L'Île-de-France, un immense plateau de cinéma...

Le festival de Cannes s'ouvre le 16 mai et, officiellement, le cinéma français va bien. Mais la situation est paradoxale : d'un côté, les producteurs américains, indiens et chinois tournent de plus en plus en France, de l'autre, la délocalisation des productions françaises vient de battre, début 2012, de nouveaux records.
Tournage de la série culte de la télévision chinoise, Rêves derrière un rideau de cristal, sur le parvis de Notre-Dame, à Paris. / DR

Une cascade dans une voiture dévalant les marches du Sacré-C?ur ? Pas facile, mais jamais vu ! Le défi amuse Olivier-René Veillon. Si Sylvie Barnaud, commandant chargé des prises de vue à la préfecture de police de Paris, arrive à trouver une solution technique et totalement sécurisée pour cette première cinématographique, Olivier-René Veillon aura un argument supplémentaire pour emporter définitivement à Paris cet été les huit semaines de tournage d'une des plus importantes comédies romantiques anglo-saxonnes de l'année. Olivier-René Veillon dirige la Commission du film d'Île-de-France. Avec Sylvie Barnaud, il a souvent bluffé Hollywood. L'un de ses plus beaux coups : la poursuite en voiture de Rush Hour 3 sur les Champs-Elysées avec Jacky Chan. Le metteur en scène, Brett Ratner, avait mobilisé toutes les Loumas disponibles en France et en Angleterre. La préfecture de police de Paris a, elle, organisé le tournage de la poursuite aux petits oignons, en plein mois d'août. Brett Ratner en a été tellement ravi que, peu de temps après, croisant Olivier-René Veillon dans un avion, il lui donne en exclusivité le scénario d'Inglorious Bastards, que venait juste de terminer son grand ami Quentin Tarantino. « On a travaillé sur le scénario avant tout le monde, se souvient Olivier-René Veillon. On a trouvé tous les sites dont avait besoin Tarantino. On les lui a montrés, il était d'accord. Mais le film a été tourné en Allemagne ! Le fonds de soutien de Berlin a fait l'effort financier qu'il fallait. C'était un film pour nous qui nous a échappé parce qu'à l'époque nous n'avions pas le crédit d'impôts international. Fiscalement, on ne pouvait pas lutter. »Du coup la Commission du film d'Île-de-France a fait le siège du ministère et obtenu ce crédit d'impôts international (lire ci-contre). Résultat immédiat et spectaculaire : Woody Allen, qui avait depuis cinq ans le scénario de Midnight in Paris, dont le budget dépassait ce qui lui était alloué, a enfin pu convaincre ses producteurs. Et ceux-ci, en investissant 17 millions de dollars, en ont quand même vu revenir plus de 150?! Cerise sur le gâteau : Jacky Chan, bluffé lui aussi, à l'époque de Rush Hour 3 par le travail des Parisiens, vient de tourner à Paris une bonne partie de Chinese Zodiac, sa nouvelle superproduction, qui devient le premier film chinois à bénéficier du crédit d'impôt international ! Tous les tournages étrangers à Paris ne sont évidemment pas amenés par la structure du Conseil régional d'Île-de-France. Clint Eastwood, par exemple, voulait de toute façon tourner à Paris avec Angelina Jolie, et il est en position d'imposer ce qu'il souhaite. Il n'a pourtant pas refusé le crédit d'impôts sur Au-delà. Ni Martin Scorsese, pour Hugo Cabret. Mais, la plupart des coproductions, il faut aller les chercher « avec les dents ». Beaucoup d'entre elles ne seront d'ailleurs jamais vues en France. Celles des Indiens ou des Chinois, par exemple. « Lorsqu'un tycoon indien a voulu tourner "Jum barabar jum" à Paris, il voulait que ses ballets puissent danser dans le Louvre, sur la Concorde, sur le Trocadéro, etc. Mais faire venir soixante danseurs indiens pour plusieurs semaines de tournage était trop cher. Il a été convaincu par nos intermittents : aucun danseur du film n'est indien ! Nos 110000 intermittents sont un atout formidable pour les producteurs du monde entier. Ils sont tous sûrs de trouver les acteurs et les techniciens dont ils ont besoin. »

Un retour inattendu sur investissement

Hunan TV, l'une des principales chaînes chinoises, vient ainsi tourner une série, pour les mêmes raisons : trente fois cinquante-deux minutes de début juin à fin août. Hunan TV avait déjà tourné en 2007 la première saison de cette série culte de la télévision chinoise Rêve derrière un rideau de cristal. Etrange retournement de la mondialisation : les Chinois viennent aujourd'hui produire en France des films et des séries pour leur propre marché intérieur. La première raison du phénomène est que la Commission s'est trouvé des alliés en Asie dont le producteur majeur du continent, la Taipeh Films Connection. Elle produit à Taïwan, mais surtout elle initie tous les grands projets chinois. Pendant des années la France cinéphile a reçu et produit les grands cinéastes taïwanais. Hou Hsiaohsien en est le plus bel exemple. Tsai Ming Liang aussi. Du coup, les Français ont été bien accueillis à Taïwan, lieu de passage obligé pour toucher le marché chinois. Français et Allemands s'y livrent d'ailleurs une rude concurrence, les premiers amenant les Taïwanais au festival de Cannes et les seconds à celui de Berlin. « La production asiatique est vitale, explique Olivier-René Veillon, mais elle est totalement différente de la production anglo-saxonne : ni les Indiens, ni les Chinois n'envisagent la France comme un marché essentiel pour leurs films. A l'inverse, les Anglo-saxons tournent chez nous parce que nous avons un marché intérieur fort, un public essentiel pour la rentabilité de leurs films. »La France est un enjeu fort pour les Anglo-saxons. Surtout pour les films indépendants américains, qui peuvent en plus trouver des coproductions en France. Les Asiatiques sont attirés par les décors (Paris et la Provence essentiellement), les facilités de tournage hors studios, le nombre d'intermittents et le matériel technique. Les plus « accros » à la France sont en fait les agences de publicité japonaises. La route des crêtes du Vexin, dans le Val-d'Oise, est un must pour tous les constructeurs automobiles japonais. Dentsu, la plus grosse agence de publicité japonaise, a fait filmer sur les routes d'Île-de-France et dans les rues de Paris la quasi-totalité des nouveaux modèles des constructeurs japonais. Les Chinois, eux, sont particulièrement amoureux de la forêt de Fontainebleau, de Barbizon et de Jean-François Millet.

« Notre potentiel n'a pas de limite »

L'Île-de-France est donc devenue l'une des places majeures de tournages internationaux dans le monde. « Notre potentiel n'a pas de limite, affirme Olivier-René Veillon. Paris et l'Île-de-France, c'est un réservoir de contenus et de mythes quasi illimité, des techniciens de premier plan, des intermittents disponibles immédiatement : on ne peut pas faire venir les films à bas coûts, car nos salaires sont élevés, mais toute la production internationale à forte valeur ajoutée. Il suffit de tout organiser. Le meilleur exemple, c'est Versailles. Lorsque Sofia Coppola a demandé à tourner Marie-Antoinette, on s'est aperçu que personne ne tournait dans le château, car son administration n'avait aucune idée des tarifs à pratiquer, de la logistique à fournir. Alors on a pris les choses en main et tout le monde vient désormais à Versailles. » Olivier-René Veillon a même réussi a y amener, petite vengeance, l'une des plus grosses productions allemandes de l'année. Un film de Peter Sehr sur Louis ii de Bavière. Le rapport ? « C'est dans la galerie des Glaces que Bismarck, en 1871, avait proclamé l'Empire allemand au cours d'une cérémonie majestueuse, où Louis II n'était pas, sourit Veillon. Il fallait le leur rappeler, une telle scène, les Allemands ne pouvaient pas la refuser. » Olivier-René Veillon connaissait bien Sehr et il a pu lui glisser l'idée. Comme il l'avait fait avec Stephen Frears en le baladant pendant des heures dans les rues de Paris pour qu'il y tourne Chéri de Colette plutôt qu'en studio à Londres ; Frears, convaincu, a lui-même convaincu ses producteurs de payer un peu plus cher pour être à Paris. Comme il l'avait fait avec Jacky Chan, Quentin Tarantino ou bien d'autres : « Je travaille dans un milieu à 100 % relationnel. Il faut avoir la bonne information au bon moment, avant tout le monde, pour être le plus en amont. Il faut avoir le scénario, travaillé dessus, parler au scénariste, au réalisateur, et cela d'abord par la vision artistique. Le choix déterminant, c'est le choix artistique. C'est pour cela que nous devons avoir des relations de confiance avec les créateurs. »

Les avantages financiers incitateurs du C2I

Le crédit d'impôt international (C2I) concerne les films, séries ou animations dont la production est ini-tiée par une société étrangère et dont tout ou partie de la fabrication a lieu en France. Le financement va jusqu'à 20 % du montant de la production. C'est très important, mais cela reste inférieur encore aux avan-tages financiers au Royaume-Uni, et surtout en Belgique, qui peuvent atteindre jusqu'à 50 % du mon-tant de la production.

 

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