l'issue de leur vie active.

Cette réforme ne peut donc faire l'économie de l'enjeu du sens et du rôle de chacun dans l'entreprise. En comptant sur la responsabilité sociétale des entreprises, le projet du Gouvernement doit être celui du dépassement : aller au-delà de la vision purement budgétaire pour offrir à tous la liberté de choisir, d'être acteur de notre société pendant et après la vie professionnelle.