Dossier Scribeo

« Le respect des principes qui font l’originalité des coopératives est d’une grande efficacité »

Rencontre avec Maître Jean-François Tessler, dirigeant du cabinet Tessler Avocats pour qui le modèle coopératif se révèle particulièrement adapté en cas de crise.
(Crédits : cabinet Tessler Avocats)

Comment expliquer le succès du commerce coopératif dans la période actuelle ?

Sur le plan juridique, le commerce coopératif comporte des fonctions spécifiques « dynamisantes ». En effet, le dispositif législatif qui encadre les coopératives allie aujourd'hui le respect des valeurs anciennes propres aux coopératives et à l'idéologie qu'elle véhicule, notamment humaniste - elles ont été RSE avant l'heure - tout en leur offrant des outils qui leur permettent de s'adapter à l'environnement économique actuel.

La loi dite ESS de 2014 est venue compléter la loi de 1947 sur la coopération en apportant une définition utile des coopératives, tandis que la loi de 1949 sur les coopératives de commerçants indépendants aujourd'hui amendée et codifiée aux articles L 124-1 et suivants du code commerce pose également une définition explicite des coopératives de commerçants : « les sociétés coopératives de commerçants détaillants ont pour objet d'améliorer par l'effort commun de leurs associés les conditions dans lesquelles ceux-ci exercent leur activité commerciale ». Tout est dit en quelques mots et la performance va en découler. Le même article donne une liste indicative d'activités susceptibles de constituer l'objet d'une telle coopérative : fournir aux associés les marchandises, denrées, services, l'équipement et le matériel nécessaire à l'exercice de leur commerce ; regrouper dans une même enceinte les commerces appartenant aux  associés ; faciliter l'accès des associés et de leur clientèle aux divers moyens de financement et de crédit ; organiser entre les associés une coopération financière ; fournir aux associés une assistance en matière de gestion technique, financière et comptable ; acheter des fonds de commerce dont la location-gérance est concédée aux associés ; définir et mettre en œuvre par tous moyens une politique commerciale commune propre à assurer le développement et l'activité des associés, notamment par la mise en place d'une organisation juridique appropriée, par la mise à disposition d'enseigne de marque, par la réalisation d'opérations commerciales publicitaires ou non pouvant comporter des prix communs, par l'élaboration de méthodes d'achat, ou encore par l'élaboration et la gestion d'une plate-forme de vente en ligne ; enfin, prendre des participations dans des sociétés directement ou indirectement associés exploitant des fonds de commerce. »

Le spectre est ainsi très large. Comme toutes les coopératives, celles qui regroupent des commerçants reposent sur plusieurs principes essentiels, à savoir « une adhésion volontaire et ouverte à tous, une gouvernance démocratique, la participation économique de ses membres, la formations desdits membres et la coopération avec les autres coopératives ».

L'outil commun fait donc la force du commerce coopératif ?

Effectivement. La force du mouvement coopératif en découle : les coopératives sont des outils communs créés et gérés par des commerçants qui se regroupent pour en tirer le meilleur profit dans leurs propres affaires. Ils vont pouvoir faire à plusieurs ce qu'aucun d'eux n'aurait eu les moyens de faire seul. Cogéré par les coopérateurs comme « leur propre boutique », l'outil commun va permettre de réduire les coûts de l'accès au marché et de supprimer les intermédiaires.

Entre une coopérative et ses associés, naît une relation duale : au service de ses associés, la coopérative répercutera le coût de ses services mais n'a pas vocation à faire des bénéfices au détriment de ses associés. Dans ses relations commerciales avec ses associés, elle devra toujours veiller à les approvisionner aux meilleures conditions possibles, pour leur permettre d'être à la fois concurrentiel et profitable, en produits qu'ils auront eux-mêmes sélectionnés, répondant au marché. A la différence d'un franchiseur, le profit n'est pas son affaire. Détenus et gérés exclusivement par ses associés coopérateurs en exercice, assistés par des salariés dits « permanents », ils sont collectivement et individuellement les « gardiens du temple », et veilleront, soyez-en certain, à éviter toute dérive d'inflation des coûts au sein de la coopérative et au respect de son objet.

Quel lien avec la résilience du système dans la période actuelle ?

Ici encore, le mode de fonctionnement juridique explique pour partie les choses.

-        Tout d'abord, si le principe des coopératives et que le nombre est essentiel, de sorte qu'elles ont toutes une vocation prosélyte et que leurs portes sont a priori ouvertes, l'association au sein d'une coopérative reste fortement marquée par l'intuitus personae. Au-delà de la personne morale qui constitue le vecteur de l'activité économique de ses dirigeants et associés, et de sa solvabilité notamment, c'est bien la personne du dirigeant qui sera prise en considération. De sorte que la décision d'agrément d'un nouvel associé se jouera largement sur ces deux critères essentiels que sont la compétence technique du postulant -être un commerçant avisé ayant fait ses preuves- et sa personnalité, entendue comme sa loyauté présumée à un système qui n'aime guère les infidèles et veille au respect de ses valeurs et principes. En période de crise, cette compétence technique et la loyauté à l'entreprise commune permettront de s'adapter et, pour les plus forts, d'assister les plus vulnérables. La solidarité coopérative n'est pas un droit, mais elle n'est pas un vain mot non plus, tant le groupe n'a pas intérêt à se disloquer. Ils l'ont ici démontrée.

-        Ensuite, le système de gouvernance, profondément démocratique, pousse à l'écoute de tous. Dans les assemblées, la règle est simple : un homme, une voix. Ce système garantit que la coopérative soit bien gérée par ses associés coopérateurs, qui sont tous les jours au contact du terrain, à commencer par leurs clients. Cette gestion démocratique est aussi le meilleur gage qu'elle ne se dévoie pas au regard de son objet, en devenant l'apanage de quelques-uns, et qu'elle fasse preuve d'une très grande réactivité dans son offre aux coopérateurs, à tous niveaux, produits et services. Lieu de débat, de réflexion mais aussi bien sûr de décisions, la coopérative permettra à ses associés de s'adapter aux contraintes nouvelles.

-        Enfin, dans les périodes difficiles, la loi permet aujourd'hui aux coopératives de commerçants d'intervenir non seulement techniquement mais financièrement s'il le faut au service de ses associés en difficulté, avec des mécanismes de solidarité nombreux dans leurs modalités et qui peuvent être d'une grande efficacité pour éviter la déconfiture d'associés en détresse, à laquelle la communauté n'a, de toute façon, jamais intérêt.

Il semble donc indéniable que le respect de ces principes qui font l'originalité des coopératives soit d'une grande efficacité. Si les coopératives et leurs associés savent en faire bon usage, l'institution récente par la loi d'un réviseur coopératif, véritable commissaire au droit coopératif, nommé par chaque coopérative (sous condition de seuil) avec mission de faire rapport tous les cinq ans du respect des principes coopératifs par celle qui l'a nommé, contribuera à préserver l'institution elle-même en la maintenant entre les mains de ceux pour qui elle est faite.

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