Démographie en berne et boulimie foncière : le paradoxe normand

La population y stagne. Pourtant, la Normandie a englouti plus d’hectares pour la construction de logements que toutes les régions métropolitaines, en proportion de sa surface. Comment expliquer ce paradoxe ? D'où vient cette boulimie foncière ? Eléments de réponse.
Vue du centre ville du Havre, reconstruit par l'architecte Auguste Perret
Vue du centre ville du Havre, reconstruit par l'architecte Auguste Perret (Crédits : DR)

Voilà un podium dont la région ce serait bien passée à la veille de l'entrée en application du Zéro Artificialisation Nette (des sols), le désormais fameux ZAN. Entre 2009 et 2019, la Normandie a englouti 15.000 hectares au profit du seul logement. La Corse exceptée, aucune autre région métropolitaine n'a consacré autant d'espace à l'habitat en proportion de sa surface, nous apprend l'Insee dans une étude* publiée cette semaine.

« Cela représente l'équivalent d'un hectare toutes les 6 heures ou trois fois la surface de la ville du Havre », image son auteur, Jonathan Brendler.

Ce jeu de gagne terrain s'est déroulé à un train d'enfer. Les surfaces dédiées au logement ont augmenté d'un peu plus de 10% pendant la décennie étudiée -presque trois points de plus que la moyenne nationale- quand la progression a été quasi nulle dans l'Île-de-France toute proche, et faible dans les autres régions du Grand Ouest. Non que la Normandie ait été noyée sous un flot de nouveaux arrivants. Au contraire. « Sa démographie a été modérée voire atone. La progression de la population n'explique que 7% de l'augmentation de la surface occupée au sol par l'habitat », chiffre Christian Camesella, chef du service statistique à la délégation régionale.

Un patrimoine en déshérence

Pour l'Insee, le desserrement des ménages est l'une des raisons principales de cette goinfrerie foncière. Mais, elle n'est pas la seule. Pour expliquer le phénomène, il faut aussi remonter à l'immédiat après-guerre. A l'époque, Le Havre, Rouen, Caen et, avec elles, des dizaines de localités reconstruisent à tour de bras le cœur de leur cité détruit par le tapis de bombes des alliés, annonciateur du débarquement.

De cet immense chantier à ciel ouvert, persiste des ensembles bâtis souvent en déshérence, boudés par les habitants qui vont chercher ailleurs leur « home sweet home ». Notamment aux franges des grandes villes, là où la consommation de foncier a viré au rouge en même temps que prospéraient les zones pavillonnaires.

« Dans les villes reconstruites, les centres en particulier souffrent d'une image négative due à un patrimoine immobilier vieillissant inadapté aux besoins actuels », est bien obligé de constater Guy Lefrand, vice-président de la Région en charge de l'aménagement du territoire.

Ce déclassement n'est pas sans conséquence. Il est pour une large part responsable de la progression spectaculaire du nombre de logements vacants qu'a connu la Normandie dans la dernière décennie  (+ 50% contre 20% en moyenne nationale). Et par ricochet du boom de la consommation foncière. « Un tiers de la surface consommée par l'habitat découle de la vacance du fait qu'elle provoque une pression sur le marché immobilier », analyse Jonathan Brendler.

Gare au couperet du ZAN

On s'en doute. Cette équation singulière complique, sinon hypothèque, l'atteinte du zéro artificialisation nette. Pour rappel, celui-ci va contraindre les élus et acteurs économiques régionaux à diviser par deux leur droit de tirage sur les sols d'ici 2030. « La barre est assez haute, reconnaît pudiquement Pascal Henry, n°2 de la DREAL (Direction régionale de l'aménagement, de l'environnement et du logement). Mais il existe ici un gisement immobilier dormant à reconquérir, essentiellement dans le parc privé ».

Les élus havrais ont été parmi les premiers à montrer la voie. Antoine Rufenacht puis Edouard Philippe ont bataillé pour faire classer, au patrimoine mondial de l'Unesco, les immeubles en béton imaginées après-guerre par l'architecte Auguste Perret, leur redonnant au passage leurs lettres de noblesse. Dans leur sillage, la Région Normandie a créé un label de reconnaissance du « patrimoine de la reconstruction » pour inciter élus et habitants à porter un autre regard sur cet héritage de l'histoire. De son côté, la DREAL table sur des programmes tels que « Action cœur de ville » ou « Petites Villes de demain », pour contribuer à sa réhabilitation, au propre comme au figuré.

Reste à voir si les acteurs de la construction s'intéresseront à leur tour à ce « gisement dormant » sur lequel pèse le poids des ans. Faute de quoi les objectifs -louables- du ZAN risquent d'être hors de portée.

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*Une forte consommation d'espace pour l'Habitat en Normandie dans un contexte de faible croissance démographique. Insee Analyses n°114.

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Commentaires 2
à écrit le 25/05/2023 à 11:00
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Cela vaut pour l'ensemble de la France. La France a construit 471 000 logements en 2021, d'après le Deloitte Property Index 2022 (seulement 310 000 en Allemagne ou 175 000 en Angleterre). Alors que la demande potentielle de logements a été estimé...

à écrit le 25/05/2023 à 9:24
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Les Normands ont bien compris qu'habiter en ville c'est pas "top"! Quant à réduire l'artificialisation des sols! cette idée est à ranger du côté des "couillonades".

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