Le Smart Grid Vendée à bon port

Destiné à expérimenter l’intégration des énergies renouvelables et la gestion des réseaux électriques intelligents à l’échelle d’un département, le projet Smart Grid Vendée était le seul projet européen à tester l’intégralité de la chaîne énergétique, du producteur au consommateur. Cinq ans après sa création, l’un des premiers démonstrateurs arrivés à échéance livre ses premiers enseignements.
Aux Sables d’Olonne, le projet Smart Grid Vendée a été décrypté devant 500 personnes, sous la forme d’un procès, celui de Monsieur Smart Grid où les acteurs du consortium, appelés à la barre, ont défendu leurs actions et leurs convictions.
Aux Sables d’Olonne, le projet Smart Grid Vendée a été décrypté devant 500 personnes, sous la forme d’un procès, celui de "Monsieur Smart Grid" où les acteurs du consortium, appelés à la barre, ont défendu leurs actions et leurs convictions. (Crédits : Frédéric Thual)

À elle seule, sa surface d'expérimentation en a fait sa spécificité. « Parce qu'il y a, ici, plus de vent dans le Sud qu'au Nord du département, plus de soleil dans les terres sur le littoral ou inversement, parce que l'on a des productions intermittentes, des utilisateurs de toutes les catégories, ruraux ou urbains, que toutes les difficultés d'intégration des sources d'énergies étaient réunies, la Vendée offrait un territoire pertinent pour imaginer les réseaux intelligents de demain. Ce département est une petite France, où l'on a expérimenté ce qui se déroulera, demain, à l'échelle nationale ou européenne », affirme Alain Leboeuf, président du Sydev (Syndicat départemental d'énergie et d'équipement de la Vendée), auquel adhèrent toutes les communes et intercommunalités du département.

Lancé en 2013, le projet Smart Grid Vendée s'achèvera officiellement le 15 septembre 2018 avec la dissolution du consortium réunissant Enedis, RTE, Engie Ineo, Legrand, Actility, General Electric et Cnam (Conservatoire national des arts et métiers), engagé, lui, dans la formation d'ingénieurs en génie électrique "Smart Grid", l'acculturation des populations et l'évaluation de l'accessibilité sociale des contraintes induites par les réseaux électriques intelligents. Un rôle non négligeable au regard de la méconnaissance de la population envers ces technologies et ces expérimentations ainsi que de l'hostilité émergente face à l'installation des compteurs Linky, clé de voûte des futurs dispositifs. 35 millions de compteurs, dont un tiers ont déjà été installés, seront déployés à l'horizon 2021.

La Cnam engagé sur l'aspect sociétal

« Si les effacements de chauffage et d'eau chaude sanitaire - c'est-à-dire le report ou le décalage des consommations - ont été généralement peu perçus, les usagers sont avant tout sensibles à la maîtrise des consommations, le plus souvent liées au confort thermique des bâtiments et à la performance des installations », éclaire une étude sociétale menée par le CNAM.

Fort de ce constat, celui-ci a développé un studio immersif, ludique et pédagogique pour fournir des clés de compréhension. Une « expérience prospective citoyenne », baptisée So Smart, destinée à circuler sur les territoires où, durant 1h30, les participants sont invités à s'imaginer en 2038 et à rejoindre quatre communautés, pour savoir : comment produire l'énergie ? Comment se déplacer ? Comment des loger ? Comment s'alimenter ? Une manière d'impliquer le citoyen sur le chemin des transitions.

À l'issue de ces débats, des observations scientifiques devraient favoriser l'émergence de pédagogies innovantes - un axe de travail qui avait été négligé lors du lancement du Smart Grid Vendée en 2013. Cette approche sociétale s'est accompagnée de la formation de 66 ingénieurs en génie électrique "Smart Grid", formés en apprentissage à la Roche-sur-Yon.

Si le marché est encore balbutiant, la quasi-totalité des étudiants aurait trouvé un emploi à l'issue de leur formation.

Soutenus par l'Ademe dans le cadre du programme des investissements d'avenir (PIA), vingt-huit démonstrateurs Smart Grid sont en cours d'expérimentation en Europe. Le marché des réseaux intelligents s'accélère. « La transition énergétique, c'est maintenant. On investit pour être "time to market" », rappelle Philippe Monloubou, président du directoire d'Enedis, qui s'est impliqué à hauteur de 16,9 millions d'euros dans le Smart Grid Vendée.

Aller plus loin dans l'expérimentation

En cinq ans, près de 150 collectivités locales, industriels, startups, sociétés d'ingénierie et encore d'établissements d'enseignement ont été impliqués dans la démarche. Acteurs publics et privés ont appris à travailler ensemble. Au total, l'expérimentation a concerné 120 bâtiments tertiaires, 40 commandes d'éclairage public pilotant 1.200 points lumineux, sept usines de production d'eau potable, quatre parcs éoliens, 37 centrales photovoltaïques, un centre de recharge de voitures électriques, deux stations météorologiques, cinq postes sources... Le tout équipé de centaines de capteurs, à partir desquels on a pu observer les habitudes de consommation.

Il s'agissait, d'une manière générale, de mesurer la flexibilité électrique à grande échelle, entre producteurs et consommateurs alors que chaque année, Enedis raccorde près de 30.000 nouveaux producteurs d'énergie. « Nous gérons aujourd'hui 300.000 informations par seconde, demain, ce sera 3 millions ! », justifie François Brottes, le président du directoire de RTE (Réseaux de transport d'électricité), dont l'expérience vendéenne a permis de tester et « quantifier la valeur économique des flexiblités de la consommation électrique et les gisements générateurs de valeurs ».

Lesquels ? Derrière de grands élans de communication, les acteurs du consortium se sont montrés peu diserts sur les résultats concrets, dont certains seront demain exploités ou prolongés dans le projet SMILE, co-piloté par les régions Bretagne et Pays de la Loire. Ce dernier a pour ambition de créer un grand réseau électrique intelligent dans l'Ouest et devenir une vitrine industrielle de l'excellence française en matière de technologies "Smart Grid". En intégrant le numérique, les énergies renouvelables et la transition énergétique, celles-ci veulent aller plus loin dans l'expérimentation.

Des solutions émergent, des questions demeurent

« L'analyse des données de consommation et de production a montré que le pilotage des infrastructures (salles de fêtes, bureaux, etc) pouvait générer des économies d'énergies de 1% à 10%. En ce qui concerne l'effacement, avec les technologies déployées par le Smart Grid, on peut espérer 1 killowatt par ménage pour des consommations domestique. Au regard de la quantité d'abonnements mensuels de 6 ou 9 kilowatts, cela représente un nombre de gigawatts importants », assure François Moisan, directeur scientifique de L'Ademe.

« On attend aussi beaucoup des résultats sur les offres de raccordements. Il reste un point à travailler, c'est sur les modèles économiques, par exemple sur la question du stockage. Un sujet sur lequel travaille cinq des 22 PME, retenues lors de notre dernier appel à proposition ».

« Ce démonstrateur nous a permis de développer une fonctionnalité inédite sur notre solution Smart'éo, conçue pour piloter des capteurs capables de suivre le rendement d'une station photovoltaïque, des armoires d'éclairage public, le monitoring d'une installation industrielle... En l'occurrence, celle-ci permet d'analyser et d'agir directement sur le pilotage de bâtiments publics ou de réverbères, en cas de contrainte sur le réseau pour satisfaire aux conditions de l'effacement », indique Jean-Sébastien Dunand, responsable de Smart'eo, chez Engie Ineo.

Dans le cadre de l'expérimentation menée en Vendée pendant l'hiver 2017/2018 par Engie Ineo, le total des consommations effacées s'est élevé à 2,3 Mwh, soit l'équivalent de la consommation moyenne d'une famille française.

Enedis industrialise des solutions internationalisables

Pour Enedis, le jeu en valait visiblement la chandelle.

« Si nous avions dû le faire en interne, parce que de toute façon, il aurait bien fallu le faire, ça nous aurait pris deux ou trois fois plus de temps, et il aurait fallu le tester sur le terrain. C'est ce que l'on a fait ici, en mode collaboratif, et déjà certaines solutions sont internationalisables », se réjouit le président du directoire d'Enedis.

Parmi elles, la mise en œuvre d'une gestion prévisionnelle permet d'anticiper les contraintes à court et moyen terme sur le réseau, et donc d'optimiser la planification des opérations de maintenance. L'expérimentation a, également, permis de mettre au point un système de gestion automatisée de la tension électrique en temps réel, en cas de sous ou sur tension, alors que jusque-là, le système reposait sur des préréglages.

Autre avancée notable, Enedis a déployé des Offres de raccordement intelligentes (ORI), qui garantissent un raccordement plus rapide et économique de sites de production d'énergies renouvelables sur le réseau, en échange de limitations temporaires de production. Enedis prévoit d'investir 20 millions d'euros dans le démonstrateur Smile.

Avec un budget de 28 millions d'euros, dont 9,5 millions d'euros par l'Ademe dans le cadre des Investissements d'avenir, le projet Smart Grid Vendée était l'un des dix plus grands projets de démonstrateurs en Europe. Et l'un des premiers à arriver à quai.

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Par Frédéric Thual,
correspondant pour La Tribune dans les Pays de la Loire.

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