Derrière le spectacle magnifique des vignes illuminées par les bougies se cache une triste réalité... Le travail de toute une année, réduit à néant. « Je suis abasourdi ! En trente ans d'exploitation, je n'ai jamais connu cela ! », avoue Thiébault Huber, président de la Confédération des Appellations et des Vignerons de Bourgogne (CAVB). En 2016, la Côte Chalonnaise et le Mâconnais avaient été épargnés et les températures n'étaient pas tombées aussi bas que cette année, avec parfois des -7 ou -8 degrés. Cette fois, toute la Bourgogne a été touchée par le gel : du Chablis au Grand Auxerrois jusqu'au Mâconnais.
« Qu'il y ait des épisodes de gel en avril, rien de surprenant. Le souci, ce sont les températures estivales de la dernière semaine de mars qui ont fait éclore les bourgeons », explique Thiébault Huber.
Les Chardonnay et Aligoté, plus en avance, semblent avoir été beaucoup plus touchés que les Pinot Noir. « La destruction à l'intérieur des parcelles peut aller de 20 % à 80 % des bourgeons, voire même 100 % dans quelques secteurs », remarque le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB). Ce constat est assez grave et certaines situations risquent d'être compliquées à titre personnel.
« Souvent, ce sont les bas coteaux qui sont le plus sensibles au gel et où on met les moyens techniques pour éviter les dégâts. Or cette année, le gel a pris la totalité de nos parcelles. On ne pouvait pas lutter partout. Mettre des bougies a un coût. Cela représente 3.500 euros par nuit, sans la main d'œuvre ! », confie Pierre Arcelain, viticulteur à Pommard (Domaine Michel Arcelain).
Toutefois, le jeune vigneron reste optimiste car les parcelles n'étaient pas toutes au même stade de bourgeonnement. « Les dessus de coteaux avaient vraiment commencé à pousser. Là, nous avons perdu 90 voire 100% de notre récolte », estime-il. Alors qu'en bas de coteaux où les Bourgogne n'avaient pas tous débourré, les pertes devraient se situer autour de 40 à 50%.
« Notre espoir réside dans la résilience de la vigne et dans le fait que les bourgeons encore en coton peuvent avoir été épargnés », souligne le BIVB. Il y a assez de vins de Bourgogne pour répondre à la demande, après trois récoltes correctes (un peu plus d'1,5 million d'hectolitres en moyenne). De nombreuses appellations en blanc bénéficient également d'un VCI (Volume Compensatoire Individuel) qui permettra de limiter en partie les pertes du millésime 2021.
Un milliard d'euros d'aides débloqué
Même si la Bourgogne est l'une des régions qui s'en sort le mieux dans cette crise sanitaire, la région a été l'une des plus touchées avec le val-de-Loire et la Côte du Rhône. « Sur les dix derniers millésimes, seules deux récoltes ont été normales », constate Thiébault Huber qui exploite un domaine de 30.000 hectares. « Nous avons très peu de stock. Et nos trésoreries se tendent. Sans compter que nous avons subi treize mois de taxe Trump qui a diminué de 25% nos exportations aux États-Unis », note le viticulteur qui a perdu 80% de sa récolte de blanc et la moitié de sa surface de rouge. Ce dernier est inquiet pour 2022 et espère un soutien du gouvernement à la hauteur des dégâts.
Le 17 avril dernier le Premier ministre, Jean Castex, débloquait un milliard d'euros d'aides pour venir en aides aux agriculteurs, (viticulteurs, arboriculteurs, betteraviers notamment). « Nous venons de vivre la pire catastrophe agronomique du début du XXIe siècle », déclarait-il. Les aides seront versées en trois temps. Les plus urgentes, en cours de déploiement, consistent en reports de charges et en réduction du montant de la taxe sur le foncier bâti pour les zones les plus touchées. Un fonds d'urgence est aussi créé. Dans un deuxième temps, le gouvernement devrait couvrir jusqu'à 40 % des pertes des exploitations non assurées, alors que seuls un tiers des viticulteurs sont assurés.
Des solutions pour l'avenir
Les aides gouvernementales pourront peut-être panser les plaies de cette année mais il est urgent d'agir à long terme. Le réchauffement climatique est la principale cause de ces fortes différences de températures (25 degrés d'écart en une semaine). À l'avenir, les viticulteurs devront trouver des solutions durables pour s'adapter. « On sait pertinemment que, d'un point de vue écologique, ce n'est pas ce qui se fait de mieux mais quand il s'agit de sauver une récolte, nous sommes prêts à faire des sacrifices », témoigne Guillaume Janiaut-Rousseau, viticulteur à Chaux (Domaine des Loups). Les températures sont descendues très bas, jusqu'à -7 ou - 8 degrés. Tous les moyens utilisés pour réchauffer la terre - bougies, aspersions d'eau, éoliennes et même hélicoptères pour les domaines les plus prestigieux - ont été presque vains. Ces techniques peuvent avoir un impact lorsque les températures restent proches de zéro, mais pas avec une telle différence. « Nous espérons à terme que les interprofessions et le gouvernement mettront en place des moyens de lutte collective, à la fois respectueux de l'environnement et efficaces pour sauver une récolte », poursuit Guillaume Janiaut-Rousseau.
Parmi les mesures structurelles annoncées par le gouvernement, une enveloppe destinée aux aléas climatiques voit son montant doublé à 140 millions d'euros, le soutien financier à la recherche publique sur les aléas climatiques est aussi accru. Thiébault Huber propose quelques pistes : « Je crois en la recherche et développement sur des variétés de plans de Pinot noir et Chardonnay plus tardifs, ainsi que sur des moyens de protection plus écoresponsables. »
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