Renault ou Nissan pourraient-ils gérer un échec dans la mise en place de leur nouvel accord ?

ANALYSE. Se poser la question n’est pas sans pertinence, même si l’on veut toujours croire à un succès au moment de se lancer : la moitié des alliances échoue et la situation est souvent gérée à l’improviste. Par Anaïs Boutru, Université Paris Dauphine – PSL
(Crédits : STEPHANE MAHE)

Renault et Nissan (ainsi que Mitsubishi) vont donc refondre leur alliance. Pour les 15 prochaines années, chacun gardera 15% du capital de l'autre. 15% et pas davantage. Ce sera également la participation que prendra Nissan dans Ampère, filiale du groupe français consacrée aux véhicules électriques. La marque au losange n'a pas à y perdre, assure le président de l'alliance Jean-Dominique Senart, même si elle possédait 44 % de la firme nippone dans le cadre d'un précédent accord jugé « un peu paralysant ».

Face à la mondialisation et la digitalisation, les stratégies d'alliances, ne cessent de se multiplier et jouissent d'une grande popularité dans le monde des affaires. En octobre 2022, c'étaient Microsoft et Meta, concurrents directs sur bien des points, qui mettaient des énergies en commun pour que le nouveau casque professionnel de réalité virtuelle, le Meta QuestPro, puisse être utilisé dans la suite Microsoft Office et en particulier Teams.

Il s'agit pourtant d'une stratégie risquée. Malgré les bienfaits attendus, le taux d'échec moyen avoisine les 50 %. Création de valeur inférieure aux objectifs, dissolution concertée anticipée ou rupture unilatérale de la part d'un des partenaires, les performances s'avèrent souvent décevantes.

Alors que la littérature a bien documenté les bénéfices à attendre d'une alliance et les mécanismes qui peuvent être mis en place pour la protéger, peu de travaux, à l'instar des nôtres, se sont intéressés à la façon de gérer l'échec, quand bien même il survient dans la moitié des cas.

Éviter l'échec

Selon la définition la plus citée dans la littérature académique, celle de Ranjay Gulati, professeur à la Harvard Business School, les alliances stratégiques sont « des accords volontaires entre entreprises impliquant l'échange, le partage ou le co-développement de produits, technologies ou services ».

Les chercheurs ont exploré nombre des motifs les animant. Elles peuvent viser à améliorer des positions sur le marché avec un renouvellement de sa stratégie ou à en atteindre de nouveaux, par exemple en s'ouvrant des canaux de distribution supplémentaires. L'idée peut aussi être de développer un avantage concurrentiel, en réalisant notamment des économies d'échelle ou en partageant des risques. Il peut également s'agir, comme dans le cas d'Ampère, d'acquérir ou combiner des compétences et d'accéder à de nouvelles technologies.

Pour maximiser la réussite de cette stratégie et par là en éviter l'échec, la littérature gestionnaire s'est en outre attachée à en comprendre les facteurs et à proposer des moyens de promouvoir les succès.

C'est ainsi pour réajuster les rapports de force que Renault et Nissan ont revu leur partenariat. Leur déséquilibre compte en effet parmi les facteurs internes identifiés comme étant sources d'échec, au même titre que le manque de confiance interfirmes et des conflits sur les orientations à court ou long terme à donner au partenariat. Certaines causes en revanche ne touchent pas à l'alliance elle-même mais au cadre plus large dans lequel elle survient : l'état du marché, son degré de concurrence, la substituabilité des partenaires et les réseaux d'autres alliances gravitant autour.

Avoir identifié ces éléments a permis de formuler un certain nombre de recommandations, dans la lignée notamment des travaux d'Olivier Williamson, prix « Nobel » d'économie en 2009. Celui-ci insistait sur les structures de gouvernance permettant de limiter les comportements opportunistes.

Dans leur nouvel accord, Renault et Nissan ont ainsi défini des droits de vote réciproques correspondant à leur part dans le capital des deux groupes, élément qui était absent auparavant.

« Nissan avait 15 % d'une belle entreprise qui s'appelle Renault mais sans droit de vote, c'est un peu frustrant ; de l'autre côté il y avait Renault qui avec 44 % d'une entreprise au Japon n'avait, en réalité, pas son mot à dire. Je me souviens être assis dans les assemblées générales de Nissan sans avoir le droit de parler, ce n'était pas normal », a expliqué Jean-Dominique Senard devant les caméras de BFM Business.

Cette gouvernance peut s'incarner dans une fonction de gestion dédiée, celle d'« alliance manager » que décrivent notamment Laurène Blavet et Estelle Boucher-Pellegrin, respectivement ingénieur d'étude et maître de conférences à l'université de Montpellier.

Malgré ces recommandations et bonnes pratiques, que se passe-t-il cependant si l'échec survient ? Comment les acteurs concernés en sont-ils informés, et plus largement les parties prenantes ? Comment la dissolution de l'alliance est-elle gérée ?

On parle d'échec, ici, si l'alliance est résiliée, si elle ne crée pas de valeur ou si les objectifs ne sont pas atteints. On exclut par ailleurs les résiliations des alliances de type intérimaire qui visent à atteindre un objectif à court terme et dont la disparition connote plus souvent un succès.

Renouveler le renouvellement stratégique ?

Il y a bien là un enjeu de management que nos travaux de recherche ont tenté d'éclairer à partir d'un cas dans le secteur de la grande distribution. Un enjeu trop souvent, au regard de la fréquence des ruptures anticipées, laissé de côté par la littérature qui vise plutôt à maximiser le succès des partenariats.

Nous montrons premièrement que l'échec ne survient pas du jour au lendemain. C'est tout un processus et les informations quant aux difficultés liées à la création de valeur et à la performance de l'alliance se diffusent en fait progressivement au sein des organisations partenaires. Les acteurs pressentent l'échec, ils « n'y croient plus », n'en « seraient pas étonnés », ils anticipent la dissolution.

Pour autant, vient toujours le moment où les autorités pilotes de l'alliance (en l'espèce, le comité de surveillance) formalisent cet échec par la décision de dissolution. L'annonce est alors gérée de deux façons différentes et par deux types d'acteurs en fonction de l'audience concernée. Auprès des membres de l'alliance, la décision est présentée comme un non-évènement, ou en tout cas un évènement non surprenant :

« Comme vous vous y attendiez, nous avons décidé de dissoudre cette alliance. »

Ces mots sont accueillis par les acteurs comme un soulagement pour certains, comme une issue logique pour d'autres. Pour tous, l'enjeu principal porte sur la redéfinition de leurs rôles : les fonctions des acteurs et leurs périmètres d'action dans la nouvelle configuration organisationnelle doivent être adaptés rapidement.

Auprès des fournisseurs et des actionnaires, en revanche, les directions générales des organisations partenaires présentent l'acte comme un « renouvellement stratégique ». Pareil discours peut prêter à sourire dans la mesure où le renouvellement stratégique était au départ... un motif de formation de l'alliance ! Un simple moyen de garder la face ? La chose suggère en tout cas l'importance de penser, en même temps qu'une alliance, et même si cela donne l'impression que l'on ne veut pas croire en ses chances de succès, la manière dont on appréhenderait son échec. Sa probabilité, rappelons-le, est bien loin d'être nulle.

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Par Anaïs Boutru, Maîtresse de Conférences en Sciences de gestion et du Management, Université Paris Dauphine - PSL

 La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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