Le Casier judiciaire national se modernise pour pister les délinquants européens

Voulue par l'Union européenne, l'interconnexion des casiers judiciaires a amené l'institution française à se transformer et à se doter d'un pôle d'experts capables de jongler avec les données juridiques, linguistiques et informatiques. L'objectif : avoir une connaissance exhaustive des parcours pénaux des individus en Europe.
Aujourd’hui, à l’exception de Malte et du Portugal, 26 États membres sont interconnectés.
Aujourd’hui, à l’exception de Malte et du Portugal, 26 États membres sont interconnectés. (Crédits : Pixabay / CC)

« Il n'y a encore pas si longtemps, lorsqu'un magistrat faisait une demande de bulletin de casier judiciaire à ses homologues européens, il fallait scanner le document, l'envoyer par mail, doublée d'un courrier postal. La réponse pouvait prendre très longtemps... si elle arrivait », se rappelle Yann Taraud, magistrat au sein du Casier judiciaire national, chargé du bureau des fichiers spécialisés et des échanges internationaux, à Nantes, siège de l'institution française depuis 1982, engagée depuis une dizaine d'années dans l'interconnexion européenne des casiers judiciaires.

« Ça n'a l'air de rien, mais qu'un juge italien, par exemple, puisse avoir quasi immédiatement connaissance d'une condamnation en Allemagne, ou dans chacun des États membres de l'Union européenne, pour prouver la récidive d'un acte est important. En France, la condamnation va du simple au double. »

Aujourd'hui, à l'exception de Malte et du Portugal, 26 États membres sont interconnectés. L'an dernier, au-delà des 16 millions d'extraits de casier judiciaire Bulletins n°1, n°2 et n°3 (1) délivrés dans l'Hexagone pour effectuer des démarches pénales ou administratives, le site nantais a ainsi reçu 30.216 demandes d'extraits de casier judiciaire (+22,3%) et 18.330 (+10%) avis de condamnation en provenance de magistrats européens.

L'idée de l'échange d'informations entre États européens date de 1959, définie par une convention du conseil de l'Europe. L'automatisation débute dans les années 1980. Le partage d'informations se fait au comptegouttes.

« Nous sommes dans le temps long, acquiesce Yann Taraud. À l'échelle communautaire, il se passe souvent plusieurs années entre l'adoption d'un texte, son application et les effets directs dans les États membres. De fait, la mise en place de notre pôle d'échanges internationaux, en avril dernier, ne se comprend qu'à partir de ce qui s'est passé en 2003 », plaide-t-il.

Données automatisées

Depuis toujours, les faits divers, les affaires liées à la mafia, aux capitaux mal acquis et au terrorisme incitent la sphère politique à agir. « Mais surtout, les événements du 11 septembre 2001 ont provoqué des avancées majeures », rappelle-t-il. À partir de là, la France et l'Allemagne ont poussé à une interconnexion européenne. Objectif : rapidité, sécurité et fiabilité.

En 2012, avec la mise en oeuvre du projet pilote Ecris (European Criminal Records Information System), l'UE formalise la volonté franco-germanique et édite des tables communes d'infractions et de peines, traduites automatiquement pour faciliter la compréhension et l'automatisation des données pénales d'un pays à l'autre. En cinq ans, vingt-six États se connectent.

« La langue choisie est l'anglais. Ecris a considérablement assoupli les règles pour s'affranchir des spécificités locales sans unifier le droit pénal. Dans chaque pays, il a fallu constituer une équipe compétente en matières juridique, informatique et linguistique. Trouver des agents qui ne soient pas effrayés de gérer des textes juridiques en cyrillique, par exemple », détaille le responsable du pôle des échanges internationaux.

Réponses très rapides

À Nantes, dans ce bunker discret et ultra-sécurisé du CJN, où travaillent 230 personnes, une quarantaine d'agents a d'emblée été formée au système Ecris. Parmi eux, vingt à vingt-cinq agents interviennent sur les échanges internationaux, à travers les pôles juridique, administratif, informatique.

Finalement, le CJN a créé une direction des fichiers spécialisés et des échanges internationaux et un pôle de six agents experts, à temps-plein, rodés aux questions internationales. Les réponses doivent être transmises sous 10 à 20 jours. Un délai considéré comme rapide par le magistrat. Pourquoi pas en temps réel ?

« Chaque demande impose des vérifications, notamment d'identité, de nationalité. Finalement, ce n'est pas si simple, on ne converse pas à l'international comme dans l'Hexagone », précise-t-il. Le taux de « déroutement », c'est-à-dire imposant une intervention humaine, atteint 60%. Un taux justifié par le nombre de condamnations étrangères. Et chaque État demeure responsable des informations qu'il diffuse.

« On a quand même résolu le problème des lourdeurs administratives face à la liberté de circulation et d'établissement sur le territoire européen. Là où c'est plus compliqué, c'est pour les ressortissants des pays tiers », observe le magistrat nantais.

En 2004, en l'absence d'Ecris, cette ignorance avait permis au tueur en série Michel Fourniret de passer entre les gouttes. D'où l'idée défendue par la France depuis 2014 de centraliser les condamnations prononcées dans l'UE contre les ressortissants des pays tiers. Repris par l'Union européenne, le projet fait l'objet d'une proposition de directive et de règlement, baptisé Ecris TCN (Third Country National) en cours de discussion dont la décision est attendue dans les prochaines semaines. Il s'agirait de créer une base européenne centralisée, à Bruxelles, où figureraient les identités alphanumériques et les empreintes digitales des ressortissants des pays tiers condamnés dans un des États membres.

« Un projet colossal qui impliquera un budget, des RH, de l'informatique... et nécessitera une étude d'impact pour le Casier judiciaire national. Où, il y aura bien un avant et un après les empreintes digitales », observe Yann Taraud.

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(1) Contrairement aux extraits B1 réservés aux magistrats et à l'administration pénitentiaire et B2 pour l'administration, l'extrait B3 est remis aux particuliers.

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