« Une révolution médicale se prépare dans nos blocs opératoires»

Le chirurgien strasbourgeois Jacques Marescaux, fondateur en 1994 de l'Institut de recherche contre les cancers de l'appareil digestif (Ircad), a mis en place un écosystème favorable à la création d'entreprises dans le secteur des technologies médicales. Un an après son ouverture, le biocluster des Haras affiche déjà complet. Les prochains investissements, publics et privés, vont renforcer la place de Strasbourg dans l'innovation thérapeutique.
Jacques Marescaux fête le premier anniversaire du biocluster strasbourgeois

La Tribune. Comment se porte le biocluster des Haras, dans lequel vous avez investi 25 millions d'euros il y a deux ans ?

 Jacques Marescaux. Le concept était pertinent, avec l'hébergement des startups, un hôtel et une brasserie. Le bâtiment dédié aux entreprises innovantes est rempli. Ces startups tournées vers l'imagerie médicale ont créé 38 emplois. La brasserie et l'hôtel de 55 chambres ont créé 80 emplois et tournent à plein régime. 7.000 chirurgiens viennent se former chaque année à l'Ircad et chez les industriels que nous avons attirés à Strasbourg. Ces médecins représentent la moitié de la fréquentation de notre hôtel. En tant qu'actionnaire à 75 % de l'hôtel et à 90 % de la brasserie, l'Ircad va toucher des bénéfices. On ne va pas gagner d'argent avec la partie biocluster, parce qu'on demande des loyers ridicules. Mais nos banquiers sont contents.

L'Institut hospitalo-universitaire (IHU), construit avec l'argent du Programme Investissements d'avenir, sera opérationnel dans un an. A quoi servira cet équipement ?

L'IHU est déjà opérationnel, à titre expérimental, sur 1.000 mètres carrés. Le bâtiment définitif, construit sur 13.000 mètres carrés pour 220 millions d'euros, sera inauguré en mai 2016. Nous y aménagerons des blocs opératoires d'avant-garde. Les industriels nous soutiennent en apportant leur matériel. Une révolution médicale se prépare, orientée vers la chirurgie mini-invasive guidée par l'image. Des systèmes d'imagerie, qui étaient précédemment dans le service de radiologie des hôpitaux, vont rentrer dans le bloc. Le chirurgien en aura besoin pour travailler en réalité augmentée. Cette révolution viendra très vite.

Comment l'IRCAD, reconnue pour son activité de formation à la chirurgie mini-invasive, est-elle devenue un creuset pour la création d'entreprises ?

Nous avons d'abord attiré les géants Siemens Healthcare et Karl Storz, qui en ont attiré d'autres. Le fabricant de dispositifs chirurgicaux Covidien a déménagé son centre de formation d'Elancourt, dans les Yvelines, vers Strasbourg. Fin 2013, on a pu racheter en urgence un bâtiment vacant sur le site de l'hôpital civil de Strasbourg, pour 4 millions d'euros avec une participation de 20 % des collectivités. En deux mois et demi, on l'a entièrement rénové.

Fin 2014, l'Américain Intuitive Surgical a décidé d'installer à Strasbourg son plus grand centre de formation, avec neuf robots médicaux. Quand les grands sont là, ils attirent des start-ups, porteuses de projets de recherche et développement. Il y a une créativité phénoménale dans la chirurgie en France. Toutes les grandes inventions, comme la laparoscopie, sont françaises.

Mais tout n'est pas parfait. Le transfert de technologie est nul. Parmi les trente premières compagnies mondiales de « medical device », il n'y a aucune française. On essaie d'y remédier en mettant ensemble des chirurgiens, des ingénieurs et des venture capitalists. Les quatre plus grands investisseurs américains de la côte Ouest sont venus à Strasbourg en 2014.

Comment se passe le dialogue entre ces métiers antagonistes ?

Si vous mettez deux chirurgiens ensemble, et vous leur demandez de créer quelque chose, il ne sortira pas grand-chose. En ajoutant des informaticiens et des ingénieurs roboticiens, ce sera complètement différent. Voilà ce qui fait la force de l'Ircad depuis vingt ans. C'est la définition même du biocluster. Tout le monde est au même endroit, au même moment. Pour les médecins, c'est tout bénéfice. Dans les couloirs de l'université de Stanford, il y a un panneau qui dit : "Si vous opérez tous les jours, vous allez sauver 200 vies. Si vous inventez un nouveau dispositif médical, vous sauverez des millions de vies... et vous pourriez devenir riche."

Quel est l'avenir de l'Ircad ?

Nous avons participé à la création de deux centres de formation estampillés Ircad, à Taiwan et au Brésil. Dans trois mois, nous pourrons annoncer une troisième antenne aux États-Unis. Sa localisation reste à préciser, sur la côte Est ou sur la côte Ouest.

A Strasbourg, le biocluster va encore grandir. L'unité actuelle n'est pas extensible : les Haras sont un bâtiment classé. Nous rachetons une clinique voisine, les Diaconesses, pour y mettre d'autres startups et une extension de notre hôtel. Le chantier peut démarrer en 2017. C'est bon pour l'économie locale et pour le rayonnement. Selon l'étude qu'on a réalisée avec McKinsey, il y a entre 1.000 et 1.500 emplois indirects liés à l'Ircad et à l'IHU.

Nous continuons aussi la recherche médicale. J'aurai bientôt 67 ans, mais je n'ai pas perdu ma passion des nouvelles choses. Il y a sans arrêt des idées folles à l'Ircad, qui abattent les dogmes. Par exemple, on se demande pourquoi le traitement du diabète ou de l'obésité morbide ne pourrait pas se faire par voie endovasculaire, avec un cathéter qui viendrait délivrer des micro-particules, boucher des artères au niveau de l'estomac et changer le cycle de l'hormone de l'appétit. On a fait des essais, ça marche.

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