Retraites : Macron déterminé à mettre en place une réforme explosive… mais inutile comptablement

SPECIAL 1er MAI. A peine Emmanuel Macron réélu, les ministres de la majorité insistent sur la nécessité d'une réforme des retraites. Par Bernard Laurent, EM Lyon.
(Crédits : PASCAL ROSSIGNOL)

Dès le lendemain de la réélection d'Emmanuel Macron à l'Élysée, des ministres de la majorité comme Bruno Le Maire et Élisabeth Borne ont insisté sur la nécessité de la réforme des retraites. Pendant sa campagne, le président candidat avait fait du recul de l'âge légal de départ à 65 ans une mesure phare de son programme économique, même s'il a affirmé pendant l'entre-deux-tours que cette option ne constituait « pas un dogme » et que l'organisation d'un référendum était envisageable.

Lundi 25 avril, la ministre du Travail, tout en assurant que la réforme était « nécessaire », a précisé sur RTL qu'il y avait de la «place pour la concertation ». Sur France Info, le ministre de l'Économie abondait dans le même sens, estimant que la réforme devait « faire l'objet, le plus possible, de discussion et de dialogue, avec l'espoir de parvenir à un compromis ».

Les contours de ce compromis reste à définir et ne seront pas faciles à trouver : l'ensemble des centrales syndicales s'opposent aujourd'hui à la réforme proposée par Emmanuel Macron, tout comme les oppositions politiques qui ont fait du blocage du projet l'un des sujets de la campagne des législatives. Cependant, la majorité semble bien déterminée à aller au bout, lors du second quinquennat Macron, d'une réforme abandonnée au printemps 2020.

La réforme des retraites fut en effet l'un des grands points de discussion de cet entre-deux tours de l'élection présidentielle 2022. Nous pourrions le résumé en une affaire de plagiat généralisé : Macron 2022 plagiait Pécresse, comme la candidate des Républicains le dénonça durant la campagne, tandis que Le Pen plagiait, en partie, Macron 2017.

Le candidat de l'époque annonçait, à raison, le dossier des retraites réglés à la suite de la réforme Fillon si bien qu'il promettait d'engager un vaste chantier d'unification de l'ensemble des 42 régimes d'une part et l'adoption pour le régime général d'un système à point sur le modèle des retraites complémentaires. Les spécialistes qualifièrent de systémiques ces chantiers à engager.

Jean-Paul Delevoye fut nommé, en 2017, haut-commissaire à la réforme des retraites. Il ne ménagea pas sa peine pour consulter les partenaires sociaux et menaça de démissionner lorsque certains députés LREM évoquèrent la nécessité de repousser l'âge légal au-delà de 62 ans. En outre, il n'hésita pas à parler, comme le fit avant lui Alain Juppé, de la nécessité de recourir à l'immigration pour régler cette question de l'équilibre des régimes de retraite, tout en prenant soin de placer ce débat migratoire sur le plan européen. Pour autant, il fut confirmé dans son poste.

Un problème d'ores et déjà réglé

Des problèmes d'atteinte à la déontologie l'ont conduit à démissionner fin 2019. Le départ d'une figure emblématique du dialogue social, puis la crise du Covid, eurent raison de la réforme systémique voulue par le président Macron. En 2020, le gouvernement d'Édouard Philippe avait proposé une réforme qui conduisit à plusieurs semaines de grèves et de manifestations.

Le texte maintenait l'idée de la généralisation d'une retraite par points et l'unification des régimes, mais il s'avéra confus en imaginant un report progressif de l'âge légal à 64 ans tout en maintenant l'idée d'un départ possible dès 62 ans, sans annoncer précisément les décotes liées à un départ précoce ni la liste précise des exceptions au départ à 64 ans pour les métiers difficiles.

En 2022, le candidat Macron a repris ce dernier projet en abandonnant toutefois son idée initiale de système par points pour s'en tenir au report de l'âge légal cette fois-ci à 65 ans, plagiant ainsi les réformes proposées par les politiques les plus libéraux, Valérie Pécresse en l'occurrence dans la campagne de premier tour.

Cependant, un examen sérieux du dossier nous permet d'affirmer que la question de l'équilibre des régimes de retraite, qu'il s'agisse du régime général ou celui des retraites complémentaires, est d'ores et déjà réglée.

En effet, les effets de la réforme Fillon-Woerth (2010) complétée par la réforme Touraine (2014) avec le recul de l'âge légal à 62 ans et l'allongement de la durée de cotisation à 42 ans (génération née en 1961,62,63) puis à 43 ans (personnes nées à partir de 1973), pour pouvoir prétendre toucher la retraite du régime général à taux plein, ainsi que la réforme des retraites complémentaires négociée entre les partenaires sociaux (2015) qui augmente la durée du travail d'une année pour éviter l'application d'une décote de 10 % pendant 3 ans sur le montant des retraites complémentaires, ont conduit à une augmentation spectaculaire ces 5 dernières années du taux d'emploi des 55-64 ans (40 % en 2010, 46 % en 2012 et 56,2 % en 2020).

Si nous ne regardons que les 60-64 ans, il passe de 20 % en 2010 à 33 % en 2020. Tout naturellement l'âge moyen de départ à la retraite (femme-homme) ne cesse d'augmenter (60,5 en 2010 à 61,4 et à 62,2 en 2019).

La réponse migratoire éludée

Ces données montrent que la question de l'âge légal n'est pas pertinente pour aborder la question des retraites. C'est bien la durée de cotisation qui est la mesure la plus appropriée. À cet égard, la France dispose de l'un des régimes de répartition les plus durs. La comparaison des systèmes nationaux se fait de façon trop superficielle pour livrer des enseignements intéressants. Ainsi lorsque les commentateurs avancent la durée de cotisation fixée à 45 ans en Allemagne pour stigmatiser les mesures françaises qui seraient insuffisantes, ils se gardent de préciser que les années d'apprentissage entrent dans le calcul des années cotisées dans un pays où la moitié d'une classe d'âge suit ce type de formation.

De même les prévisions de déficit annoncées par le Conseil d'orientation des retraites (COR) pour les années à venir reposent-elles sur d'insupportables hypothèses malthusiennes s'agissant de la quantification de la population active. Certes, la démographie l'explique mais le Conseil élude la réponse migratoire possible.

Dans son dernier rapport de 2021, il retient pour l'avenir les tendances migratoires de la dernière décennie, marquée par des politiques restrictives, nettement inférieures aux évolutions des années antérieures à 2010. Aux 80 000 entrées retenues, il suffirait de compter sur l'apport de 50 000 personnes supplémentaires. Nous voilà bien loin des prévisions migratoires apocalyptiques.

Nous pouvons ainsi suspecter le président candidat, rallié aux thèses les plus libérales sur ce dossier alors que sa position de 2017 le classait au centre gauche, de vouloir financer la dépendance à l'aide des cotisations retraites.

La jeune génération appréciera d'être à nouveau l'otage des « boomers » dont la grande majorité est loin du besoin. Bénéficiaires patrimonialement de la hausse ahurissante des prix de l'immobilier, empêchant les jeunes de se loger décemment dans les grands centres urbains, les voilà demandant aux actifs de les aider pour leurs vieux jours. En plagiant le programme libéral, le président candidat semble avant tout chercher à capter l'électorat fillonniste de 2017.

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Par Bernard Laurent, Professeur, EM Lyon.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaires 19
à écrit le 02/05/2022 à 10:05
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Ne serait-ce pas un moyen (habilement) déguisé de trouver de l'argent pour la dépendance, sans créer un nouvel impôt, spécial et trop visible (comme la taxe copie privée sert principalement au spectacle vivant, peu aux ayant droit d’œuvres musicales,...

à écrit le 02/05/2022 à 9:37
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Et hop! encore une thèse pleine de rhétorique économico-politique. Qui a au moins le mérite de conclure sur le fait que le système a été complètement dévoyé et pillé par les baby boomers, les cadres sup héros des 30 glorieuses, qui sont partis bien...

le 03/05/2022 à 20:21
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Le système par répartition serait équilibré si l’état ne piochait pas dedans sans vergogne pour payer une partie des pensions du public dont aucune cotisation n’a jamais été collectée pour participer au régime général. Certains politiciens ont du cul...

à écrit le 02/05/2022 à 8:12
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Reculer l’âge de départ à la retraite il faut le faire. Les salariés actuels travaillent moins avec les 35 h et les RTT, ce qui compte c’est le nombre d’heures de travail dans une vie. Les réactions que je vous avez recueilli sont irréalistes vos int...

le 02/05/2022 à 9:41
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"Reculer l’âge de départ à la retraite il faut le faire. " Pour toi ou les générations suivantes ?. J’ai l'impression que tu es parti à 60 voir 55 en pré-retraite ou mis en disponibilité par ta boite comme près de 4 millions de salariés du privé (...

le 03/05/2022 à 20:15
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Vous avez raison, mais dans ce cas je veux cotiser comme dans les années 80, à 100 balles par mois. Peut être que vous travaillez moins, mais nombre de travailleurs font le boulot de 39 voire 40 h00 par semaine en 35 h00, votre raisonnement est simpl...

à écrit le 01/05/2022 à 21:43
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Et c’est reparti pour comparer ce qui n’est pas comparable…. Certains pays partent plus tard ou cotisent plus longtemps ! Oui mais à quel taux sont ils taxés sur leurs fiches de payes ? quel est le montant de la pension qui leur est reversé ? Ont ils...

à écrit le 01/05/2022 à 17:42
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Pour être crédible aux yeux des français la réforme doit concerner tous les régimes spéciaux mais absolument tous à commencer par les parlementaires (sénateurs , députés) sinon cela ne passera pas de conserver des privilèges à certains alors que d'au...

à écrit le 01/05/2022 à 17:14
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Vu l age des electeurs de macron, il est assez evident que celui ci va faire payer les jeunes pour preserver les boomers (les jeunes votent peu et mal (pas macron) les vieux votent massivement et en majorite LREM). c est pas nouveau. on est passé des...

à écrit le 01/05/2022 à 12:31
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Les jeunes français sont humiliés et tristes sachant parfaitement qu'ils sont les dindons de la farce. Honte sur l'oligarchie qui laisse notre jeunesse périr au nom de la parasitaire marge bénéficiaire de l'actionnaire. La jeunesse c'est l'espoir d'u...

le 01/05/2022 à 14:22
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La France n'a pas de réel controle sur la "parasitaire marge bénéficiaire de l'actionnaire" qui d'ailleur n'est apas parasitaire sauf dans la conception de ceux qui n'invistissent que dans le livret A. La majorité des actionnaires des entreprises du...

le 01/05/2022 à 15:53
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En avant les clichés éculés! Vous êtes bien contents quand ces actionnaires apportent les fonds pour faire marcher vos entreprises avec leurs capitaux surtout quand par vos erreurs éventuelles vous les mettez en péril!

le 01/05/2022 à 19:44
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Sobriété oui, forcée non. Nous allons tous finir schizophrènes tandis qu'on nous culpabilise de trop polluer tout en nous inondant de publicités. Mais sans la publicité les marchés financiers s'effondreraient.

à écrit le 01/05/2022 à 12:27
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Le système à points, très complexe à mettre en œuvre, si c'était 'pensé' sur 15-20 ans, ça pourrait peut-être se mettre au point mais les Gvts changent et les projets sont rarement gérés sur le très long terme. La pénibilité c'est compliqué à évaluer...

le 01/05/2022 à 13:06
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Pour la sécurité sociale être amputé des 2 bras et de 2 jambes équivaut à être handicapé à hauteur de 20 %.. donc faut juste arrêter de jouer au bisounours et tout remettre à plat. Utopique, on est en France donc ce ne serait que du vent. La France ...

à écrit le 01/05/2022 à 11:19
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Le taux d'emploi des 55-64 ans reste trop bas. Une amelioration ne signifie pas que nous avons resolu le problème. Comparons à l'Allemagne et aux Pay Bas. Tant que nous n'aurons pas une balance commerciale à l'équilibre et le déficit budgetaire au n...

le 01/05/2022 à 21:38
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N’oublions pas que les premières générations qui ont fait des études longues arrivent au fur et à mesure à la retraite, il est normal que le taux d’emploi des seniors augmente sensiblement depuis quelques années. Mais ce phénomène ne concerne que de ...

à écrit le 01/05/2022 à 9:58
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Tout à fait d'accord, seule la durée de cotisation doit compter, couplée avec un âge minimum de 62 ans, et 60 ans avec 5 trimestres de cotisation avant 20 ans. S'il y a un pb de financement (je comprends quil n'y en a pas, au moins posur le privé),...

le 02/05/2022 à 15:40
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Non la durée est un paramètre logique dans un régime par capitalisation. Pour la répartition la durée est juste un minimum. Seule la mesure d'âge compte pour équilibrer les deux masses. Ajoutons que ceux qui ont commencé a travailler tôt ne doivent ...

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