Difficile d'en jurer mais tout laisse à penser que la première (grosse) unité de production française d'hydrogène décarboné par électrolyse de l'eau verra le jour dans l'estuaire de la Seine, à quelques encablures du Havre.
Porté depuis 2019 par la société d'ingénierie H2V Industry rejointe par Air Liquide, le dossier devrait connaître un coup d'accélérateur grâce aux nouveaux mécanismes de soutien promis par le gouvernement dans le cadre du plan de relance.
« Ce projet, qui peut combiner décarbonation des transports et de l'industrie, est à bonne échelle pour constituer un futur hub avec une grande source de production et une logistique associée optimisée, vante Régis Saadi, directeur des affaires publiques d'Air Liquide France. En outre, il est en avance de phase par rapport à tous les autres ».
D'une capacité annoncée de 28.000 tonnes/an en phase de démarrage, ledit projet a, il est vrai, franchi plusieurs étapes. Situé à portée de vue de deux raffineries (Total et ExxonMobil), grosses consommatrices d'hydrogène « gris », le terrain est réservé, le débat public est terminé, le permis de construire déposé et les autorités locales planchent sur la création d'une H2 académie pour former les futurs salariés.
« Ce dossier par sa complétude figure parmi les meilleurs. Il correspond parfaitement au schéma fixé par le gouvernement, sous réserve que nous francisions les électrolyseurs (aujourd'hui en pré-commande en Norvège ndlr) ce qui ne posera pas de problème » professe Lucien Mallet, président d'H2V Industry.
Fondateur de la société Eole RES, un des pionniers français de l'éolien, qu'il a revendue en 2006, cet ingénieur des mines est persuadé du potentiel de la vallée de Seine. « Si nous le travaillons bien, ce territoire peut devenir la première région hydrogène en Europe » s'enflamme-t-il.
ArianeGroup profite de la fenêtre de tir
Lucien Mallet n'est manifestement pas le seul à croire aux vertus stimulantes de l'écosystème normand. Engie et ArianeGroup, dont les fusées sont propulsées depuis 40 ans à l'hydrogène liquide, ont ainsi annoncé, la semaine dernière, lancer à Vernon (Eure) le développement d'une nouvelle génération de liquéfacteurs d'H2 qui sera produit à partir de renouvelables.
Le démonstrateur sera construit sur le site où sont conçus les moteurs d'Ariane qui a pour particularité d'abriter « le plus important laboratoire européen de R&D sur l'hydrogène », dixit les intéressés. Objectif : gagner en performance et réduire les coûts de cette étape de transformation.
« Embarquer de l'hydrogène gazeux à bord de bateaux ou d'avions gros porteurs relève de la chimère, rappelle Jean-Christophe Henoux, vice-président d'ArianeGroup. Si l'on veut massifier son usage pour la mobilité lourde, nous devons changer d'échelle ». Dans la ligne de mire du consortium, le secteur maritime qui sera selon eux « le primo-accédant » à la motorisation H2. Un premier navire « pilote » pourrait être alimenté en 2025. Personne, à Vernon, ne serait étonné qu'il parte du Havre.
Et là aussi, le très généreux plan H2 devrait aider au décollage même si, chez Ariane, on jure ne l'avoir pas attendu pour placer le projet sur la rampe de lancement. « Nous y travaillons depuis plusieurs mois » assure sa porte-parole.
La Manche veut convertir les poids-lourds
La mobilité lourde, c'est aussi ce à quoi songe la Manche, premier Département français à avoir installé une borne de recharge hydrogène sur son territoire dès 2014. S'appuyant sur l'innovation mondiale conçue par le groupe Chéreau - une remorque frigorifique alimentée par une pile à combustible -, la collectivité s'est associée à Engie et au nantais Lhyfe pour imaginer un réseau de bornes destiné, notamment, à servir des transporteurs prêts à se convertir à l'H2.
Les Maîtres Laitiers du Cotentin et les groupes Malherbe et Delanchy, à la tête chacun d'un parc de plusieurs centaines de poids-lourds, ont rejoint l'initiative. Valérie Nouvel, vice-présidente du Département et co-fondatrice du Club des élus engagés pour l'hydrogène, espère maintenant en convaincre d'autres. « Nous lançons un appel à manifestation d'intérêt pour inciter les entreprises locales et, pourquoi pas des collectivités, à s'équiper en véhicules hydrogène grâce aux aides promises par le plan de relance ». A bon entendeur.
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